Par Pierre Desrochers et Hiroko Shimizu
Arguments contre la souveraineté alimentaire et l’agriculture de proximité _ PDF
Source: http://ia311231.us.archive.org/0/items/journaldagricult65pari/journaldagricult65pari.pdf
… la crainte de manquer de grains, & les précautions qui en réfutent, entraînent dans l’écueil que l’on veut éviter.
Herbert, Claude-Jacques. Essai sur la police générale des grains, Sur leur prix et fur les Effets de l’agriculture, 1755, p. 23.
Chaque région a sa spécialité, ce n’est qu’en s’y maintenant qu’elle arrivera à tout son développement et que les peuples obtiendront chaque produit à meilleur marché. C’est faute de suivre cette maxime, c’est pour vouloir produire de tout, hors des conditions assignées par la nature, que l’on fait naître le besoin de protections qui ne sont, le plus souvent, qu’une prime accordée à de fausses spéculations, que des encouragements à mal faire et à fausser l’ordre de la nature.
De Gasparin, Adrien Étienne Pierre. Cours d’agriculture, 1844, p. 362.
Pendant que l’on s’efforce de repousser, à l’aide de droits de douane variés, les produits agricoles semblables à ceux que nous sommes capables d’obtenir sur notre sol, d’autres denrées exotiques pénètrent en France par masses de plus en plus considérables, et cette « invasion » pacifique prouve – jusqu’à l’évidence – combien il est difficile de forcer un peuple à consommer uniquement les denrées agricoles que peut produire son terroir.
Zolla, Daniel. Questions agricoles d’hier et d’aujourd’hui, 1904, p. 131.
Le mouvement en faveur de l’agriculture de proximité et de la souveraineté alimentaire (impliquant l’adoption d’interventions politiques pour favoriser une autosuffisance plus grande que dans un contexte de libre marché) a pris beaucoup d’ampleur depuis quelques années. Selon ses supporters, ces approches garantissent une relation plus étroite avec la nourriture, les producteurs voisins et le passage des saisons, tout en ayant de multiples bénéfices environnementaux, économiques, sociaux, de même que sur les plans de la santé et de la sécurité nationale.[I] À notre connaissance, les leaders intellectuels de ce mouvement n’ont cependant jamais véritablement discuté des contraintes géographiques, économiques et de sécurité alimentaire ayant historiquement motivé le passage de l’agriculture de subsistance à l’agriculture commerciale et, par la suite, le développement de la chaîne d’approvisionnement planétaire. Notre objectif dans cet article est de combler cette lacune et d’illustrer par le fait même quelques problèmes fondamentaux de la rhétorique « locavore. » Bien que notre argumentation s’appuie principalement sur des sources francophones rédigées entre la fin du dix-huitième et le début du vingtième siècle, nous jugeons nos conclusions universelles dans la mesure où des problématiques et des constats similaires sont observables durant cette période dans toutes les économies développées.[II]
Notre essai est divisé comme suit. Nous abordons dans un premier temps les bouleversements profonds que connut le monde agricole européen au dix-neuvième siècle suite à la libéralisation accrue des échanges et au développement d’avancées importantes en matière de transport, de conservation des aliments et de moyens de communication. Ces innovations provoquèrent le déclin rapide de nombreuses productions vivrières ou peu rentables parallèlement à la spécialisation géographique et à une augmentation significative de la taille de plusieurs autres destinées à un marché toujours plus étendu. Loin d’être déplorables, ces résultats furent bénéfiques non seulement aux plans économique et environnemental, mais également en termes de sécurité alimentaire, une problématique que nous examinons plus en détail dans la deuxième section. Nous discutons ensuite du seul concept original de la rhétorique « locavore », à savoir le « kilomètre alimentaire », et endossons le point de vue selon lequel il ne reflète en rien l’impact environnemental des productions agricoles. Nous soutenons finalement que la libéralisation du commerce est la meilleure façon de promouvoir simultanément la croissance économique, la sécurité alimentaire et la réduction des impacts environnementaux des productions agricoles. Hier comme aujourd’hui, les seuls produits locaux qu’il est légitime de consommer davantage sont ceux qui présentent des avantages intrinsèques (meilleure qualité et⁄ou moindres coûts) par rapport aux denrées concurrentes d’autres régions.
De l’agriculture de subsistance à la mondialisation de la production
La mondialisation accrue de la production et du commerce agricoles au cours des dernières décennies est attribuable à une combinaison de facteurs incluant l’entrée en scène (en fait, souvent le retour) sur la scène internationale de producteurs localisés dans d’ex-économies de type soviétique, une relative libéralisation des échanges et le développement de la logistique moderne (nouvelles technologies de l’information, expansion importante du transport aérien et avènement du transport multimodal par container) (Desrochers et Shimizu 2008).
L’agriculture de subsistance
Dans un contexte d’agriculture de subsistance, la nourriture est consommée par la communauté qui l’a produite. Dans les meilleures circonstances, les récoltes sont entreposées et graduellement épuisées jusqu’à la saison suivante, tandis que quelques réserves sont mises de côté pour parer aux imprévus. Le bétail et la volaille, idéalement nourris à partir de fourrages et d’autres produits non comestibles ou peu prisés par les humains (drêches de brasserie, babeurre, insectes, etc.), offrent de la viande, des produits laitiers, des œufs, du cuir, de la laine, des plumes, du fumier et d’autres intrants valables, tout en jouant un rôle d’assurance contre les mauvaises récoltes et les pertes durant l’entreposage (incendies, moisissures, rongeurs, etc.). Dans certaines régions du monde, la pisciculture et la rizipisciculture jouent également un rôle d’appoint.
Indépendamment de leur localisation ou du type de production, les agriculteurs de subsistance sont malheureusement toujours victimes de mauvaises récoltes, de disettes et de famines provoquées par des grêles, des sécheresses, des gelées, des pluies trop abondantes, des inondations, des trombes, des tornades et des ouragans. Comme le remarque Aristote (1863 : livre II, chapitre IV), s’il arrive quelquefois « que les sécheresses et les pluies sont tout ensemble abondantes et répandues dans toute la continuité d’un pays, » elles n’ont parfois lieu « que dans des parties seulement; souvent une contrée reçoit tout alentour les pluies ordinaires de la saison ou même davantage; et pourtant dans une de ses parties, il y a sécheresse. » À ces aléas climatiques plus ou moins localisés s’ajoutent évidemment d’autres maux, tels que les insectes ravageurs et les rongeurs; des maladies des plantes et des animaux provoquées par des champignons, des virus et des bactéries; et d’autres calamités allant des tremblements de terre aux incendies. L’expérience apprend donc de tout temps à l’agriculteur que « le jour où il sème, il ne saurait sans témérité escompter le résultat de la récolte, car pendant les mois qui séparent l’opération initiale et l’opération finale, mille forces peuvent agir en dehors de la volonté de l’homme, qui anéantissent ou tout au moins compromettent l’espoir de la récolte » (Hitier 1901b: 110). Le résultat est que dans « tous les lieux de la terre, l’abondance et la stérilité se succèdent avec une variété qui n’est assujettie à aucune règle et dont les vicissitudes ne se compensent que dans une assez longue suite d’années » (Turgot 1844b : 169).
