Par André Beaudoin
La souveraineté alimentaire comme projet éthique _ PDF
Pour l’Union des producteurs agricoles – Développement international, la souveraineté alimentaire s’articule principalement en réaction à la perte de contrôle de l’État sur l’agriculture en faveur des traités supranationaux. Elle est donc un projet éthique qui vise à redonner le pouvoir à l’État en ce qui a trait aux politiques agroalimentaires. Même si les contextes du Nord et du Sud sont effectivement différents, la souveraineté alimentaire est fondée sur le même principe partout dans le monde, soit la capacité de maintenir une agriculture familiale basée sur les interventions souveraines de nos gouvernements.
Définir l’agriculture familiale n’est pas une tâche aisée. D’abord, il existe certains critères au plan de la gestion: l’essentiel du travail et la gestion de l’exploitation doivent être contrôlés par la famille et celle-ci doit également contrôler les leviers financiers de l’entreprise agricole. Il y a également la question de la grosseur de l’exploitation, car, comme on le sait, il existe aussi des méga-entreprises familiales. Dans ce cas, peut-on toujours parler d’agriculture familiale? Et où doit-on tracer la ligne quant à la grosseur des exploitations dans un contexte de souveraineté alimentaire? Selon moi, il y a deux critères que l’on doit prendre en compte pour répondre à ces questions: l’acceptation sociale et le contexte économique. D’abord, le contexte économique influence la grosseur relative d’une exploitation agricole: par exemple, 100 vaches au Québec et 100 vaches au Burkina Faso sont loin d’être des situations identiques. Il y a aussi la notion d’acceptation sociale. Chaque société doit se poser la question à cet égard: quand une ferme est-elle trop grosse pour être considérée comme familiale? Où tracer la ligne? C’est une réflexion commune que l’on se doit de faire en tant que société, mais il n’y a certainement pas de critère universel qui permette de répondre à cette problématique.
Environnement et OGM
Il existe un lien important entre la souveraineté alimentaire et l’environnement. Dans le contexte de production actuel, où l’on vise à toujours produire au plus bas prix, on met énormément de pression sur les ressources naturelles, ce qui nuit à la capacité de la planète de générer des aliments sains de génération en génération. Le meilleur exemple de cette dérive s’est produit en Californie. La Californie a été pendant des décennies cette région capable de produire des légumes à bas prix pour toute l’Amérique du Nord, mais à quel prix? Aujourd’hui, la nappe phréatique de cet État américain est gravement hypothéquée et il y a un affaissement très significatif des sols. C’est donc au prix d’une dégradation durable des ressources naturelles que sont l’eau et la terre que la région a développé son agriculture. Ce n’est pas le genre de modèle agricole que l’on doit défendre. La nécessité d’une approche écologique de l’agriculture dans un contexte de souveraineté alimentaire ne fait pas de doute.
Quant à la question du rôle des organismes génétiquement modifiés (OGM) dans une politique de souveraineté alimentaire, il importe d’avoir une approche nuancée. En ce sens, il importe de prendre en compte deux éléments : le lien entre les OGM et la santé ainsi que la question du contrôle des OGM par le secteur privé. D’abord, on ne peut dire à l’heure actuelle quelles sont les conséquences réelles des OGM sur la santé des populations et de la planète. Avant de trancher définitivement sur la question, il est donc nécessaire d’avoir plus d’information sur les qualités intrinsèques de ces « avancées technologiques » que sont les OGM. Or, il n’en demeure pas moins que c’est l’entreprise privée qui a pris en charge la recherche fondamentale sur les semences, et que c’est donc elle qui contrôle leur développement et qui détient l’information stratégique à ce sujet, ce qui constitue un grave problème. Il y a là un non-sens par rapport à la question des OGM. Il s’agit d’une situation que l’on devrait repenser dans un contexte de souveraineté alimentaire.
En somme, du point de vue de d’UPA DI, la souveraineté alimentaire implique des choix écologiques précis. L’agriculture doit se faire dans un souci de préservation des ressources naturelles. Cependant, la notion de souveraineté alimentaire n’indique pas catégoriquement de choix biologiques précis, puisque, par exemple, elle ne rejette pas d’emblée l’utilisation des OGM, bien qu’elle soit très critique envers leur mode de gestion.
Petites, moyennes et grandes fermes?
