SECTION IV: Poésie et fiction _ PDF
J’embrasse
Je t’embrasse chaque fois que survit en moi la folie de la vie qui m’embrasse elle-même.
Folie de me faire toucher pour mieux toucher à mon tour et en embrassant.
J’embrasse le monde et nos âmes amalgamées.
Je veux embrasser le cœur de ce Kosmos auquel j’aspire, moi qui songe à la bonne mort de l’autre côté de l’insignifiance.
Car que je vis pour hurler ma joie en embrassant ma mie et la terre mon amie.
Je vis en embrassant tout en sachant que la mort trône, magnifique, et qu’elle nous attend avec ses bras d’argent seulement si nous avons accepté de plonger dans la vie qui est la mort, la mort étant la vie… vie et mort réunies, après cette vie, avant cette vie.
Je t’embrasse chaque fois que me prend l’envie de mordre délicatement dans la chair des jours qui passent, qui passent si vite, mais qui ne passent pas si vite dans la mesure où l’on apprend à vivre en aimant passionnément.
Je t’embrasse pour la poésie qui suinte de chacun de tes pas, de chacune de tes respirations, de chacun de tes gestes quand tu bouges les doigts, quand tu ouvres les lèvres pour recevoir mon embrassement à moi.
Jean Désy
Jean Désy est né au Saguenay en 1954. Depuis, il vogue entre le Sud et le Nord, entre les mondes de l’autochtonie et de la grande ville, entre la haute montagne et la toundra, entre l’écriture et l’enseignement universitaire, entre la pratique de la médecine et la poésie, entre ses enfants et ses amours, tous éparpillés au gré de leur propre nomadisme. Il a publié vingt-cinq livres au cours des vingt dernières années, du théâtre, de la poésie, des essais, des romans, des récits et des nouvelles. Sa dernière parution: L’esprit du Nord/Propos sur l’autochtonie québécoise, le nomadisme et la nordicité, un essai, aux éditions XYZ.
Extraits tirés de Lumière noire de Nora Atalla
Chapitre premier : Le lys dans la bauge
Éditions Cornac, Québec 2010
V
les hiers vomissent
des montagnes infranchissables
j’ai vu des corbeaux
engloutir des mots
et les langues d’étoupe s’étrangler
chaque rosier renvoie
aux rochers abrupts du néant
quand dans la prière
s’unissent les métacarpes jaunâtres
et se perd
sur des planètes austères
l’écho d’une voix éteinte
j’ai vu des volcans
cracher l’amertume
le silence n’a point su
étouffer la folie
ni les larves
jusqu’à l’immonde
les poignets s’ouvrent
pour que revienne le jour
et son espoir de soleil
VI
je cherche une fiole
une relique de jours lointains
l’album de ce qui n’est plus
je cherche l’endroit
où reposent les phrases
celles que l’on souhaite
à jamais biffer
le ruban qu’on voudrait
à tout prix rembobiner
où vont se taire
les cadavres sous la guillotine
les murs n’interpellent que le silence
et les draps dehors
restent trempés de honte
VIII
nous ne voyons plus
les noms de l’innommable
nos revenants sillonnent le regard
chemins cahoteux chants funèbres
des enragés au fil des cailloux
ils passeront sur les venins des vautours
nos revenants s’en retournent
cheveux crasseux
se coucher dans le palissandre
et nous irons sur des béquilles
à travers les hélices du malheur
X
il m’arrive sur une corde de guitare
de suivre les notes échappées
le passé recomposé
alors que se posent
tes lèvres
au creux de mon enfance
dans mon cou
m’effleure ton élan
il m’arrive sur une corde de guitare
d’allonger notre chair
d’écouter s’ébattre dans le champ
pêle-mêle nos crinières
hier demain
qu’importe la froideur
au-dehors de l’igloo
il m’arrive sur une corde de guitare
de câliner tes yeux
à l’éveil des présages
Nora Atalla
Nora Atalla a les voyages et l’écriture dans le cœur et dans le sang. De Montréal au Honduras, du Congo à Kingsey Falls, elle a fini par accoster à Québec, échouant entre romans et poésie. Elle a été finaliste aux Prix littéraires de Radio-Canada 2008-2009, en poésie. Son dernier recueil, Lumière noire, vient de paraître aux Éditions Cornac.