L’histoire des famines et des disettes n’étant pas directement attribuables à des interventions politiques (conflits armés, persécutions politiques ou religieuses, contrôle des prix, protectionnisme, taxes de toute sorte et absence de protection du droit de propriété) illustrent beaucoup trop abondamment la fragilité des sociétés n’ayant aucun ou peu d’accès aux surplus générés dans d’autres régions (Torfs 1859; Ó Gráda 2009).[III] Par exemple, même dans une zone au fort potentiel agricole comme la France,[IV] on observe dix famines généralisées au dixième siècle, vingt-six au onzième, deux au deuxième, quatre au quatorzième, sept au quinzième, treize au seizième, onze au dix-septième et seize au dix-huitième, sans compter évidemment des centaines de famines régionales (Braudel 1979). Pour ne donner qu’un exemple de ce dernier type, l’économiste et homme d’état Anne-Robert-Jacques Turgot (1727-1781) décrit comme suit la situation dans le Limousin au tournant des années 1770 :
[T]ous les pauvres artisans, tous les cultivateurs, une grande partie des propriétaires épuisés de toutes leurs ressources, ayant vendu leurs meubles, leurs bestiaux, leurs bardes, ayant engagé leurs fonds pour subsister pendant cette cruelle disette; de nouveaux accidents, à la suite de tant d’autres; des paroisses entières privées de leur récolte par la gelée ou la grêle; la perte d’une grande partie des fourrages; des maladies et des mortalités sur les bestiaux; la diminution de leur valeur, enlevant aux habitants… la dernière espérance qui pourrait leur rester; voilà exactement la position de la province au moment où nous écrivons (Turgot 1844 : 625-626).
L’agriculture commerciale
Le passage de l’agriculture de subsistance à l’agriculture commerciale – que nous définirons pour le besoin de cet essai comme la spécialisation par les producteurs dans un ou quelques types de production et la vente subséquente de ces productions à d’autres individus localisés en majeure partie dans d’autres zones géographiques – a deux causes fondamentales. La première est évidemment, comme le remarque Turgot (1844 : 7) en 1769, que « la diversité des terrains[V] et la multiplicité des besoins amènent l’échange des productions de la terre contre d’autres productions », car si « la terre était tellement distribuée entre tous les habitants d’un pays, que chacun en eût précisément la quantité nécessaire pour le nourrir, et rien de plus, il est évident que, tous étant égaux, aucun ne voudrait travailler pour autrui; personne aussi n’aurait de quoi payer le travail d’un autre, car chacun n’ayant de terre que ce qu’il en faudrait pour produire sa subsistance, consommerait tout ce qu’il aurait recueilli, et n’aurait rien qu’il pût échanger contre le travail des autres. » Selon Turgot (idem : 7-8), les premiers agriculteurs « ont probablement cultivé autant de terrain que leurs forces le permettaient et, par conséquent, plus qu’il n’en fallait pour les nourrir », une situation à son avis insoutenable dans la mesure où « chacun ne tirant de son champ que sa subsistance, et n’ayant pas de quoi payer le travail des autres, ne pourrait subvenir à ses autres besoins, du logement, du vêtement, etc., que par son propre travail; ce qui serait à peu près impossible, toute terre ne produisant pas tout, à beaucoup près. » Par exemple, celui « dont la terre ne serait propre qu’aux grains, et ne produirait ni coton, ni chanvre, manquerait de toile pour s’habiller; l’autre aurait une terre propre au coton qui ne produirait pas de grains; tel autre manquerait de bois pour se chauffer, tandis que tel autre manquerait de grains pour se nourrir. » L’expérience apprendrait donc à chacun rapidement « quelle est l’espèce de production à laquelle sa terre serait la plus propre, et il se bornerait à la cultiver, afin de se procurer les choses dont il manquerait par la voie de l’échange avec ses voisins, qui, ayant fait de leur côté les mêmes réflexions, auraient cultivé la denrée la plus propre à leur champ et abandonné la culture de toutes les autres. »
Il est cependant peu plausible de croire que les volumes impliqués dans ces transactions aient été très significatifs avant l’émergence des marchés urbains, seuls capables de rentabiliser le commerce à grande échelle et sur de longues distances de quelques denrées agricoles recherchées et pouvant être facilement conservées et transportées (céréales, vins, huiles, etc.). Les intervenants de La république de Platon (1840 [appr. – 360]: 73) observent ainsi il y a plus de deux millénaires que « ce qui donne naissance à une cité [est] l’impuissance où se trouve chaque individu de se suffire à lui-même, » qu’il est « presque impossible à qui veut fonder un état de lui trouver un lieu d’où il puisse tirer tout ce qui est nécessaire à sa subsistance », que les habitants de la cité idéale devront « aller chercher dans les états voisins ce qui [leur] manque » et à leur tour porter « à ces états ce dont ils ont besoin. »
Ce n’est finalement que dans les économies européennes les plus tournées vers le commerce international et les plus avancées technologiquement, au premier rang desquelles on trouve la Hollande et l’Angleterre, que les famines commencent à disparaître pour de bon à partir de la fin du XVIIIe siècle (Ó Gráda 2009). La libéralisation des échanges, le développement et l’expansion de nouveaux moyens toujours plus rapides, efficaces et économiques de transport (navire à vapeur, chemin de fer), de communication (télégraphie), de production (mécanisation des opérations, développement nouvelles variétés de plantes et d’animaux), d’entreposage et de préservation de la nourriture (conserve alimentaire, réfrigération) permettront par la suite de stabiliser, d’augmenter et de diversifier toujours davantage l’approvisionnement d’un nombre sans cesse croissant d’êtres humains. Ces avancées éliminent progressivement le principal obstacle à la spécialisation de la plupart des productions agricoles, soit le fait que bon nombre de denrées sont lourdes, volumineuses et difficiles à transporter, ce qui en rendait l’écoulement difficile en plus de décourager une plus grande dépendance envers des produits importés d’autres régions. Comme l’observe l’économiste agricole Joseph Hitier (1901b : 643) : « C’est à cet ancien état de choses qu’il faut se reporter pour comprendre le mot empreint de quelque exagération de Muenchausen sur ce qu’il appelle les biens de cocagne, dont le propriétaire était obligé de consommer lui-même les produits sur les lieux, et où, pour fêter son hôte, on aimait mieux tuer un bœuf élevé à la ferme qu’acheter un chapon au dehors. »
La transition de l’agriculture européenne d’un modèle dominé par la quasi-subsistance vers un mode presque complètement commercial est décrite de façon succincte par Henri Hitier (1901a : 25), titulaire de la chaire d’agriculture comparée de l’Institut national agronomique (France)[VI] au tournant du vingtième siècle:
Chercher à obtenir sur les terres de sa ferme la plupart des produits dont il pouvait avoir besoin pour lui-même et l’entretien de sa famille, s’assurer surtout par une culture étendue de céréales le pain quotidien, tel a été pendant longtemps le but principal de l’agriculteur.
Le surplus de sa production avait un débouché assuré dans le pays même où se trouvait son exploitation. N’était-ce pas à lui, en effet, que devaient s’adresser les habitants non cultivateurs des villes et des villages voisins pour avoir le pain et la viande qu’il leur fallait pour se nourrir et qu’il leur était impossible, ou dans tous les cas trop coûteux, de faire venir des régions plus éloignées?
Alors certaines cultures, bien que le sol et le climat du pays ne leur fussent parfois pas favorables, étaient en quelque sorte nécessaires, et le haut prix auquel on pouvait espérer vendre les produits ainsi obtenus venait compenser la médiocrité des rendements.
