L’Union paysanne du Québec

Par Benoît Girouard

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L’Union paysanne (UP) a participé de façon active à la formation du concept de souveraineté alimentaire au sein de la Via Campesina. Pour l’UP, la souveraineté alimentaire est un «état de fait» face aux politiques agricoles désastreuses des 40 dernières années. Le modèle agroindustriel mis en place lors de la Révolution verte a abaissé les conditions de vie des agriculteurs et a miné la santé des populations du Nord au Sud. La souveraineté alimentaire est donc une alternative aux politiques agricoles actuelles qui se manifeste par différents choix: renforcer le pouvoir des agriculteurs face aux grandes entreprises agroindustrielles, favoriser l’agriculture de proximité destinée à alimenter les marchés régionaux et nationaux, permettre aux pays de mettre en place les politiques agricoles les mieux adaptées à leur population, etc. Même si la souveraineté alimentaire est revendiquée et applicable au Nord comme au Sud, elle a des applications différentes dans chaque hémisphère. Par exemple, dans certains pays du Sud, les citoyens réclament des réformes agraires ou une répartition juste des terres. Ces problématiques sont moins présentes au Québec ou, du moins, on ne les retrouve pas sous la même forme. Ainsi, même s’il existe une forme de ségrégation au niveau des terres au Québec du fait que les jeunes y ont peu accès, il n’en demeure pas moins que la problématique ne se manifeste pas du tout de la même manière au Nord et au Sud.

GirouardUn des grands objectifs de la souveraineté alimentaire est de permettre aux travailleurs agricoles d’être souverains sur leur production et donc de ne pas être dépendants des multinationales agroalimentaires. À l’heure actuelle, c’est précisément le phénomène inverse que l’on observe. Plusieurs agriculteurs sont dépendants des intrants qui leur sont vendus par les multinationales: pesticides, herbicides et OGM. En effet, il faut savoir que lorsqu’un agriculteur cultive ses terres à l’aide d’OGM, il devient nécessairement dépendant du pesticide qui correspond à la semence qu’on lui a vendue. Ainsi, pour l’Union paysanne et pour la Via Campesina, les OGM n’ont pas leur place dans un contexte de souveraineté alimentaire, car ils riment nécessairement avec la dépendance des travailleurs agricoles aux multinationales.

En plus de l’autonomie qu’elle octroie aux travailleurs agricoles, la souveraineté alimentaire permet une meilleure sécurité alimentaire et elle est bénéfique pour la santé des populations. Au Québec, à l’heure actuelle, il n’y a que 105 producteurs d’œufs. Un nombre aussi faible de producteurs pour le même aliment est un obstacle à la souveraineté et à la sécurité alimentaire de la province. Par exemple, s’il y avait une crise affectant une dizaine de producteurs au Québec, on se retrouverait dans l’obligation d’importer des œufs. Ainsi, puisque la souveraineté alimentaire soutient la multiplication des petites productions de proximité, elle amène du même coup davantage de sécurité alimentaire. De plus, la souveraineté alimentaire permet de diminuer les intermédiaires entre les producteurs et les consommateurs, ce qui augmente l’imputabilité des premiers envers les seconds. Cette imputabilité a pour résultat d’augmenter la qualité des aliments produits. En effet, dans les pays qui ont une forte souveraineté alimentaire (par exemple en Suisse), on remarque qu’il s’établit entre les producteurs une forme de concurrence quant à la qualité des aliments. Il y a donc une meilleure incitation, dans un cadre de souveraineté alimentaire, à produire des aliments sains parce que les producteurs sont près des consommateurs et se sentent responsables envers eux.

En termes de politiques concrètes pouvant encourager ou permettre la mise en application de la notion de souveraineté alimentaire, plusieurs exemples proviennent des Européens, qui sont des modèles à suivre dans le domaine. D’abord, au niveau des politiques publiques que l’État peut mettre en place, il y a la «prime à l’herbe». Un peu partout en Europe, lorsque les producteurs envoient leurs troupeaux en pâturage, ils reçoivent une prime. On peut se demander quel est le lien entre la souveraineté alimentaire et la possibilité d’envoyer ses animaux en pâturage. Il en existe bel et bien un. D’abord, le fait d’envoyer les troupeaux dehors est bon pour la santé des animaux et des consommateurs. De surcroît, cela nous rappelle que l’agriculture existe, que les aliments n’arrivent pas déjà emballés et préparés dans des contenants. De nos jours, on peut traverser de grandes zones agricoles en voiture sans voir d’animaux, sans prendre conscience que l’on est en zone agricole, et ce, même si 46% des fermes du Québec sont animales. La «prime à l’herbe» est donc une politique qui prend en compte et respecte le rôle de l’agriculture dans la société.

