Par Ismael Hautecoeur
L’agriculture urbaine: « des jardins sur les toits » _ PDF
Pour Alternatives, la souveraineté alimentaire est le droit des peuples à choisir leur politique alimentaire, mais c’est également la responsabilité de respecter la souveraineté alimentaire des autres. Ce droit doit s’exercer dans le respect de tout ce qui touche la production alimentaire: respect de l’environnement, respect des travailleurs et qualité de l’alimentation. De surcroît, la notion possède une dimension culturelle: à travers la souveraineté alimentaire, on cherche à protéger et à valoriser le mode de vie paysan au Nord comme au Sud. Quant à l’agriculture urbaine, son objectif principal consiste à promouvoir un mode de vie plus écologique et solidaire en milieu urbain par l’intermédiaire de jardins collectifs. Ainsi, l’agriculture urbaine permet de sensibiliser les gens à la production agricole et elle procure des aliments de qualité aux citoyens, ce qui s’inscrit dans le mode de pensée de la souveraineté alimentaire.
Dans un cadre de souveraineté alimentaire, ce ne sont plus les traités internationaux qui décident de ce qui se retrouve dans nos assiettes; les consommateurs ont un meilleur contrôle de ce qu’ils mangent et ils sont en mesure de manger des produits de meilleure qualité. Le gain à ce niveau est considérable. À cet égard, il est important de sensibiliser et d’éduquer la population à la qualité de l’alimentation, à l’achat local et à l’étiquetage. Mais le tout doit être encadré par certaines lois, car la sensibilisation à elle seule ne permet pas la réalisation de la souveraineté alimentaire. Par exemple, même si on décide d’éduquer les consommateurs et que l’on parvient à les convaincre d’acheter des fraises du Québec, si on vend des fraises de Californie deux fois moins cher et juste avant le temps des fraises du Québec, ces mêmes consommateurs risquent fort d’être confus et plusieurs ne feront pas le choix d’acheter localement pour des raisons financières. Ainsi, l’éducation doit être accompagnée de lois pour être efficace. Il faut toutefois spécifier que la souveraineté alimentaire n’implique pas d’interdire la vente de fraises à l’année, mais plutôt de trouver un moyen pour s’assurer que le consommateur peut faire un choix éclairé en faveur de son marché local, sans que ça ne le compromette financièrement.
En termes d’initiatives permettant de mettre en œuvre la souveraineté alimentaire, on peut citer l’exemple de la France qui, en plus de sortir la malbouffe de ses institutions publiques (comme nous avons commencé à le faire au Québec), a mis en place une politique qui incite les écoles et les hôpitaux à acheter leurs aliments dans la région où ils sont situés. Grâce à cette politique, il se crée un lien durable entre les institutions et les agriculteurs, ce qui stabilise les revenus des producteurs et limite les coûts énergétiques liés au transport des aliments.
«Des jardins sur les toits» s’inscrit également dans le cadre de la souveraineté alimentaire. L’objectif du projet consiste à augmenter les possibilités de production d’aliments en milieu urbain. L’organisme Alternatives a donc développé des modèles de production dont il fait la promotion auprès des groupes communautaires. Partout où les jardins collectifs traditionnels ne peuvent s’installer (p. ex. les toits, les balcons, les sols contaminés), il est possible de produire à l’aide de la technique du «jardinage en contenant». Cette méthode novatrice préconisée par Alternatives consiste à cultiver des fruits et des légumes dans des bacs à réserve d’eau.
Cette technique simple optimise la croissance des plantes potagères en assurant un apport constant en eau et en oxygène. Alternatives se charge d’accompagner les groupes dans les différentes étapes de mise œuvre d’un projet de «jardinage en contenant». L’organisme joue également un rôle d’intermédiaire entre les propriétaires de terrains (p. ex. l’Université McGill) et les groupes communautaires (p. ex. le Santropol roulant) qui veulent mettre en place un potager.
«Des jardins sur les toits» permet différents bénéfices en lien avec la souveraineté alimentaire. D’abord, il donne lieu à une réappropriation, par les citadins, du processus de production alimentaire. Cette réappropriation permet une sensibilisation par l’action, par l’implication dans un projet, et également, une sensibilisation par le goût des aliments. En effet, lorsque les gens goûtent aux légumes et fruits produits dans un jardin collectif, ils constatent bien souvent la différence avec les aliments des supermarchés, et accordent ainsi une plus grande importance à la qualité de leur alimentation. Les initiatives d’agriculture urbaine sont donc une manière de sensibiliser les consommateurs par une implication directe dans le processus alimentaire. Cependant, pour que le projet atteigne son plein potentiel, il reste encore beaucoup de travail à faire sur le plan municipal. À l’heure actuelle, l’agriculture urbaine n’est pas reconnue comme une pratique officielle par la ville, elle n’est pas intégrée dans le plan d’urbanisme et elle n’est pas valorisée par les arrondissements, ce qui limite beaucoup les possibilités d’action. En effet, à la Ville de Montréal, il n’y a aucun employé qui a la fonction de s’intéresser aux questions d’agriculture urbaine. Conséquemment, lorsque l’organisme cherche de l’appui pour développer des jardins, il n’y a aucune réponse politique. À court terme, le Regroupement des jardins collectifs du Québec (RJCQ) a donc comme objectif d’intégrer le concept d’agriculture urbaine au plan d’urbanisme de 2010 de la Ville de Montréal. Il s’agit d’une étape cruciale dans le déploiement d’initiatives comme «Des jardins sur les toits».
Ismael Hautecoeur est responsable du projet «Des jardins sur les toits» chez Alternatives, une ONG altermondialiste de développement international qui s’implique également au niveau local par le biais, entre autres, de l’agriculture urbaine incarnée par le projet «Des jardins sur les toits» qui existe depuis 2002. Le projet est principalement ancré à Montréal, mais il possède également des antennes au Mali, à Cuba, au Maroc, au Brésil, en Afrique du Sud et bientôt à Haïti. Alternatives préside également le Regroupement des jardins collectifs du Québec (RJCQ).