Les conditions économiques actuelles ont transformé aujourd’hui, du tout au tout, les conditions de la production agricole, et le principal facteur de ces transformations a été le prodigieux développement des voies de communication pendant la seconde moitié du XIXe siècle.
Cette mondialisation progressive des échanges agricoles s’inscrit évidemment dans une trame plus large. Comme l’observe quelques décennies auparavant l’économiste et agronome Édouard Lecouteux (1879 : 270):
Exploiter les aptitudes spéciales des sols et des climats pour en obtenir tous les produits que comporte chacune des zones du globe terrestre; transporter plusieurs de ces produits aux plus grandes distances, soit pour les livrer directement à la consommation, soit pour les manufacturer, pour les transformer et les approprier aux besoins de l’homme; retransporter ensuite, à travers les mers et les continents, les produits fabriqués dont la matière première avait déjà supporté de grands frais de transport, voilà ce qu’a fait et ce que fait encore le commerce international.
Commerce inter-régional et spécialisation géographique des productions
La conséquence la plus ancienne de l’expansion du commerce agricole a été d’encourager la concentration géographique de certaines productions afin de profiter, comme le remarque l’économiste Adam Smith (1859: 212) en 1776, des « avantages naturels qu’un pays a sur un autre » qui sont « quelquefois si grands, qu’au sentiment unanime de tout le monde, il y aurait de la folie à vouloir lutter contre eux. » S’il est ainsi possible au « moyen de serres chaudes, de couches, de châssis de verre » de faire « croître en Écosse de fort bons raisins, dont on peut faire aussi de fort bon vin avec trente fois peut-être autant de dépense qu’il en coûterait pour s’en procurer de tout aussi bon de l’étranger, » il y a néanmoins une « absurdité évidente à vouloir tourner vers un emploi trente fois plus du capital et de l’industrie du pays, qu’il ne faudrait en mettre pour acheter à l’étranger la même quantité de la marchandise qu’on veut avoir. » Il ajoute que tant « que l’un des pays aura ces avantages et qu’ils manqueront à l’autre, il sera toujours plus avantageux pour celui-ci d’acheter du premier que de fabriquer lui-même» tout comme il est plus avantageux pour un artisan d’acheter de son voisin qui exerce un autre métier (idem).
Sept décennies plus tard, l’économiste Frédéric Bastiat (1873b : 61-62, originellement publié en 1845) tient une argumentation similaire dans sa classique Pétition des fabricants de chandelles lorsqu’il écrit que si « une orange de Lisbonne se vend à moitié prix d’une orange de Paris, c’est qu’une chaleur naturelle et par conséquent gratuite fait pour l’une ce que l’autre doit à une chaleur artificielle et partant coûteuse. » Dans ce contexte, ajoute-t-il, « quand une orange nous arrive de Portugal, on peut dire qu’elle nous est donnée moitié gratuitement, moitié à titre onéreux, ou, en d’autres termes, à moitié prix relativement à celle de Paris. » Sur la base de cette demi-gratuité, observe ironiquement Bastiat, les protectionnistes agricoles dénoncent la concurrence étrangère déloyale, ce qui devrait logiquement les amener à « repousser a fortiori et avec deux fois plus de zèle la gratuité entière. »
Comme l’anticipent également à l’époque les auteurs de la première carte géologique de France, les chemins de fer et la facilité toujours croissante des communications « pourront rapprocher les villes et prolonger, pour ainsi dire, les faubourgs de Paris jusqu’aux frontières du royaume. » Le résultat de ces avancées ne pourront cependant qu’être « que les cultures établies sur des sols différents s’identifient plus qu’elles ne l’ont fait jusqu’à ce jour. La facilité des communications ne changera ni la forme des vallées, ni l’aspect des coteaux; elle permettra, au contraire, de les comparer plus facilement, et, par conséquent, de mieux saisir leurs dissemblances » (Dufrénoy et Élie de Beaumont 1841 : 7). En d’autres mots, les progrès dans les domaines du transport et des communications, combinés aux différences physiographiques et micro-climatiques entre les régions françaises, ne pourront selon eux qu’encourager la spécialisation toujours plus grande des productions agricoles.
Plusieurs décennies plus tard, Hitier (1901b : 645) ne peut que constater la justesse de ces prédictions : « Si l’on compare une carte de la France agricole de la fin du XVIIIe siècle et une carte de la France actuelle, on constate immédiatement que les zones des plantes cultivées tendent de plus en plus à représenter des zones naturelles de climat et de sol. Si l’on suppose les cultures indiquées par des teintes, ce qui frappe tout d’abord, c’est une moindre dispersion des taches. Il y a là une application de l’idée de spécialisation et nous la saisissons très nettement pour toute une série de productions.» Zolla (1904 : 175) observe également qu’il existe depuis longtemps dans l’hexagone « des régions agricoles caractérisées par la prédominance de certaines cultures » telles que les bois, les prairies, les plantes industrielles, la vigne et les céréales. Selon lui, l’observation des faits et l’étude de l’histoire « prouve clairement que chaque région agricole possède, aujourd’hui encore, et a possédé depuis des siècles certains traits caractéristiques, une physionomie et des productions spéciales, qui dépendent des aptitudes culturales naturelles de son terroir » (idem). Il ajoute que cette tendance à la spécialisation régionale a depuis longtemps relégué aux oubliettes « l’époque, déjà lointaine, où les voies de communication étaient rares et les transports coûteux [et où] il fallait… tirer du sol, là où l’on se trouvait, des produits variés » (idem, p. 176).
Le tournant du vingtième siècle est également marqué dans les économies avancées par le développement accéléré de la production de denrées agricoles périssables (lait frais, crème, beurre, fromage, œufs, volailles, viandes fraîches, fruits et légumes frais, produits de la mer) pour des marchés de plus en plus éloignés des lieux de production. Bien souvent, les productions à grande échelle de ce qui était historiquement considéré comme des biens de luxe remplacèrent sur un même site des productions plus anciennes devenues non rentables, renforçant par le fait même la spécialisation géographique « là où les conditions naturelles (sol, climat, exposition, etc.) et les conditions économiques (rapidité des voies de transport, abondance de la main-d’œuvre, etc.) se présentaient les plus favorables » (Hitier 1912 : 110). Le théoricien marxiste Karl Kautsky (1900: 380) ajoute que du temps « où chaque exploitation rurale se suffisait, elle devait produire tout ce dont elle avait besoin, que le sol fût bon pour telle ou telle culture, ou non. Même sur des terrains stériles, pierreux, fortement inclinés, on cultivait des céréales. » La concurrence d’outremer force cependant l’abandon des productions céréalières sur les « terrains qui n’y sont pas appropriés » et, là où les circonstances sont favorables, leur remplacement par «d’autres genres de production agricole » qui souvent, comme dans le cas des productions fruitières par exemple, nécessitent beaucoup plus de travaux préparatoires et de main-d’œuvre (idem). Comme on le constate donc à l’époque, ces nouvelles productions ne visent pas dès leur lancement à « approvisionner seulement les marchés locaux de voisinage immédiat, mais les grands marchés des principaux pays, et alors les questions mêmes de distance deviennent parfois secondaires » (Hitier 1912 : 110). De plus, « à l’encontre de ce qui se passait autrefois, plus la production de ces fruits et légumes augmente sur un point déterminé, plus les débouchés s’agrandissent pour ce centre de production: les acheteurs étrangers y viennent alors de préférence; des trains spéciaux d’exportation, avec tarifs réduits, s’y organisent » (idem : 111).
