Par Roxane Ambourhouet-Bigmann
Le cycle de trois conférences qui s’est tenu à l’Université de Montréal au cours des premiers mois de 2010 est venu nous rappeler un enjeu qui a resurgi plus que jamais en 2008 avec la crise alimentaire suivie de la crise financière qui s’est répandue à l’ensemble des pays : l’importance de l’autosuffisance alimentaire des peuples. En effet, la question d’avoir accès à une alimentaire suffisante, nutritive et adaptée au milieu s’est avérée cruciale, voire même dramatique dans certains pays où une proportion considérable de la population est morte, faute d’avoir pu recevoir une alimentation leur permettant de satisfaire leurs besoins de base.
Pourtant, en nous référant à la FAO qui définit la sécurité alimentaire comme présente « lorsque tous les êtres humains ont, à tout moment, un accès physique et économique à une nourriture suffisante, saine et nutritive leur permettant de satisfaire leurs besoins énergétiques et leurs préférences alimentaires pour mener une vie saine et active (FAO, 1996) », il serait bien mal venu de dire que la plupart de ces pays ne disposent pas de ressources agricoles leur permettant d’assurer le bien-être de la population. Ceci est d’autant plus vrai que souvent leurs dirigeants encouragent et supportent des cultures d’exportation.
Même si on peut postuler que l’État est le premier responsable quand il s’agit de la souveraineté alimentaire, il est important de s’interroger sur le rôle et l’importance des autres principaux protagonistes. Comment considérer les mouvements sociaux, les agriculteurs et associations paysannes et les organisations internationales? Quels sont les intérêts et les priorités de chacun de ces partis? Qui parviendra à ses fins?
C’est dans cette perspective que le REDTAC (Réseau d’études des dynamiques transnationales et de l’action collective) a réuni trois conférenciers le 25 mars 2010 afin de débattre des acteurs de la souveraineté alimentaire. Ont pris part à cette conférence-débat Mme Annette Desmarais, professeure à l’Université de Régina et analyste associée à La Via Campesina depuis ses débuts ; M. Frédéric Paré, Coordonnateur de la coalition pour la souveraineté alimentaire ; Mme Anne Catherine Kennedy, Chargée de programmes de développement à Développement et paix.
Souveraineté alimentaire et citoyenneté :
Est-ce que la définition de la sécurité alimentaire proposée par la FAO est-elle toujours pertinente aujourd’hui? Est-il juste de dire que la défense du droit à l’alimentation très à la mode depuis quelques années, mais dont la lutte n’a jamais cessé, tire ses racines dans une coalition de citoyens qui cherchent à proposer une alternative à la gestion gouvernementale actuelle?[i] En effet, dans le contexte politique actuel qui se caractérise par une perte de contact entre le politique et la société civile, on peut s’interroger s’il est toujours utile d’«attendre» après l’État pour mettre en place des politiques favorisant la réalisation de la souveraineté alimentaire. Pour un nombre croissant de militants/es, celle-ci doit, et va d’abord se faire par le biais des mouvements sociaux présents dans la société civile.
Pour certains, la notion même de souveraineté alimentaire est une conséquence directe d’une perte de contrôle des États sur leur politique alimentaire en faveur des traités supranationaux. Elle est donc un projet politique qui vise à redonner le pouvoir aux citoyens et à l’État en ce qui a trait aux politiques agroalimentaires. Pour d’autres encore, la souveraineté alimentaire doit s’accomplir par une impulsion d’envergure internationale se structurant autour du droit à l’alimentation.
Ainsi donc, les objectifs précis de chacun des acteurs impliqués divergent tout en convergeant vers un cadre d’action collective commun, organisé en partie autour du droit à l’alimentation et la souveraineté alimentaire. Ainsi, il devient pertinent de s’interroger sur les acteurs pouvant être à l’origine des changements sur les politiques agroalimentaires. Tout comme, il importe de s’interroger sur les répercussions des actions de chacune des parties impliquées car « l’insécurité alimentaire est directement liée à la pauvreté et (…) pour cette raison, la recherche sur la sécurité alimentaire doit porter sur la question de l’accès, non seulement aux denrées alimentaires, mais également aux processus politiques »[ii].
