Citoyenneté et réappropriation de l’agriculture

Par Yvon Pesant

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La souveraineté alimentaire est la capacité, pour une société, de s’organiser pour assurer aux citoyens une saine alimentation, en quantité suffisante. Même s’il est complexe, dans une société comme la nôtre, de ramener de tels enjeux à un niveau très près du simple citoyen, il semble important que la population soit liée au dossier de la souveraineté alimentaire. Ainsi, même si l’on constate que la grande majorité des citoyens ont perdu contact avec l’agriculture, il est important, dans une perspective de souveraineté alimentaire, de donner la possibilité à la population de se réapproprier son agriculture et tout ce qui en découle (transformation, distribution, etc.).

Le Nord et le Sud, un développement parallèle

La situation actuelle de l’agriculture au Québec résulte de décisions de développement prises par la société et ses institutions. Après la Deuxième grande guerre mondiale et encore plus au cours des années 1960-70, les gouvernements ont choisi de s’enligner vers une consolidation et une spécialisation de l’agriculture. Il s’est donc produit une vaste industrialisation du milieu et le nombre de fermes a rapidement voire drastiquement diminué. Aussi, ceux qui sont demeurés actifs dans le milieu agricole ont été invités et grandement soutenus pour devenir de plus en plus productifs et efficaces. Tous les programmes gouvernementaux étaient axés là-dessus, au détriment de la diversification des productions et des activités de transformation à l’échelle locale. La sectorisation et la mécanisation ont contribué à sortir beaucoup de gens de l’agriculture. Évidemment, on ne peut restreindre l’explication à cette variable, car beaucoup de gens étaient désireux de quitter la campagne; à l’époque, les conditions de vie y étaient très difficiles. À cet égard, il existe un parallèle à faire avec certains pays du Sud. En Amérique latine et en Asie du Sud-Est, de grands propriétaires terriens possèdent des milliers d’acres de terre. Ici, nous n’avons pas été bousculés par ces grands propriétaires, mais finalement le résultat est à l’image de certains pays en voie de développement : peu de producteurs, beaucoup de production. La différence est qu’au Nord, nous nous sommes nous-mêmes imposé ce choix.

Les tenants du néolibéralisme, qui affirment que le statu quo est préférable et que la souveraineté alimentaire risque de nuire à la croissance économique, sont une menace directe à sa mise en œuvre. On devrait leur proposer de participer à un stage prolongé auprès des paysans sans terre de ce monde, qui se retrouvent bien souvent dans des bidonvilles sans aucune ressource. Une telle expérience leur permettrait sans doute de voir les choses autrement.

Environnement

Sur le plan environnemental, deux grands enjeux définissent les discussions sur la souveraineté alimentaire: la question des sols et les OGM. D’abord, deux dangers guettent l’agriculture en ce qui concerne les sols. Tant à l’échelle provinciale qu’internationale, on remarque une forte diminution des surfaces cultivables. Il faut donc être très vigilant à l’égard de l’urbanisation qui tend à dilapider de manière exponentielle les terres agricoles. De plus, la manière dont on pratique aujourd’hui l’agriculture est très agressive sur les sols.  Il serait nécessaire de se pencher davantage sur la question de leur conservation, puisqu’ils constituent la matière première de l’agriculture. En deuxième lieu, il importe d’aborder la question du rôle potentiel des OGM dans un contexte de souveraineté alimentaire. Lorsqu’il est question d’OGM, nous sommes dans une zone grise. Intuitivement, on ressent une certaine répulsion envers ceux-ci: avec les OGM, on fait disparaître les semences traditionnelles et les agriculteurs cultivent des plantes entièrement dépendantes de certains pesticides, ce qui est financièrement très contraignant et écologiquement questionnable. Cependant, nous restons plutôt dépendants de l’opinion des chercheurs qui sont très partagés sur la question : certains y voient un danger imminent, alors que d’autres louent les bénéfices qu’ils ont apportés à l’agriculture.

Obstacles

Il existe deux obstacles principaux à la souveraineté alimentaire. D’abord, les multinationales agroalimentaires, de par leur grosseur, leur capacité de lobbying et leur influence sur les politiques, sont un obstacle majeur à l’adoption de politiques publiques qui favoriseraient la notion de souveraineté alimentaire. Le deuxième obstacle à la souveraineté alimentaire est la faiblesse de la mobilisation citoyenne. La force de l’opinion publique pourrait être un moteur pour le développement d’une agriculture différente, mais pour l’instant, celle-ci n’est pas suffisamment impliquée dans le processus. En effet, il est possible de constater avec regret que les gens «normaux» sont absents du débat sur l’agriculture et l’alimentation. Un des gros défis des défenseurs de la souveraineté alimentaire est donc de conscientiser «monsieur-madame-tout-le-monde» à cet enjeu qui nous concerne tous en tant que citoyens. Le mode de production actuel représente un modèle de développement insoutenable à long terme. Un virage est nécessaire, mais pour cela, la population se doit d’appuyer le projet. Puisque quand la masse achète au plus bas prix, les gouvernements font une lecture de cette situation et prennent des décisions politiques en conséquence. Si la masse faisait d’autres choix, les gouvernements deviendraient politiquement obligés de suivre.

À l’échelle municipale

Il est relativement peu possible pour le monde municipal de dicter la ligne de conduite des producteurs agricoles si ce n’est, par exemple, pour le respect de certaines règles d’ordre légal comme la bande de protection minimale aux abords des cours d’eau. C’est donc à un autre niveau que le support peut et doit se faire sentir. Les priorités gouvernementales devraient viser davantage le salaire équitable et décent des ouvriers et producteurs agricoles que le financement des grandes entreprises déjà prospères. Ce n’est donc pas à l’échelle municipale, mais plutôt nationale que beaucoup d’éléments se jouent.

Cependant, il est tout de même possible de prendre certaines initiatives à l’échelle de la municipalité dans une optique de souveraineté alimentaire. En 2003, la municipalité de Saint-Marcel a mis sur pied un questionnaire concernant  l’agriculture, l’environnement, les conditions socio-économiques, les jeunes et les aînés, l’éducation, etc. afin de prendre le pouls de la population à l’égard de plusieurs enjeux. De plus, des rencontres s’adressant aux agriculteurs sous le thème «Notre développement agricole, une réflexion s’impose» ont été mises sur pied, encore une fois dans l’objectif de sonder les préoccupations des citoyens et de favoriser l’échange et la discussion entre eux. Enfin, dans le cadre des travaux de la Commission sur l’avenir de l’agriculture et de l’agroalimentaire québécois, la municipalité a présenté un mémoire intitulé «L’avenir des petites municipalités rurales dans les milieux d’agriculture intensive au Québec: le cas de Saint-Marcel-de-Richelieu» dans lequel des considérations d’ordre social, économique et environnemental ont été prises en compte.

Finalement, il est utile de souligner la politique d’achat local dont s’est dotée la municipalité. Concrètement, un cahier répertoriant les commerces et services locaux à la population de la région a été produit afin de sensibiliser et d’informer les gens des opportunités d’achat local dont ils disposent. Enfin, la municipalité se fait toujours un devoir d’encourager les commerçants locaux lorsque l’offre de produits ou de services recherchés existe.

Yvon Pesant est maire de la municipalité de Saint-Marcel-de-Richelieu depuis 2001. Saint-Marcel fait partie de la Municipalité régionale de comté (MRC) les Maskoutains et compte à ce jour 619 habitants. Monsieur Pesant, qui a déjà travaillé pour le Ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec (MAPAQ).

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