Les producteurs pouvant mettre en marché leurs denrées à une plus grande échelle géographique y trouvent leur compte à deux niveaux. Premièrement, bon nombre de consommateurs plus éloignés sont disposés à payer davantage. De plus, le fait que les périodes de récolte diffèrent entre régions évite la dépréciation rapide du prix de vente qui accompagne inévitablement la mise en marché simultanée et strictement locale d’un même produit par plusieurs exploitants. Si dans ces circonstances les consommateurs locaux doivent payer davantage pendant la période des récoltes locales, ils bénéficient par contre pendant le reste de l’année d’une plus grande accessibilité à ce produit et de prix plus abordables. Il est de plus entendu, comme nous l’avons expliqué plus tôt, que l’offre – même locale – de produits diversifiés n’est ultimement rendue possible que par une division toujours plus grande et étendue du travail agricole. Hier comme aujourd’hui, les principaux bénéficiaires de ce système sont les consommateurs qui ignorent désormais la source de leur approvisionnement. Pour ne donner que deux exemples, dans une fable originellement publiée dans les années 1840, Bastiat (1862) décrit le cas d’un artisan français qui ignore le pays d’où provient le blé qu’il consomme tandis qu’au tournant du vingtième siècle, Hitier (1901a : 386) écrit que le consommateur londonien bénéficie d’un approvisionnement continu et planétaire de légumes et de fruits frais, car « la vapeur a supprimé les saisons. »
Spécialisation géographique, économies d’échelle et volume de production
La spécialisation géographique accrue des activités agricoles favorise depuis longtemps l’innovation et le développement d’économies d’échelle. Selon Joseph Hitier (1901b : 105), « une expression revient sans cesse [dans le contexte français]: L’agriculture s’industrialise… ou l’agriculture doit s’industrialiser. » En d’autres termes, on recommande aux exploitants agricoles de s’inspirer autant que possible de la production à grande échelle dans le secteur manufacturier afin de produire toujours davantage et plus efficacement, un constat qui était déjà évident près d’un siècle et demi auparavant pour l’économiste Nicolas Baudeau (1910 [1767]: 46): « Tel est le but des grandes exploitations productives; premièrement, de doubler, tripler, quadrupler, décupler s’il est possible la récolte des subsistances et des matières premières, qui se fait sur une certaine étendue de sol; secondement, d’épargner le nombre des hommes employés à ce travail, en le réduisant à la moitié, au tiers, au quart, au dixième, s’il est possible. »
Outre la meilleure mise en marché des récoltes, les améliorations dans le domaine du transport facilitent également le transport des engrais, ce qui permet de mettre sous culture permanente plusieurs lieux auparavant peu exploités ou laissés périodiquement en jachère, augmentant par le fait même la production agricole totale. Le transport à grande échelle des semences augmente similairement la productivité et la résilience de nombreuses régions. Hitier (1901b : 463) écrit ainsi que l’hiver de 1890-1891 fut particulièrement rigoureux dans le nord de la France et que par le passé, la faillite des récoltes de blé impliquait « la certitude à peu près absolue d’une année de famine. » Dans ce cas précis, cependant, la livraison de nouvelles semences permit de réparer dans une large mesure le mal causé par les forces naturelles et de donner à la production plus de régularité. L’avènement de l’agriculture intensive, conclut-il, fait que l’agriculture française moderne « connaît moins que l’agriculture d’autrefois l’usage de la vieille expression : C’est une année de blé, d’avoine, etc. où se traduisait le fatalisme du monde agricole, reconnaissant sa dépendance des forces naturelles et des agents atmosphériques. Sans doute elle reste soumise à leur action, mais elle a appris à en atténuer les effets » (idem : 462-463). Il suggère donc d’en tirer les conclusions qui s’imposent, soit qu’une « grande partie des terres livrées à la culture sont encore susceptibles d’absorber des doses nouvelles plus ou moins considérables de capital et de travail» et qu’il est désirable que « partout où elle est reconnue possible, la culture intensive vienne remplacer la culture d’autrefois et que de plus en plus se généralise le système des gros produits bruts » (Hitier 1901b : 464).
Comme le remarque Lecouteux (1879 : 111) dans son Cours d’économie rurale, dans la mesure où les investissements en capitaux se traduisent par un accroissement des rendements plutôt que des frais de production par unité, il est souhaitable de « concentrer ses forces, son travail, ses engrais, son capital en un mot, plutôt que d’éparpiller tous ces moyens d’action sur de trop grandes surfaces, où l’insuffisance du capital ne peut se traduire que par des produits chèrement obtenus » (idem, nos italiques). Ces gains de productivité se traduisent, sous l’effet de la concurrence, par une tendance forte vers « un abaissement des prix de vente, un abaissement des cours », qui ne laisse plus au producteur moins novateur ou compétitif « une marge de bénéfices suffisante pour [le] rémunérer de son travail » (Hitier 1901b : 106). Les meilleurs agriculteurs parviennent par contre à augmenter les quantités récoltées « en utilisant des procédés de culture plus perfectionnés et plus économiques » leur permettant de réduire « les prix de revient de leurs principaux produits » (Zolla 1904 : 111). La commercialisation croissante du monde agricole amène donc immanquablement les producteurs à « travailler pour le débouché », c’est-à-dire principalement pour vendre à autrui plutôt que pour leur propre subsistance. Bien que la production agricole ait toujours eu ce double but, la ferme française au tournant du vingtième siècle « est devenue une manufacture de produits destinés à la vente à titre principal comme la manufacture de produits industriels proprement dits. L’agriculteur comme l’industriel… a dû, pour s’assurer le maintien de ses débouchés, s’ingénier à diminuer son coût de production, seul moyen de lutter contre la concurrence de ses rivaux » (Hitier 1901b : 114).
D’autres considérations d’ordre social ou économique affectent évidemment depuis longtemps la localisation géographique des productions agricoles. Risler (1898 : iii-iv) énumère la densité de la population, sa richesse, la nature de ses consommations et son groupement en villes plus ou moins grandes; la distance de la ferme au marché, les coûts de transports, les droits de douane et d’octroi; les salaires et les conditions variées de la main-d’œuvre; le prix des terres, des engrais et amendements; et la fiscalité et les subsides aux producteurs. Bien que l’impact de ces facteurs varie dans le temps, le lieu et l’espace, il n’en demeure pas moins que la tendance à long terme vers la spécialisation géographique toujours croissante des productions agricoles est indéniable et que, au tournant du dernier siècle ou du nôtre, les critiques des bouleversements provoqués dans le monde agricole par la libéralisation du commerce et le développement de nouvelles technologies de production et de transport oublient trop facilement que les (toujours plus nombreux) consommateurs bénéficient grandement de la baisse des prix et de la diversification de l’offre, tandis que les producteurs les plus efficaces engrangent malgré tout des profits suffisants pour demeurer en affaires et augmenter la taille de leurs opérations.