Quand ma terre tremble, c’est mon âme qui s’effondre
Ma terre, serais-je devenu un chantre de malheur
Pour que j’aie dans la bouche un goût de sang,
Dans ma poésie les notes brisées du désespoir,
Et dans les yeux les images de la mort
Chaque fois que je parle de toi?
Ma terre livrée à la souffrance,
Champ de ruines peuplé de morts et de blessés,
Voici que je t’évoque
Comme on dit l’inexprimable,
Comme on désarticule le rêve,
Comme on viole la lumière pour assombrir le jour.
Qui me donnera une étoile pour éclairer cette nuit tragique
Où les sanglots de tes enfants ont franchi les nuages?
Qui me prêtera ses mots pour donner à l’horreur
Les contours du réel?
Ma terre, alliage de rêves et de cauchemars,
Ma terre de ronces et de diamants,
Ma terre de larmes sans fin et de joies en cascade,
Ma terre est morte avec son chant,
Ma terre est morte une nouvelle fois.
Ma terre,
Qui dira ta blessure, ta croix et ton malheur?
Aujourd’hui, l’angoisse est une muraille
Où ricoche l’espérance de tout un peuple,
Le bonheur à peine naissant rebrousse chemin
Et nos songes de clarté poursuivent leur solitude
Dans la cendre.
Ma terre n’est plus une terre :
C’est le visage pierreux des enfants qui hurlent dans la nuit,
La longue clameur des désespérés qui réveille les astres,
Le chant des hirondelles qui se dispersent dans le vent,
Les mains inertes, toujours tendues vers l’inconnu,
La douleur qui broie nos corps et nos cœurs,
La bouleversante errance des rescapés,
Le râle des mourants sous les gravats,
La fuite éperdue de l’innocence,
L’exil du rire sur les lèvres,
La morsure de l’incertitude,
Le lourd silence du néant,
La démesure de l’absence,
L’éclipse de l’avenir,
La finitude du poète
Frère d’exil comme tant d’autres qui pleurent
Dans le silence,
J’ai pourtant rêvé d’une terre promise où la saison
Des hommes est celle du bonheur,
J’ai rêvé de tant et tant de choses:
De la chanson des sources qui font jaillir la vie,
De la danse des lilas sur les joues des demoiselles,
De la semence des étoiles sur nos sentiers de solitude
Et de la résurrection des roses…
Mais la nuit s’est égarée une fois de plus dans mes mots,
L’angoisse du petit matin a étranglé ma prière
Et muselé ma langue,
La pluie a ignoré ma soif de vivre
Et j’ai emprunté la route interminable et coutumière de la douleur…
Port-au-Prince, ma plaie béante,
Corps fissuré jusqu’aux entrailles,
Lèvres ouvertes pour crier la souffrance,
Voix perdue qui bourdonne dans ma mémoire,
Métaphore de la douleur,
Berceau de cent mille orphelins,
Me voici avec le cri de tout un peuple
Qui lutte depuis l’aube des martyrs,
Qui ne désespère pas de la lumière;
Me voici avec ses rêves de poussière
Et sa poésie printanière.
Me voici, colporteur de cinq siècles de larmes
Et d’une éternité de promesses.
Ma terre, toi mon langage,
Tu ressusciteras:
Ton corps fragile porte une espérance
Plus grande que le monde
Et quand tu trembles,
C’est mon âme qui s’effondre.