L’implication des acteurs de la souveraineté alimentaire
Les perspectives présente durant le débat sur les acteurs de la souveraineté alimentaire du 25 mars 2010 reflétaient ainsi trois types d’intervenants : les associations et regroupements de producteurs agricoles, les coalitions mixtes entre citoyens et associations de la société civile, et les organisations de solidarité internationales.
Dans ce débat, les agriculteurs et paysans rassemblés en mouvements sociaux et organisations tels, les syndicats, des coalitions transnationales, des associations d’agriculteurs, tentent de se faire entendre auprès de leur gouvernement et de défendre leurs droits. Cette catégorie d’acteurs est la plus importante étant donné que ceux-ci sont les principaux acteurs et les premiers concernés par les décisions des États et des organisations multilatérales. Peu importe ce qui se fait ou se décide, que ce soit au niveau des gouvernements ou des instances internationales, les petits producteurs, les travailleurs et travailleuses agricoles et les communautés rurale subiront toujours les premiers, les conséquences. Ainsi, comment accepter que des quotas imposés à la production pour l’exportation soient supérieurs à ceux pour la consommation locale? N’est-ce pas tout à fait dérisoire et ridicule de voir qu’une population meure de faim pendant que son gouvernement enregistre d’importants gains résultants de ces exportations! Comment alors rester impartiale et ne pas crier au scandale face à une situation politico-économique où le pouvoir de l’argent semble prédominer sur les valeurs éthiques?
Pour finir, on retrouve les firmes et les instances internationales. Cette catégorie d’acteurs, bien que difficilement visible de rendre imputable à l’échelle nationale est, semble-t-il, un moteur central de la mondialisation de l’agriculture. Pourtant, ces acteurs, détenteurs de la clé ‘financière’ du pouvoir politique ne se soucient guère du respect des droits des petits producteurs à l’échelle nationale. Le fait de pouvoir commercer directement avec le gouvernement d’un État – ici un intermédiaire dans la chaîne de distribution – est une stratégie rentable qui sauve du temps et de l’argent. Par contre, que faire lorsque ces gouvernements ne sont pas imputables, transparents ou soucieux des intérêts de sa population.
Les enjeux économiques : l’arme de la faim ou le développement agricole national ?
Les politiques mises en place par les gouvernements, lorsque que c’est le cas, ne sont pas nécessairement adéquates pour les populations locales. Ainsi, pour ne pas violer les ententes conclues avec leurs partenaires commerciaux, plusieurs dirigeants sont prêts à aller à l’encontre des besoins de base de leur population. On retrouve alors dans une relation verticale et hiérarchique proche des relations inégales entre le Nord et le Sud. Pourtant, « il est plus que temps de remplacer la logique de domination par une logique de redistribution de richesses dans un souci de justice »[iii]. Pour ce faire, il faut investir, sans pour autant nuire aux agriculteurs, dans le secteur via des subventions ou en instaurant des coopérations régionales efficaces qui répondent aux besoins réels des populations rurales et qui dépendent de l’agriculture. Car comme le soulignait le Secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, « la crise alimentaire est loin d’avoir disparu. (…) Chaque jour davantage de personnes sont privées de la nourriture dont elles ont besoin parce que les prix restent trop élevés, que leur pouvoir d’achat s’est réduit à la cause de la crise économique ou parce que les pluies ne sont pas venues et que les réserves de céréales ont été mangées »[iv]. L’enjeu de la faim est tout aussi pressant quand on sait qu’il y aura, en 2050, plus de 3.3 milliards de bouche à nourrir[v] Le droit à l’alimentation des populations les plus marginalisée est d’autant plus menacé que certains gouvernements doivent réduire l’aide accordée à leurs petits producteurs agricoles afin de respecter certaines conditionnalités imposées par les organisations financières internationales
L’avènement de la souveraineté alimentaire : interdépendance ou indépendance des acteurs?