Bénéfices environnementaux de la spécialisation des productions agricoles
Une critique fréquente de la production agricole moderne est que les économies d’échelle résultant de la monoculture à grande échelle impliquent par définition une réduction de la biodiversité. Cette critique est valable au niveau local (peu importe la définition utilisée) dans les zones de production intensive, mais elle occulte les bénéfices environnementaux indéniables à plus grande échelle de l’agriculture moderne. En résumé, la production agro-industrielle requiert une superficie toujours décroissante (ou à tout le moins relativement stable) pour nourrir une population sans cesse croissante. En concentrant dans la mesure du possible la production dans les territoires les plus productifs et en améliorant sans cesse les rendements, l’agriculture moderne a permis au cours des deux derniers siècles la reforestation (volontaire ou spontanée) à grande échelle des terre agricoles marginales délaissées par leurs propriétaires.[VII] Ce dernier point est particulièrement notable en France où la croissance du couvert forestier dans un contexte de croissance démographique et économique est observable depuis les années 1830 (figure 1).
Figure 1: Comparaison entre la couverture en forêts et la croissance de population en France (source: Kauppi et al. 2006: 1755)
Coûts économiques contemporains de l’agriculture de proximité non concurrentielle
Comme nous l’avons illustré, favoriser la consommation de denrées locales qui ne sont pas concurrentielles revient en pratique à faire la promotion de productions moins efficaces qui requièrent plus d’intrants, de surfaces cultivées et de pâturages. Ces coûts de production additionnels impliquent inévitablement des prix beaucoup plus élevés ainsi qu’une réduction draconienne de la quantité et de la diversité de la nourriture mise en marché. L’expérience des tenants de la « 100 mile diet », qui limitent volontairement leur consommation à des aliments cultivés ou abattus à l’intérieur d’un périmètre de 161 km de leur résidence, illustre bien ces problèmes.
En résumé, un couple vivant dans le sud-ouest de la Colombie-Britannique (une région agricole canadienne écologiquement diversifiée et très productive) a relevé ce défi en 2005 pendant une année et a constaté les problèmes suivants :
• Coût : Les produits biologiques locaux ou les substituts à des produits courants (par exemple, le miel en remplacement du sucre) coûtent en général plus cher (souvent considérablement plus cher) que les produits courants.
• Absence de variété : Il est impossible de produire localement du sucre, du riz, des citrons, du ketchup, de l’huile d’olive, du beurre d’arachide, du jus d’orange et de la farine. En hiver, le choix de légumes était extrêmement limité.
• Temps : Le temps passé à obtenir et à préparer la nourriture équivalait à un emploi à temps partiel.
Ces résultats ne font évidemment que nous rappeler les causes du faible niveau de vie des habitants, présents ou passés, d’économies moins développées aux plans économique et agricole. En dernière analyse, les promoteurs de l’achat local ignorent volontairement ou ne comprennent pas que le gain économique de l’agriculteur non compétitif se fait aux dépens du consommateur qui doit payer plus cher pour un produit similaire ou le même prix pour un produit de moindre qualité (si ce n’était pas le cas, il ne serait pas nécessaire d’adopter des mesures coercitives contre les produits en provenance de régions plus éloignées). Ces politiques font en sorte que les consommateurs et les contribuables ont moins d’argent pour acheter autre chose (incluant d’autres types de productions locales) ou pour investir dans le développement de nouvelles activités, ce qui a des effets négatifs sur l’économie régionale et mondiale dans la mesure où nos ressources rares ne sont pas utilisées aussi efficacement pour créer de la richesse qu’elles pourraient l’être. Ces mesures pénalisent également les producteurs agricoles des pays en développement qui ne peuvent améliorer leurs conditions de vie en se spécialisant dans des cultures destinées à l’exportation.
La sécurité alimentaire[VIII]
Les partisans de l’achat local invoquent régulièrement les risques inhérents à la dépendance d’une économie locale envers des fournisseurs étrangers ou, inversement, les risques encourus par les agriculteurs de subsistance qui orientent leurs activités vers l’exportation (principalement les aléas des marchés internationaux et la plus grande susceptibilité des monocultures aux maladies des plantes et des animaux). Bien que ces arguments soient très anciens, il existe également depuis longtemps une autre perspective selon laquelle la libéralisation des échanges favorise au contraire une plus grande sécurité alimentaire.
Libéralisation des échanges et sécurité alimentaire
Comme nous l’avons illustré plus tôt, l’agriculture de subsistance – et par extension tout système alimentaire dont tous les œufs sont pour ainsi dire placés dans le même panier géographique – est fondamentalement instable en raison des nombreux problèmes naturels pouvant affecter les productions vivrières. On ne peut donc opposer d’une part « moins de richesse et plus de sécurité alimentaire » (agriculture de proximité) et de l’autre « plus de richesse et moins de sécurité alimentaire » (agriculture mondialisée), car la véritable problématique de la sécurité alimentaire est en définitive la meilleure répartition des risques inhérents à toute production agricole. Dans cette optique, il est difficile de nier qu’une agriculture mondialisée (et par le fait même diversifiée à l’échelle du globe) est intrinsèquement plus stable et sécuritaire que n’importe quel système local en raison du caractère périodique des mauvaises récoltes. Cet argument a évidemment une longue histoire et a probablement été le mieux résumé par la formule : « Les accidents se compensent entre les Royaumes » (cité par Gunnar Persson 1999 : 8).[IX] En d’autres mots, les mauvaises récoltes d’une région peuvent être comblées par les récoltes plus abondantes que de coutume dans d’autres portions d’un continent ou du globe.
En outre, dans un libre marché, le prix d’un aliment est déterminé par le jeu de l’offre et de la demande. Dans le contexte d’une aire géographique relativement grande, les prix au cours d’une période donnée n’auront pas tendance à varier grandement d’une année à l’autre puisque les surplus résultant de récoltes abondantes dans une région, qui devraient normalement générer une chute importante du prix local en l’absence de commerce sur de plus longues distances, sont systématiquement acheminés dans les régions où les récoltes sont moins abondantes, prévenant ainsi une hausse autrement plus rapide des prix dans les régions moins performantes. À long terme, les habitants de toutes ces régions bénéficient de cet arrangement.
La validité de cette perspective est démontrée à maintes reprises à travers l’histoire. Par exemple, la première disette de l’Europe francophone au début du dix-neuvième siècle résulte d’un hiver doux en 1801 suivi d’un « printemps hivernal » au cours duquel « des vents arides et des gelées tardives détruisirent les floraisons précoces » (Torfs 1859 : 216). La catastrophe est cependant évitée lorsque le gouvernement français, alarmé de la hausse rapide du prix des céréales à l’été de 1802, « fit acheter partout des grains : en deux mois, 317 navires, chargés d’un million de quintaux de froment, entrèrent dans les ports de France. » À la même époque, la Belgique « fut principalement ravitaillée par les entrepôts de la Hollande, où les grains arrivèrent par les eaux intérieures à Anvers, à Gand, à Bruxelles, etc. » (idem). Le milieu des années 1840 est également dramatique en Europe du nord, car outre le mildiou de la pomme de terre (dont les ravages ne sont pas limités qu’à l’Irlande), les récoltes de seigle et les rendements du froment sont désastreux dans de nombreux pays, dont notamment la Belgique. La plupart des contrées d’Europe du nord parviennent cependant à éviter l’ampleur de la catastrophe irlandaise, car bien que leurs couches populaires soient souvent également fortement dépendantes de la pomme de terre, elles sont beaucoup plus développées et intégrées à l’économie mondiale, ce qui leur permet de recourir à « tous les marchés du globe » et d’avoir accès à une « diversité des aliments qui ne peuvent jamais manquer tous à la fois » (Anonyme, 1848 : 144).[X]
La volonté de répartir géographiquement les risques de mauvaises récoltes sous-tend quelques décennies plus tard la stratégie de l’administration coloniale anglaise aux Indes. Comme le remarque l’un de ses auteurs : « Chaque province avait autrefois à pourvoir par elle-même à ses besoins; désormais elles contribueront toutes au soulagement des localités spécialement atteintes par la famine, et on aura ainsi les avantages d’une assurance mutuelle » (Anonyme 1878 : 44). Les autorités de l’époque étaient par ailleurs bien conscientes des limites d’une stratégie qui aurait visé une plus grande autosuffisance régionale, car si l’irrigation est vue comme « un remède excellent contre la famine et susceptible d’une grande extension », son application ne peut cependant « être faite avantageusement dans certaines régions, par suite de conditions géographiques ou climatologiques défavorables » et « nulle part, d’ailleurs, l’irrigation, sans les chemins de fer, ne suffirait » (Anonyme 1878 : 45).