Yves Patrick Augustin
Yves Patrick Augustin, né à Port-au-Prince, immigre au Canada en 2003. En 2006, il publie son premier recueil de poèmes, Mots intimes, chez les presses Agrumes. Montréal en poésie, son deuxième recueil, est paru à l’automne 2008. Son écriture est ancrée dans la mémoire et se conjugue entre silence et tendresse, nostalgie et déraison. Il est le lauréat du concours « Grand Prix international de poésie Écritout 2008 ».
Travailler la terre
Travailler la terre avec le doigté d’un sourd
Dessoucher, épierrer le tout et autour
Travailler avec la grandeur d’âme du troubadour
Étirant le pas jusqu’à l’infini du pourtour
Travailler la terre, nuit et jour
Ameublir le sol, caresser le labour
Travailler sans ménagement, sans détour
Jusqu’à ce que le pas devienne trop lourd
Travailler la terre, en faire le tour
La remuer jusqu’à ce qu’elle soit de velours
Travailler, recommencer à l’aller comme au retour
Jusqu’à ce que le pas devienne trop court
Travailler la terre, dans tous ses contours
Voir poindre, à l’aube du petit jour
Aligné, tout en rang, autant d’amour
Marquant le pas de tout un parcours
André D Beaudoin
André Beaudoin est Secrétaire général de l’Union des producteurs agricoles – Développement international (UPA DI). L’UPA DI est la branche internationale de l’Union des producteurs agricoles (UPA) du Québec. Depuis sa création en 1993, l’UPA-DI a comme mandat d’appuyer les organisations paysannes dans les pays en développement. UPA DI est présente principalement en Afrique de l’Ouest. L’organisation a deux axes d’intervention: appuyer des projets de développement agricole et soutenir la création de politiques agricoles.
Lettre de Marguerite
Malgré tout mon amour, rien ne pouvait changer le cours de tes choix, cher Faust. Laisse-moi, pars loin, tu t’es déjà causé trop de tort.
Je ne te reproche guère l’innocence que tu m’as dérobée; dans ce geste je ne vois pas de malversation, mais plutôt la source de délices la plus désaltérante à laquelle il m’a été donné de m’abreuver.
Mais dans la fatalité tu t’es jeté, tête baissée, sans tête même dirais-je. C’est ta soif de savoir qui t’a poussé à te corrompre dans la satisfaction éphémère des plaisirs de la vie, et maintenant voilà, tu le sais: à trop vouloir en savoir sur ce monde, on en perd les véritables plaisirs.
À vouloir voler trop haut, plus haut que Dieu lui-même, tel un Icare des temps modernes, tu t’es brûlé les ailes. Et que reste-t-il de notre amour? Je me suis baignée dans ta folie et j’ai noyé le seul fruit de notre union. Il ne reste désormais presque rien. Pas de satisfaction, ni même d’espoir de retour vers une vie tranquille. Il ne reste que des souvenirs, gravés dans ta tête et sur mon cœur. Que ne puis-je m’abandonner à la folie qui s’empare de moi, et dans l’insouciance retrouver toutes mes aspirations de jadis, espoirs que seule l’expérience vierge connaît. Mais j’imagine qu’il y a une dîme à payer lorsque l’on a connu le bonheur que notre amour m’a octroyé.
Aussi surprenant que cela puisse paraître, c’est à ton sort que je suis le plus sensible. Tu t’es laissé aveugler par les promesses d’un contrat scellé au prix de ton âme. Ton âme, mon cher Faust! Ton âme! Tu es désormais le plus pauvre des hommes. Tu t’es laissé berné par le Mal, et tu t’es attiré les foudres de Dieu. Je ne m’en fais pas pour ma destinée, la vie au-delà m’accueillera à bras ouverts, car ce n’est qu’au péché humain que je me suis pliée. L’homme est mauvais et, quelquefois, l’occasion de se corrompre vient nous séduire juste au bon moment. J’ai obtenu la rédemption pour mes faiblesses passées. Mais toi, mon pauvre Faust, tes choix t’ont mené bien au-delà de la bassesse permise à l’homme. Tu t’es cru supérieur à Dieu et n’as pas cru en la force de Méphistophélès. Mais tu aurais dû parce que lui croit en toi.