Toujours dans l’espace européen, il existe des incitatifs à la proximité. Par exemple, pour produire du gruyère en France, il faut obligatoirement être situé à moins de 30 km de l’usine de traitement de lait. Cette politique a pour effet de favoriser le développement de petits centres régionaux de fabrication du gruyère. De ce fait, on encourage les petits producteurs, on régionalise les productions et on limite les dépenses énergétiques en matière de transport, trois éléments en harmonie avec l’idée de souveraineté alimentaire.

Cependant, il n’y a pas que des politiques étatiques. En France, le détaillant Biocoop est un exemple intéressant d’initiative privée qui respecte la souveraineté alimentaire. La coopérative, qui a un chiffre d’affaire de 300 millions € et 300 succursales en France, a une politique d’achat local très développée. Donc, en plus d’offrir des produits biologiques, le détaillant achète prioritairement aux producteurs français. Biocoop va même jusqu’à payer des primes pour encourager les agriculteurs français à produire de façon biologique (par exemple, lorsqu’elle manque d’approvisionnement en lait bio). Il s’agit d’un modèle de détaillant qui devrait être élargi et imité à travers le monde.

En termes de politiques publiques, un autre dossier important, soulevé par l’Union paysanne dans le cas spécifique du Québec est la gestion de l’offre. Pour l’UP, la gestion de l’offre n’est pas une mauvaise politique en soi, mais c’est la manière dont elle est gérée au Québec qui pose problème. Il y a environ 40 ans, la province décidait de se prémunir d’une politique de gestion de l’offre dans l’objectif de procurer à la population certains produits de base à un prix stable. Des quotas ont donc été distribués gratuitement aux producteurs de ces aliments (volailles, lait, œufs). Or, la gestion de ces quotas a été confiée à un syndicat puissant, l’UPA, ce qui a eu comme impact de gonfler progressivement leur valeur, qui a maintenant atteint des sommes exorbitantes. Aujourd’hui, les jeunes n’ont pas accès au marché des produits sous gestion de l’offre parce que le coût initial pour se lancer en affaires est beaucoup trop élevé (posséder une seule vache pour produire du lait coûte 25 000$). De plus, cette politique a également eu comme impact de réduire le nombre de producteurs (en tout, il y a 20 000 fermes de moins qu’il y a 20 ans). Ainsi, la production agricole dans les domaines sous gestion de l’offre est contrôlée par de moins en moins d’agriculteurs, ce qui est tout à fait à l’opposé de la définition de la souveraineté alimentaire telle qu’elle a été définie plus tôt, puisqu’elle cherche plutôt à multiplier les petites entreprises agricoles. En somme, l’Union paysanne désire que l’on mette l’accent sur la dimension sociale de la gestion de l’offre plutôt que sur sa dimension économique afin de la rendre davantage en harmonie avec la notion de souveraineté alimentaire. Concrètement, le regroupement demande de décapitaliser les quotas et d’en remettre la gestion à l’État et à la société pour qu’il devienne envisageable pour un jeune de commencer une petite production de lait, d’œufs ou de volaille.

À travers ces différentes politiques en lien avec la souveraineté alimentaire, on retrouve une idée commune quant au rôle que les agriculteurs devraient jouer dans la société. L’agriculteur d’aujourd’hui a uniquement un rôle économique. Or, dans une perspective de souveraineté alimentaire, l’agriculteur doit retrouver son rôle de co-gestionnaire de l’environnement ainsi que son rôle social. Les agriculteurs ont un rôle environnemental à jouer, car plusieurs de leurs décisions ont un effet direct sur celui-ci. Ils ont également un rôle social, car ce sont eux qui nourrissent les citoyens. Le modèle agricole actuel pousse au maximum la fonction économique des agriculteurs et délaisse leurs autres rôles. Le modèle proposé par la souveraineté alimentaire vise à rééquilibrer les rôles des agriculteurs et à modérer l’objectif lié à la quantité produite, en faveur d’un objectif qui vise la qualité de la production et qui conçoit l’agriculteur comme un acteur multipartite au sein de la société.

Benoît Girouard est président de l’Union paysanne (UP), un syndicat agricole et citoyen, dont l’objectif central est de défendre les intérêts de ses membres, qui sont principalement associés aux terroirs, aux régions et au biologique. L’Union paysanne existe depuis 2001 et est membre de la Via Campesina, le plus grand regroupement d’agriculteurs au monde.

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