Un autre problème fondamental des stratégies de sécurité alimentaire prônant une plus grande autosuffisance est que plusieurs régions cruciales pour l’économie mondiale en termes de production de ressources naturelles ou de biens manufacturés sont tout simplement incapables de nourrir leur population en raison de la pauvreté ou de la rareté de leurs ressources physiographiques. Si des cas extrêmes comme le Japon ou l’Arabie Saoudite viennent rapidement à l’esprit, le nombre d’économies répondant à cette description a toujours été beaucoup plus grand que ce que l’on imagine généralement. Brandts (1880 : 203-204) observe ainsi à la fin du dix-neuvième siècle que, « malgré la fertilité d’une partie de son terroir, le travail assidu et la capitalisation généreuse de ses cultivateurs, » la population belge ne parvint jamais à se nourrir à partir de ses propres productions et dépendit en permanence des importations alimentaires, notamment des provinces françaises voisines et plus tard du « Levant [qui] était le grenier de nos provinces » et dont « le retard [des] arrivages pouvait suffire à provoquer la famine sur notre sol. »[XI] Il ajoute:
Les famines en Belgique! L’histoire en est triste et longue; elle est une preuve trop palpable de l’insuffisance relative de notre production nationale. Nous sommes donc nécessairement, au point de vue alimentaire, tributaires de l’étranger. Nous l’avons toujours été. Cette vérité conduit à une conclusion… c’est que la Belgique ne vit que du libre-échange. Elle en a besoin au point de vue alimentaire pour pouvoir importer le montant de son déficit annuel. Elle en a besoin au point de vue industriel: ce n’est en effet qu’en ayant à l’extérieur un libre débouché pour les produits d’une manufacture florissante qu’elle aura de quoi payer à l’étranger la contribution annuelle qu’elle lui réclame… C’est ce que nos ancêtres ont toujours compris, c’est ce que nous ne devrions pas oublier (Brandts 1880 : 204).
En dernière analyse, force est de reconnaître que pénaliser les populations ayant développé des créneaux économiques utiles qui conviennent mieux à la réalité de leurs sols et de leur climat est une politique contre-productive pour l’humanité dans son ensemble.
Autres considérations
Bien que les supporters de la souveraineté alimentaire ne semblent pas anticiper l’insécurité alimentaire accrue qui résulterait de leur prescription, on peut anticiper l’instauration de deux types de mesures aussi anciennes que la civilisation qui en découleraient.
La première, qui n’est évidemment valable que dans la mesure où une politique de souveraineté alimentaire n’implique pas une autosuffisance totale, est d’interdire l’exportation de produits agricoles lors de périodes de hausse rapide des prix.[XII] Cette mesure toujours d’actualité[XIII] est contre-productive, car elle décourage l’investissement à long terme dans les exploitations agricoles et résulte immanquablement en une production globale moins importante. Tirant les leçons de plusieurs expériences à travers les âges, Harte (1764 : 51, notre traduction) écrit à la même époque « que les États n’ayant pas de lois prohibant les exportations de grains sont toujours les mieux pourvus en pain, tandis que ceux qui interdisent le libre commerce et les exportations sont toujours dans une situation précaire… »[XIV] Il va également sans dire que la nation « souveraine alimentairement » se prive d’emplois dans d’autres secteurs (en raison des ressources utilisées moins efficacement en agriculture) et de richesses en provenance de l’étranger.
La seconde mesure découlant logiquement d’une politique de souveraineté alimentaire est l’entreposage par les autorités publiques de denrées qui ne seraient mises en vente ou redistribuées que dans les périodes de pénuries ou de très fortes hausses des prix. Bien que cette mesure demeure pour l’instant théorique, elle a cependant été remise de l’avant par un ensemble d’organismes militant en faveur de la création de « réserves de sécurité alimentaire locales et régionales culturellement appropriées » (IATP 2010). Il est donc utile de rappeler les raisons ayant mené depuis longtemps à l’abandon de telles politiques en Europe. Comme le souligne Torfs (1859 : 238), la conclusion que « les granges de nos fermiers et les magasins de nos négociants doivent être considérés comme les véritables greniers d’abondance[XV] du pays » s’est imposée aux gens qui ont bien « réfléchi aux graves inconvénients inhérents à leur érection et à leur maintien. » En résumé:
D’abord l’administration publique achète rarement aussi bien et à aussi bon compte que les particuliers, et, d’un autre côté, l’acquisition de fortes masses de grains a presque toujours pour effet de faire hausser les prix. Ensuite, l’accumulation des grains en rend la conservation difficile et coûteuse; en temps d’émeute, le pillage est à craindre; les accidents et l’incendie ne le sont pas moins. Enfin, il faudrait des sommes incalculables pour assurer les subsistances pour quelques jours seulement, non pas au pays entier, mais à la capitale ou à quelque grande ville, et il faudrait des capitaux non moins considérables pour la construction des bâtiments destinés à recevoir les provisions de grains. Sous ce dernier rapport, on peut dire que l’idée de greniers d’abondance pour compte de l’État est sans aucune valeur pratique. (Torfs 1859: 238-239)
Dans ces circonstances, écrit Torfs (1859 : 240), la seule politique véritablement efficace est « la liberté du commerce et de la circulation des denrées, et la protection de la sécurité des vendeurs et des acheteurs, » un diagnostic que nous jugeons toujours valable dans le contexte des économies avancées et sous-développées contemporaines.[XVI] On peut par contre ajouter que la libre circulation des individus, dont notamment l’émigration de populations vivant dans des régions à risque ou sous-développées vers des régions plus avancées, qu’il s’agisse de l’Irlande au milieu du dix-neuvième siècle ou d’Haïti au début du vingt-et-unième, ne peut qu’améliorer la sécurité alimentaire à court terme de leurs habitants (ce qui ne veut évidemment pas dire que le développement économique de ces régions n’est pas souhaitable à long terme comme l’illustre le cas irlandais).
Diversité économique et sécurité alimentaire
Un point sur lequel nous rejoignons d’une certaine façon l’argumentaire des partisans de la souveraineté alimentaire est l’instabilité inhérente de n’importe quelle économie mono-industrielle, que son principal employeur œuvre dans le secteur agricole, des ressources naturelles, manufacturier ou des services. Selon nous, l’engouement de la plupart des économistes pour la spécialisation régionale des activités économiques résulte de l’extrapolation erronée de la théorie de l’avantage comparatif du niveau individuel au niveau régional. En résumé, s’il est effectivement souhaitable que les individus développent certaines connaissances et habiletés spécifiques, rien ne permet de conclure qu’il soit optimal pour une région composée d’individus ayant des aptitudes différentes de se spécialiser dans un seul domaine d’activité (Desrochers et Sautet 2008; Leppälä et Desrochers 2010). Dans ce contexte, la spécialisation régionale dans une seule activité agricole concurrentielle n’est pas une mauvaise chose si de nouvelles activités économiques non-agricoles sont également développées et offrent de nouvelles possibilités d’emplois.