Dans un contexte de souveraineté alimentaire, une cohabitation est possible et souhaitable entre petites, moyennes et grandes fermes, et la politique de la gestion de l’offre en est une bonne illustration. Au Québec, il existe des fermes laitières de grosseurs différentes, par exemple de 16 et de 500 vaches, qui partagent un même territoire, ce qui est un signe que la cohabitation est effective et donc possible. L’important est que les gens se retrouvent dans le même système et soient rémunérés sur la même base, qu’ils possèdent de petites ou de grandes exploitations. À partir de là, ce sont les choix individuels qui devraient guider la grosseur des exploitations agricoles. La société ne devrait pas avoir à restreindre ces choix individuels quant à la grosseur des fermes, tant que ces choix répondent à la notion d’acceptation sociale et n’ont pas des conséquences néfastes sur l’environnement.
Politiques concrètes
En termes de politiques concrètes pouvant mettre en pratique la souveraineté alimentaire, on peut penser à trois exemples: un exemple actuel au Canada (la gestion de l’offre), un exemple actuel en Guinée (la pomme de terre) et un exemple potentiel (les institutions publiques). Du point de vue de l’UPA DI, un des éléments fondateurs de la
souveraineté alimentaire doit être la gestion de l’offre. Cette dernière, qui consiste à contrôler la production sur la base de la demande intérieure, démontre qu’il est possible de payer les producteurs à un juste prix, de permettre à l’ensemble de la chaîne agroalimentaire de vivre et d’offrir aux consommateurs des produits essentiels à un prix équitable. Il s’agit donc d’un mécanisme devant être reproduit ailleurs dans le monde. Un second exemple concret est celui de la Guinée et de sa gestion de la production de pommes de terre. Il y a 15 ans, la Guinée importait 95% de sa production de pommes de terre. À la suite des pressions des paysans guinéens, le gouvernement a décidé de négocier avec les importateurs pour qu’ils n’importent que pendant la période où le pays n’est pas en mesure de combler ses besoins de pommes de terre. La Guinée importe aujourd’hui pendant six mois et approvisionne le pays avec la production locale le reste de l’année. Le gouvernement guinéen a donc travaillé avec les importateurs pour négocier une solution médiane, et ceux-ci ont choisi de jouer le jeu. Finalement, il serait très intéressant de voir nos gouvernements favoriser l’achat local par l’intermédiaire des institutions publiques (hôpitaux, centre de personnes âgées, CPE). Il y a un grand potentiel d’action à ce niveau-là qui permettrait de mobiliser le gouvernement et les communautés dans un projet commun qui appuierait la souveraineté alimentaire.
Le rôle du citoyen
Le rôle du consommateur dans la mise en pratique de la souveraineté alimentaire est essentiellement marginal, car chercher à politiser la consommation n’est pas la solution. Ce qu’il faudrait faire est plutôt de «réveiller le citoyen», d’où l’idée de «faire agir le citoyen plutôt que de culpabiliser le consommateur». De fait, ce qui limite le consommateur, c’est qu’il agit d’un point de vue individuel, alors que le citoyen a la possibilité d’agir collectivement. Concrètement, l’action citoyenne peut se traduire de différentes façons: demander à l’État la raison pour laquelle il fait la promotion de l’achat local sans pour autant adopter ces mêmes politiques pour ses institutions publiques. Ou alors, tenter de faire de l’agriculture un enjeu électoral. Si les citoyens forçaient les gouvernements à répondre à des questions sur l’agriculture, on aurait déjà posé un premier geste important. Pour le moment, le ministère de l’Agriculture n’est même pas obligé de faire cet effort-là; personne ne lui pose de questions et donc, nécessairement, il n’a aucun intérêt à modifier ou remettre en cause ses politiques.
André Beaudoin est Secrétaire général de l’Union des producteurs agricoles – Développement international (UPA DI). L’UPA DI est la branche internationale de l’Union des producteurs agricoles (UPA) du Québec. Au tournant des années 1990, les producteurs et productrices agricoles du Québec se sont aperçus que leur pouvoir décisionnel s’effritait de plus en plus au profit des décideurs au niveau supranational. Ainsi, dans l’objectif de mieux défendre l’agriculture familiale au Québec, ils décidèrent d’aller à la rencontre des agricultures familiales dans le monde, principalement dans les pays en développement. L’UPA DI, depuis sa création en 1993, a comme mandat d’appuyer les organisations paysannes dans les pays en développement. UPA DI est présente principalement en Afrique de l’Ouest. L’organisation a deux axes d’intervention: appuyer des projets de développement agricole et soutenir la création de politiques agricoles.