Je me retire désormais du souffle de cette voix qui t’empêche de te prosterner. Sous son joug je t’abandonne, mais sache que sur ton sort je me lamente et je prie. Car ne crois pas que rien ne reste de notre amour. J’aimerais y croire, mais si le mépris que tu m’inspires me fait ainsi parler, les cicatrices crient plus fort que toute ma fierté. Laisse-moi à présent faire croître les pétales de cet adonis blanc, à l’amère pluie de mes larmes.
Marguerite
Lettre d’Ophélie
Malgré tout l’amour que j’avais pour toi, rien ne pouvait rien contre toi, cher Hamlet. Adieu… Non! Reste. Entretenons-nous de ce qui aurait pu être, de ce qui aurait dû être, mais qu’aujourd’hui tu avortes. Entretenons-nous de cet avenir qui fait désormais partie du passé, entretenons-nous de nos vieux jours morts trop jeunes.
Non! Cela ne nous accablera que davantage. Mais parlons de ces démons qui te hantent, et qui t’arrachent à moi. Parlons de ce vide immense qui m’emplit. Assieds-toi, enfin.
Je ne saisis pas la métamorphose qui s’opère en toi, cher Hamlet, et qui te fait tourner le dos à l’amour que tu m’avais promis. Quels sont ces maux qui te torturent? Pourquoi puis-je les sentir me triturer le cœur, m’envahir les entrailles et assaillir mes pensées? Et pourquoi me sont-ils pourtant si étrangers? Ta douleur me fait mal, Hamlet, tellement mal que j’en oublie ma colère.
Non! Ma colère est bien vivante car, à tant t’aimer, Hamlet, je me hais. Je déteste ces pensées qui t’appellent et qui ne trouvent un écho qu’en tes promesses rompues. Je déteste aussi ce cœur qui ne suit plus la cadence de mes sentiments. En ce sein blessé, je tente d’étouffer les paroles que sans un remord tu me craches au visage. Je ne veux plus t’entendre Hamlet, car c’est ainsi que jadis je me brûlais à tes déclarations enflammées, et c’est ainsi qu’aujourd’hui je vois réduit en cendre tout espoir de félicité à tes côtés. Que dis-je? À tes côtés! Nulle part ailleurs je n’aurais trouvé un refuge si doux. Ne parle plus, car un mot de plus de toi m’imposera le silence à jamais. Vois, Hamlet, ce que mon amour pour toi me fait tant exécrer!
J’irai bercer notre douleur dans l’asile de mes souvenirs, à cette époque révolue où tu étais toi, où tu étais mien. Je ne t’en veux pas, car je sais que tu n’es plus toi-même. Hamlet, c’est ton nom que je prononce, mais en vain je t’appelle. Aussi vraie que soit ta chair ici dressée devant moi, ton corps et ton âme ne t’appartiennent plus. Odieux étranger, comment peux-tu ainsi te jouer de moi? Au couvent! Toi qui tiens le langage de Satan, c’est plutôt aux enfers que tu me jettes.
Non! Qui veux-je tromper ainsi? C’est bien toi, bien-aimé d’autrefois qui me cause tant de mal. Et si tu ne sais trouver la force de combattre tes idées noires en notre amour, alors notre attachement n’a jamais été. Comme j’aurais voulu pouvoir, d’un souffle sur ton front tourmenté, chasser ces démons qui cernent ton esprit! Mais rien, cher Hamlet, non rien, ne peut plus rien contre toi. Adieu…
Ophélie
Yasmine Ousalem
Née en 1990 au Mans (France) et habitant le Québec depuis août 1996, Yasmine Ousalem poursuit actuellement des études en médecine à l’Université Laval. Étudiante d’origine algérienne, elle est passionnée de littérature, ce qui l’a amenée à écrire des textes qui lui permettent d’avoir le sentiment d’apporter sa contribution au monde des écrits et de rejoindre le monde imaginaire de ses lectures.