Le kilomètre alimentaire : un indicateur trompeur et inutile[XVII]
La seule véritable différence entre les anciens énoncés en faveur du protectionnisme agricole et le discours plus récent sur la souveraineté alimentaire et l’agriculture de proximité est l’argument selon lequel en décourageant les consommateurs d’acheter des aliments transportés sur de longues distances, moins d’énergie sera dépensée et moins de gaz à effet de serre (GES) émis, ce qui contribuera à minimiser la dégradation de l’environnement. L’aspect le plus discutable de la thèse du kilomètre alimentaire est qu’elle ignore complètement les écarts de productivité entre les emplacements géographiques qui, comme nous l’avons vu, ont de tout temps motivé la spécialisation des productions. En d’autres termes, les « locavores » présument implicitement que la production d’un aliment nécessite la même quantité d’intrants quels que soient l’endroit et la façon dont il est produit. De ce point de vue, la distance parcourue entre le producteur et le magasin où les aliments sont achetés, de même que le mode de transport utilisé, deviennent les principaux facteurs qui déterminent l’impact sur l’environnement.
Une évaluation réaliste de l’impact environnemental du transport des aliments doit cependant tenir compte de la consommation totale d’énergie et des émissions de GES associées à la production. Une façon d’obtenir un portrait d’ensemble relativement juste de ces considérations est d’utiliser la méthodologie du cycle de vie des produits (voir le Tableau 1).[XVIII] Au chapitre du transport, on observe ainsi le processus dans son ensemble au lieu de se focaliser uniquement sur le pays où l’aliment a été produit car après tout, les choix de transport des consommateurs, tels que la marche ou la bicyclette par opposition à la conduite automobile, ont de toute évidence des conséquences sur la quantité totale de CO2 associée à leurs achats.
Source : Desrochers et Shimizu 2010 : 2.
Toutes les analyses sérieuses prouvent également que les nombreuses courses en voiture pour ramener un volume modeste de nourriture que fait chaque famille ont un impact relatif notable sur les émissions de GES car elles sont beaucoup moins efficaces que les plus gros moyens de transport qui déplacent la nourriture de l’endroit où elle a été produite jusqu’à celui où elle sera vendue. Par exemple, transporter de très grandes quantités de nourriture dans des navires ultra efficaces propulsés au diesel requiert beaucoup moins d’énergie par pomme ou côtelette d’agneau, même si la distance parcourue est beaucoup plus grande.
L’analyse la plus exhaustive sur l’enjeu de l’achat local au moment d’écrire ces lignes a été réalisée en 2005 par le ministère de l’Environnement, de l’Alimentation et des Affaires rurales (DEFRA) du Royaume-Uni (Smith et al., 2005). Les auteurs ont notamment calculé que 82 % des 30 milliards de kilomètres alimentaires (la distance parcourue entre les producteurs et les consommateurs) qu’on estime être associés aux aliments consommés par les Britanniques sont générés à l’intérieur même du pays, le transport par voiture des magasins jusqu’aux maisons comptant pour 48 % et le transport par véhicule lourd pour 31 %. Les transports par avion et par bateau comptaient chacun pour moins de 1 % des kilomètres alimentaires et n’est donc responsable que d’une fraction insignifiante des émissions totales de GES. De plus, la proportion représentée par le transport n’est qu’une fraction de celle de la chaîne de production agricole, qui requiert notamment l’utilisation de fertilisants, de pesticides, l’irrigation, l’énergie requise pour faire fonctionner la machinerie, etc. Aux États-Unis, une autre étude suggère que 11 % des émissions de GES associées à la nourriture provenaient du transport dans son ensemble, contre 83 % pour l’étape de la production (Weber et Matthews 2008).
L’étude du DEFRA comparait également les émissions provoquées par la dépense énergétique de la production de tomates au Royaume-Uni et par l’importation de tomates espagnoles. Dans le premier cas, la production par tonne entraîne l’émission de 2394 kg de CO2 contre 630 kg dans le second. La différence provient essentiellement de l’énergie nécessaire à la production de tomates en serre au Royaume-Uni (environ 90 % de l’énergie totale utilisée) alors que la culture se fait dans des serres non chauffées recouvertes de plastique en Espagne. De même, les militants et les consommateurs oublient facilement l’importance du contexte saisonnier dans le calcul de l’énergie utilisée et des émissions de CO2. Dans une étude publiée en 2006, des chercheurs concluent que l’envoi et la vente rapide pendant l’hiver en Grande-Bretagne de pommes néo-zélandaises fraîchement cueillies provoquent moins d’émissions de GES que l’achat de pommes cultivées sur place et entreposées pendant plusieurs mois, pour la bonne raison que la Nouvelle-Zélande est située dans l’hémisphère sud où la saison de culture coïncide avec l’hiver dans l’hémisphère nord.
De façon générale, les environnements physiques comme celui du Canada, qui nécessitent des installations et des technologies pour maintenir les aliments au chaud ou au froid, requièrent une dépense d’énergie beaucoup plus élevée que les climats plus favorables, dans une mesure qui dépasse souvent de loin la quantité d’énergie nécessaire au transport des produits agricoles venant d’endroits plus éloignés. Les prix des aliments, bien qu’imparfaits en raison de nombreuses interventions gouvernementales qui encouragent l’inefficacité et le gaspillage (subventions, quotas, tarifs, garanties de toute sorte, etc.), donne néanmoins dans l’ensemble une idée beaucoup plus juste de leur impact environnemental que leur lieu d’origine, car il tient compte non seulement des coûts de transport, mais également des coûts de production, d’entreposage et de distribution, et donc, par le fait même, des intrants requis à chacune de ces étapes. Dans ce contexte, mieux vaut s’attaquer aux interventions gouvernementales qui faussent l’allocation toujours plus efficace des ressources par l’intermédiaire du libre marché (par exemple, en militant pour l’abolition des subventions à l’irrigation ou des entraves au commerce qui faussent les prix et encouragent le gaspillage et, par le fait même, un plus grand impact environnemental) que de cibler sans raison valable le lieu de production des aliments.
Conclusion
Chercher des aliments plus frais et entretenir des relations de voisinage peuvent s’avérer de bonnes raisons d’acheter des produits locaux, mais sauver la planète, soutenir l’économie locale et assurer une plus grande sécurité alimentaire n’en sont pas. Loin d’être avantageuse à ces niveaux, la philosophie « locavore » se traduit au contraire par des productions moins efficaces et donc plus dommageables pour l’environnement, car requérant plus de ressources, y compris de terres qui seraient autrement inoccupées par les humains; un appauvrissement des populations locales en raison de prix plus élevés et d’opportunités réduites de se spécialiser dans des domaines autres que l’agriculture; et un approvisionnement alimentaire beaucoup plus instable que celui fourni par le marché mondial.