Si on réfléchit à l’ensemble des acteurs pouvant influer sur la souveraineté alimentaire, nous pouvons affirmer que les gouvernements qui ont signé des traités commerciaux avec différents partenaires économiques voient maintenant leur autonomie contingente de ces relations avec l’extérieur. De plus, le paiement de la dette extérieure a des incidences directes sur la résolution du problème de la faim puisqu’une partie importante du trésor public est drainée vers l’extérieur. Ainsi, plutôt qu’une relation d’interdépendance au niveau national entre la population et le gouvernement, cette interdépendance est tournée vers l’extérieur.
Au niveau des ONG, des producteurs locaux et des citoyens, bien que le combat soit mené pour le respect des droits à l’alimentation des peuples, il n’en demeure pas moins que leur pouvoir d’influence s’inscrit dans un contexte politique où les décisions prises par leurs dirigeants étatiques délimitent souvent les marges de manœuvres. Le fait même d’être souvent situés au bas de l’échelle sociale limite d’autant plus le choix des petits producteurs agricoles de ces acteurs de rester indépendants, et dans ce cas-ci de ne pas adhérer au jeu du marché agroalimentaire mondialisée. De plus, face à des organisations internationales dotées de moyens beaucoup plus important, leurs voix sont souvent ignorées. Un bon exemple est celui du Programme Alimentaire Mondial (PAM) qui souvent en distribuant de l’aide d’urgence mine les productions locales. Ainsi récemment, le PAM a « investi 30 milliards de dollars E.-U. et a utilisé plus de 47 millions de tonnes de produits alimentaires pour combattre la faim, promouvoir le développement économique et social et fournir des secours dans les situations d’urgence s’est donné pour mission »[vi].
Le pouvoir entre les acteurs de la souveraineté alimentaire reste encore trop inégalement réparti. Le droit à l’alimentation reste encore aujourd’hui un vœu pieux, même si l’un des Objectifs du Millénaire pour le développement est de réduire de moitié la faim dans le monde d’ici 2015. Plus de six mois après la fin du Sommet mondial sur la sécurité alimentaire à Rome, les actes et les gestes concrets à poser se font toujours attendre de la part des gouvernements, des firmes supranationales et des organisations internationales.
Face à cette situation, il est impératif de s’interroger et débattre des acteurs de la souveraineté alimentaire. Comment imaginer la mise en place d’un large mouvement populaire ou encore une coalition mixte et élargie capable de créer un véritable momentum suffisant pour forcer une réflexion globale sur l’avenir de l’agroalimentaire ? C’est cette question qui a été abordé et débattu lors de la conférence du 25 mars, les trois prochains textes offrent trois perspectives à la fois complémentaires mais aussi parfois contradictoires sur cette question tout à fait politique, dans le sens du pouvoir d’influence.
Roxanne Ambourhouet-Bigmann est étudiante au baccalauréat en Économie et Politique à l’Université de Montréal. Ses champs d’intérêts portent essentiellement sur l’implication des citoyens dans l’organisation de la société et les mises en place des politiques gouvernementales..
[i] Propos recueillis par Timothé Nothias
[ii] Daniel Maxwell. Sécurité alimentaire dans les centres urbains d’Afrique subsaharienne. Centre de recherches pour le développement international. En ligne. http://www.idrc.ca/fr/ev-30583-201-1-DO_TOPIC.html
[iii] Damien Millet et Éric Toussaint. Pourquoi une faim galopante au XXIème siècle et comment l’éradiquer? En ligne. http://www.mondialisation.ca/index.php?context=va&aid=13368
[iv] Centre d’actualités de l’ONU. Crise alimentaire : Ban réclame les 20 milliards de dollars promis par le G8. En ligne. http://www.un.org/apps/newsFr/storyF.asp?NewsID=20178&Cr=alimentation&Cr1
[v] Ibid.
[vi] Programme Alimentaire Mondial. Lutter contre la faim dans le monde. En ligne. http://one.wfp.org/french/