Pour une politique alimentaire populaire

Par Amanda Sheedy

Pour une politique alimentaire populaire _ PDF

 

La différence entre sécurité et souveraineté alimentaire est assez importante, mais les concepts sont tout de même liés l’un à l’autre. La sécurité alimentaire fait principalement référence à la question d’accès à l’alimentation et à la production durable, mais surtout, elle est un concept moins politisé. Pour sa part, la souveraineté alimentaire reconnaît les injustices du système alimentaire actuel et vise à le transformer pour, entre autres, permettre aux peuples de reprendre la responsabilité du système alimentaire. En somme, la souveraineté alimentaire comprend la sécurité alimentaire, mais va à la base du problème et propose une solution et des changements plus radicaux que la stricte notion de sécurité alimentaire. Sécurité alimentaire Canada travaille donc avec la notion de souveraineté alimentaire, mais principalement par l’intermédiaire du projet « Pour une politique alimentaire populaire » (PPAP). PPPADepuis novembre, l’organisme chapeaute le projet, une vaste mobilisation publique qui vise à créer une politique alimentaire canadienne basée sur les piliers de la notion de souveraineté alimentaire. Le projet PPAP vise à appuyer l’élaboration d’un système alimentaire juste et durable au Canada et ailleurs dans le monde. Le PPAP adopte la définition et les six piliers de la souveraineté alimentaire tels qu’ils ont été définis au forum de Nyéléni en 2007.

La pertinence d’une coalition, comme celle rassemblée pour la mise en pratique du PPAP, est qu’elle permet une plus grande force de mobilisation et de solidarité ainsi que des échanges plus fréquents entre ses membres. Cependant, certains éléments restent à clarifier au sein de la coalition quant à la mise en pratique de la souveraineté alimentaire. D’abord, les six piliers de Nyéléni sont pertinents et féconds pour traduire la souveraineté alimentaire en actes concrets, mais puisqu’ils ont été principalement élaborés au Sud, il faut s’interroger sur la manière dont ces principes se traduisent dans le contexte spécifique canadien, ce qui ne va pas nécessairement de soi. Ensuite, la notion de «contrôle des peuples sur le système alimentaire» reste encore à définir plus clairement. Est-ce que l’on traduit ce «contrôle» par des initiatives citoyennes en dehors du système politique traditionnel (entre autres, l’agriculture soutenue par la communauté et l’échange de semences entre fermiers) ou alors est-ce davantage par le truchement de politiques gouvernementales? Comment fait-on pour concilier ces deux niveaux d’action? Bref, au sein de la coalition, il y a encore un grand travail conceptuel à entreprendre quant à la mise en application de la notion de souveraineté alimentaire dans le contexte canadien.

Défis de gouvernance

Sur le plan étatique, la souveraineté alimentaire soulève trois défis de gouvernance : le premier est horizontal, le second est vertical et le troisième concerne l’engagement citoyen. Premièrement, si l’on adopte une vision globale de l’agriculture, de l’alimentation et de la santé, comme dans le cadre de la souveraineté alimentaire, il faut aussi que nos gouvernements optent pour cette approche holistique. Ceci soulève donc la question suivante: pourquoi accepte-t-on qu’Agriculture Canada et Santé Canada poursuivent des objectifs distincts ou parallèles, alors que leurs domaines d’expertise sont liés? Il est donc important, dans une perspective de souveraineté alimentaire, qu’il y ait davantage de collaboration et de cohérence entre les ministères (au sein d’un même palier de gouvernement), que ceux-ci cessent de travailler en vases clos et qu’ils identifient des objectifs globaux et communs. Une première étape vers la mise en pratique de la souveraineté alimentaire consiste donc à améliorer et coordonner la gouvernance horizontale (entre ministères) de nos instances politiques.

Ensuite, il y a également un travail de coordination à faire entre les différents paliers de gouvernement (fédéral, provincial et municipal), afin de donner lieu à des actions plus efficaces et cohérentes. Par exemple, il est intéressant de noter que plusieurs luttes ont lieu aux échelles fédérale et provinciale pour retirer la malbouffe des écoles. Cependant, ce sont les municipalités qui octroient les permis de développement urbain. De la sorte, on remarque maintenant que les chaînes de restauration rapide se développent autour des écoles, et les enfants continuent de mal s’alimenter, mais à l’extérieur des murs de leurs institutions. Si l’on désire faire davantage que de déplacer les problèmes, il faut qu’il y ait une cohérence entre les actions des différents paliers de gouvernement, et donc une meilleure gouvernance verticale. En bref, pour bâtir une vision globale de l’alimentation, il faut d’abord revoir notre système de gouvernance afin qu’il soit en mesure de produire des résultats cohérents à l’échelle nationale.

Le troisième défi concerne le développement de notre démocratie. Il faut trouver un moyen d’impliquer les citoyens et citoyennes à un niveau institutionnel. Présentement, notre démocratie est en crise puisque les gens votent de moins en moins et ont aussi de moins en moins confiance en nos décideurs publics. L’«engagement citoyen» est une réponse à cette crise. Le concept d’engagement citoyen aspire à un système de gouvernance horizontale qui implique la société civile dans le politique de manière plus intensive par rapport à ce qui se fait actuellement (c-à-d. des consultations publiques qui imposent un échange unidirectionnel entre les groupes de la société civile et l’État). La vision de «l’engagement citoyen» en est une où les gens affectés par une décision s’impliquent dans le processus menant à cette décision, ce qui permet un échange d’information multidirectionnel et interactif entre la société civile et l’État. Ce type de démocratie nous permettrait de développer des politiques légitimes, ancrées dans les connaissances et les valeurs du peuple.

Politiques concrètes et actuelles

Plusieurs initiatives peuvent être mises de l’avant pour mettre en pratique les piliers de la souveraineté alimentaire. Par exemple, à Toronto, la banque alimentaire «The Stop» a décidé, depuis quelques années, d’élargir son horizon d’action et d’être bien plus qu’une banque alimentaire traditionnelle. Dans le même édifice qui accueille la banque et qui nourrit des milliers de Torontois à faible revenu, on retrouve maintenant diverses activités liées à l’alimentation auxquelles les citoyens sont invités à participer: cuisines collectives, jardinage collectif, projets de mobilisation contre la pauvreté, etc. Ce qui n’était jadis qu’une banque alimentaire est maintenant devenu un moyen de rejoindre les citoyens, un lieu de rencontre, d’échange et de mobilisation; bref, un véritable carrefour de foisonnement de la société civile. Cet exemple illustre bien la capacité d’action de la communauté et l’importance de s’impliquer non seulement en tant que consommateur, mais aussi en tant que citoyen dans des projets permettant de mettre en pratique la notion de souveraineté alimentaire. Car se voir strictement comme un consommateur nous limite grandement dans notre pouvoir d’action.

Amanda Sheedy coordonne le projet «Pour une politique alimentaire populaire» conçu par Sécurité alimentaire Canada (SAC), une coalition pancanadienne de différentes organisations de la société civile (syndicats de fermiers et de travailleurs, groupes autochtones, coalitions de pêcheurs, etc.) fondée en 2006 et dont l’objectif central est d’encourager le dialogue et la collaboration en faveur de politiques et d’initiatives qui améliorent la sécurité alimentaire au Canada et dans le monde.

Laisser un commentaire