Loin d’être radicalement nouvelle, la philosophie « locavore » s’inscrit dans la continuité de mouvances protectionnistes et hostiles au progrès technique qui s’opposent depuis longtemps à l’industrialisation des productions agricoles et à la libéralisation du commerce. Outre les intérêts économiques évidents des producteurs peu compétitifs, la popularité de ce mouvement s’explique en bonne partie par notre méfiance instinctive face aux changements, aux grandes organisations et aux individus qui vivent loin de notre communauté d’appartenance. L’analyse économique et historique démontre cependant les avantages indéniables d’une division toujours plus poussée du travail par laquelle les gens se spécialisent dans ce qu’ils font de mieux (bien souvent dans le contexte d’économies d’échelle importantes qui expliquent l’émergence de grandes entreprises) et échangent le fruit de leur labeur. Ce système garantit à la fois des prix plus bas, une plus grande variété de produits tout au long de l’année et une plus grande sécurité alimentaire.
Que faire alors pour assurer la survie et améliorer la sécurité alimentaire d’une population mondiale croissante? En dernière analyse, force est de reconnaître que seule la libéralisation complète des échanges agricoles permettra de produire la nourriture de la façon la plus efficace possible dans les endroits les plus appropriés, permettant ainsi d’obtenir des économies de ressources, la création de plus de richesse et un environnement plus sain pour tous. Nos recommandations sont les mêmes que celles de Hitier (1901a : 400), qui écrivait il y a plus d’un siècle que la seule option valable à long terme est que « chacune de nos régions naturelles se spécialise donc dans le genre de production le mieux adapté à ses conditions naturelles de sol et de climat et à son milieu économique » ce qui lui permettra « de produire mieux et à moindres frais. » Dans ce contexte, la survie des agriculteurs dépendra de leur capacité novatrice, mais également de « s’associer… [et de] surtout s’organiser pour la vente de la spécialité de leur région, et c’est là, on ne saurait trop le répéter, le point fondamental aujourd’hui. »
Pierre Desrochers est professeur agrégé de géographie à l’Université de Toronto – Mississauga. Ses intérêts de recherches et d’enseignement comprennent les questions de développement économique, l’innovation technologique, l’entreprenariat, le commerce international, les droits de propriété intellectuelle et le domaine des affaires. Hiroko Shimizu est une consultante indépendante, diplômée en économie et en politiques publiques de l’Université de Osaka au Japon. Elle a étudié et travaillé au sein de différents centres de recherche et d’entreprises au Canada, Japon, Chine et États-Unis. Elle a entre autres, été chercheure à l’Institut d’études politiques de l’Université John Hopkins et a publié différents articles scientifiques et professionnels.
[I] Cette littérature s’inscrit dans une mouvance plus large questionnant la mondialisation des échanges, l’importance grandissante des entreprises multinationales et les supposés méfaits de l’agriculture industrielle. Pour un survol de ces questions, voir notamment Born et Purcell (2006), REDTAC (2009) ainsi que les autres articles de ce numéro spécial.
[II] Voir, par exemple, Adams et Clinton (1899) pour le cas américain. L’économiste autrichien Ludwig von Mises (1919, non-paginé) observe que dans les années 1870 « l’extension du réseau ferré dans les pays d’Europe de l’Est et le développement du transport maritime et fluvial permettaient d’importer des produits agricoles en Allemagne dans de telles quantités et à des prix si bas que la survie du gros des exploitations agricoles allemandes était sérieusement menacée. Dès les années 1850, l’Allemagne était un pays importateur de seigle; à partir de 1875, elle fut aussi un pays importateur de blé. »
[III] Il est entendu que toute les sociétés dépendant de l’agriculture de subsistance ont historiquement eu recours à quelques « aliments de famine » (écorces, racines, etc.), mais ces alternatives ne représentent dans tous les cas que des solutions de dernier recours. Sur cette question, voir notamment la “Famine Food Homepage” http://www.hort.purdue.edu/newcrop/faminefoods/ff_home.html
[IV] Sur le fort potentiel agricole de la France en l’absence de calamités humaines et naturelles avant le dix-neuvième siècle, voir notamment Biollay (1885 : 8).
[V] Il va sans dire que les variations climatiques entre régions sont aussi importantes à cet égard.
[VI] Afin de clarifier toute confusion, ce texte emprunte abondamment aux écrits des frères Henri (1901a; 1912) (1864-1958) et Joseph Hitier (1901a) (1865-1930), le second étant d’abord professeur adjoint de droit à l’Université de Grenoble et plus tard professeur d’économie rurale à l’Institut national agronomique. Tout deux sont également impliqués dans l’exploitation d’une propriété agricole familiale à Revelles (Picardie) et d’un pâturage dans le Bray (Brandin 1903).
[VII] On observe ce phénomène (ou à tout le moins l’amélioration de la qualité du couvert forestier lorsque la forêt n’a plus d’espace pour prendre de l’expansion) dans toutes les économies qui sont au moins au niveau de développement économique du Chili. Le développement des combustibles fossiles – et plus particulièrement le remplacement des chevaux par les véhicules automobiles et les camions qui a considérablement réduit la superficie des terres dévouées à la production de paille, d’avoine, d’orge, de maïs et d’autres fourrages – ainsi que le développement de produits substituts pour le bois ont évidemment joué un rôle important dans ce contexte, mais la reforestation dans un contexte de forte croissance démographique demeure impensable sans les gains de productivité attribuables à l’agriculture moderne (Kauppi et al. 2006).
[VIII] Pour une discussion plus large de cette problématique, voir notamment Padilla (1997 : 12-17).
[IX] Bien que l’auteur n’identifie pas clairement la source de cette citation, il semble logique de croire qu’on la doive à l’Abbé Nicolas Baudeau.
[X] Pour des discussions relativement contemporaines des problèmes agricoles en Europe du nord (incluant l’Irlande) dans les années 1840 (connues sous le sobriquet de « Hungry Forties » dans le monde anglophone), voir Anonyme (1848), Brandts (1880) et Torfs (1859).
[XI] Torfs (1859) contient une nomenclature plus détaillée des famines ayant frappé le territoire de ce qui deviendra plus tard les Pays-Bas et la Belgique entre les douzième et dix-neuvième siècles.
[XII] Harte (1764 : 48-52) contient un bref historique de ces mesures.
[XIII] Par exemple, confrontés à la flambée des cours en 2008, les dirigeants politiques de l’Inde, l’Indonésie, l’Égypte et le Vietnam ont restreint leurs exportations de riz, tandis que le gouvernement du Kazakhstan a imposé un moratoire sur les exportations de blé (Radio-Canada 2008).
[XIV] La version intégrale de la citation originale est “States that have no laws, prohibiting the exportation of corn, are always best provided with bread: And again, when they forbid free sale and exportation, they live in such a casual precarious manner as to seem, without speaking figuratively, a sort of rent-charge upon Providence.”
[XV] Les “greniers d’abondance” sont le nom officiel des greniers publics français construits par les administrations royale et impériale.
[XVI] Harte (1764: 51-52; 116-117) tient un discours similaire près d’un siècle auparavant et conclut que « the best public granaries are vast tracts of country covered with corn… [and] the best of all public granaries or magazines, the cheapest, as well as most useful, and least dangerous, is only to be established on the basis of a full and free exportation of corn” (pp. 51-52, orthographe modifiée).
[XVII] Cette section est adaptée de Desrochers et Shimizu (2010). Nous référons le lecteur à ce texte et à Desrochers et Shimizu (2008) pour une discussion plus détaillée et de plus amples références sur la question.
[XVIII] Pour une introduction plus détaillée à la question, voir notamment http://www.ciraig.org/fr/acv.html.
Repères bibliographiques
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