Par Alexandra Lemay
Réfugiés karens de Birmanie, violence et alimentation _ PDF
La Birmanie est une dictature militaire et, depuis près de 60 ans, les Karens, comme plus d’une centaine d’autres groupes minoritaires du pays, sont violement opprimés par le gouvernement en place. On y recense jusqu’à ce jour près d’un million de morts en raison de conflits ethniques. Fort d’une armée de près 400 000 hommes, le gouvernement birman n’hésite pas à violer les droits fondamentaux des Karens, que ce soit par des expropriations, de la torture, des viols ou des meurtres.
La question de l’alimentation est particulièrement sensible pour les Karens. À cause de l’instabilité politique et la violence dont fait preuve le régime, les agriculteurs peuvent perdre leurs champs à tout moment, car les militaires birmans n’hésitent pas à les brûler et à chasser les agriculteurs quand bon leur semble. Après des années d’oppression, plusieurs d’entre eux se sont découragés de perdre leurs récoltes et de devoir sans cesse «rebâtir» leurs terres. Dans ces conditions, les agriculteurs Karens vont donc bien souvent abandonner leurs champs. De plus, puisque les militaires birmans peuvent continuellement détruire et brûler les récoltes, il existe un danger patent pour toute la population karen de ne plus avoir accès à la nourriture. Ainsi, pour les Karens, la souveraineté alimentaire est principalement liée à leur sécurité alimentaire. En effet, puisque les champs du côté birman peuvent êtres détruits, les Karens ne peuvent dépendre uniquement des cultures qui sont de ce côté de la frontière.
Face à cette situation alarmante, l’ONG Québec-Birmanie tente d’apporter sa contribution. En réaction à l’instabilité alimentaire à laquelle font face les Karens, l’ONG adopte des pratiques alimentaires particulières en plus des services d’enseignement qu’elle offre. Québec-Birmanie possède un établissement où des bénévoles donnent, entre autres, des cours d’anglais intensifs aux Karens qui désirent suivre le programme. Pour la durée de leur séjour, les élèves ont accès à une formation gratuite, à un logement et à la nourriture. Pour nourrir les bénévoles et les élèves, Québec-Birmanie a choisi de former son propre jardin. L’organisation y produit des papayes, des limes, des oranges, des herbes; un poulailler a également été aménagé. Le riz est l’unique aliment que Québec-Birmanie doit acheter à l’extérieur. En plus de représenter un avantage économique significatif -la nourriture coûtant beaucoup moins cher que si elle était achetée à l’extérieur- le fait de posséder un jardin côté thaï réduit les risques de voir les récoltes détruites et permet un meilleur accès aux cultures. Pour Québec-Birmanie, la souveraineté alimentaire s’articule donc au niveau local: elle signifie une plus grande autonomie, des économies financières et surtout une plus grande sécurité alimentaire. Elle permettra dans le futur (puisque l’organisme planifie d’acheter davantage de terres) de nourrir plusieurs Karens en situation d’urgence, de créer de l’emploi durable et de générer des profits pour faire fonctionner l’organisation.
En bref, avant de penser à une souveraineté alimentaire gérée par l’État en Birmanie, il faudra que la situation politique du pays change radicalement. Néanmoins, on peut observer que, malgré l’instabilité et la violence, de petites initiatives visant à redonner le pouvoir aux citoyens de produire et de consommer leurs propres aliments est à même de produire des résultats intéressants. C’est une manière de voir et de pratiquer le développement que certaines « méga-ONG » auraient peut-être intérêt à mettre en application.
Alexandra Lemay est fondatrice et dirigeante de Québec-Birmanie. L’organisme est situé à la frontière thaïlando-birmane, du côté thaï, et a pour objectif de soutenir les Karens, un groupe ethnique minoritaire birman. L’organisme propose principalement des services d’éducation aux Karens, soit des cours d’anglais, des cours de perfectionnement en couture, en santé ou en informatique.