Le Forum social mondial tout près de chez vous! L’exemple de l’Outaouais

Par Nadia Faucher et Guy Laflamme

 

Par une froide journée de janvier 2008, une centaine de personnes ont répondu à l’appel du Collectif de l’Outaouais et participé à une journée d’éducation populaire pour célébrer la Journée mondiale d’action et de mobilisation du Forum social mondial. Il s’agissait d’une première incarnation du processus des forums sociaux dans la région. Quelques sceptiques, qui s’étaient déplacés malgré tout, ont mis en doute la pertinence d’un tel processus, alléguant qu’il existait déjà de nombreux mouvements sociaux très actifs dans la région. Mais plus tard, face au succès de l’initiative et à la réponse enthousiaste de la communauté, ces sceptiques du début ont été parmi les premiers à louanger l’événement et à suggérer la tenue d’un premier véritable forum social dans la région.

Un développement graduel

Le projet du Forum social de l’Outaouais (FSO) a pris forme de manière graduelle. Il y a tout d’abord eu la création du Collectif de l’Outaouais, en avril 2007. Quatre personnes de la région ont ainsi décidé de joindre leurs efforts dans le but d’inciter le plus grand nombre de gens de l’Outaouais à participer au premier Forum social québécois (FSQ). Après la tenue d’une première grande assemblée publique, plusieurs autres personnes se sont jointes au petit groupe de départ. Le Collectif a ainsi été en mesure d’organiser de nombreuses activités pour faire connaître le processus du Forum social mondial (FSM) en général, et le FSQ en particulier. C’est à la suite du FSQ, d’août 2007, que le Collectif de l’Outaouais a décidé d’organiser des activités dans le cadre de la Journée mondiale d’action et de mobilisation du Forum social mondial, le 26 janvier 2008.

Des quatre personnes qui ont initialement formé le Collectif, trois avaient déjà participé à des forums sociaux mondiaux. Toutes les quatre étaient cependant animées du profond désir de faire connaître l’expérience des forums sociaux aux gens de leur collectivité. Parmi les autres personnes qui se sont jointes au groupe par la suite, on retrouve surtout des gens qui possédaient déjà une bonne connaissance du processus du FSM, mais qui n’avaient encore jamais eu la chance de participer à un forum social. Pour plusieurs, le FSQ a constitué une première expérience des forums sociaux, et c’est leur désir de partager cette expérience avec les gens de leur région qui les a ensuite motivé à participer au projet du Forum social de l’Outaouais (FSO).

Une implication citoyenne et une organisation profondément démocratique

L’organisation du FSO a regroupé des personnes provenant de divers horizons, notamment des milieux syndical et universitaire, des mouvements pour la paix et la justice sociale, de groupes de femmes et d’organisations environnementales, ainsi que des personnes n’appartenant à aucun groupe en particulier. Malgré leurs affiliations respectives, les personnes participant aux réunions d’organisation, sauf dans de rares circonstances, ont toujours été présentes avant tout en tant que simples citoyennes et citoyens, et non pas comme représentants de telle ou telle organisation. Tout le monde se trouvait donc sur un pied d’égalité autour de la table, et ce, malgré les écarts considérables quant aux ressources humaines et financières des groupes représentés.

Le comité organisateur du FSO s’est rapidement doté d’une charte de principes, inspirée en grande partie des chartes constitutives du Forum social mondial et du FSQ. Ainsi le FSO adhère entièrement aux principes fondamentaux du FSM en se définissant notamment comme un espace ouvert et inclusif. Il respecte aussi le principe d’autogestion et d’auto-programmation.

Sur le plan du fonctionnement interne, le FSO s’est efforcé d’adopter une structure non hiérarchique et un processus décisionnel aussi démocratique que possible. Le comité organisateur s’est refusé dès le départ à créer des postes d’autorité ou d’accorder un statut privilégié à telle ou telle personne. Il n’y avait donc pas de présidente et de secrétaire ou quoi que ce soit de la sorte (la seule exception concerne les trois personnes désignées comme signataires du compte bancaire ouvert au nom du FSO). De plus, dans la très grande majorité de cas, les décisions étaient prises par consensus. Lorsqu’un consensus paraissait improbable, la décision était alors prise au moyen d’un vote (50% + 1).

Ces choix sur le plan du fonctionnement interne ont créé des défis additionnels, mais ils ont aussi permis d’établir une dynamique beaucoup plus enrichissante que cela n’aurait été le cas autrement. Ce mode de fonctionnement non hiérarchique a parfois été une source de frustration pour certaines personnes, mais il aura à tout le moins permis aux membres du comité organisateur de se familiariser concrètement avec la mise en pratique des principes des forums sociaux.

Pour mener à bien les différents aspects de l’organisation du Forum, divers comités de travail ont été formés : communication et mobilisation, financement, logistique et programmation. Le travail des différents comités était chapeauté par un comité de coordination. La participation à tous les comités, y compris au comité de coordination, était ouverte à tous ceux et celles qui étaient prêts à y investir le temps et les énergies nécessaires. En fait, toutes les responsabilités relatives à l’organisation du FSO ont toujours été assumées sur une base volontaire et par consensus du groupe, qu’il s’agisse d’animer les réunions, de donner des entrevues aux médias ou de toute autre tâche.

Le Forum a obtenu l’appui financier de sources diverses (syndicats, FSQ, communautés religieuses, organismes sociaux, etc.) Dans la très grande majorité des cas, les organismes donateurs ont témoigné d’un vif intérêt à l’égard du processus des forums sociaux et la plupart ont participé au FSO. Des démarches ont été effectuées auprès de différents paliers gouvernementaux, mais les montants ainsi recueillis n’ont pas été très importants et ont parfois occasionné des complications qui ont mené à une certaine remise en question de la pertinence de cette source de financement. Le secteur privé n’a été que marginalement sollicité.

D’emblée, il avait été convenu que le premier Forum social de l’Outaouais serait un événement gratuit. Cette décision visait à permettre la participation du plus grand nombre de personnes possible, y compris les plus démunis, mais elle était aussi motivée par le souci de simplifier le processus d’inscription. Toutefois, parce qu’aucun frais n’était exigé, les gens n’ont pas été incités à s’inscrire à l’avance, ce qui a compliqué l’organisation de l’événement, car il était alors impossible de prévoir le nombre de participants. Bien entendu, la décision de ne pas exiger de frais d’entrée a aussi privé le comité organisateur d’une source de fonds non négligeable. Malgré tout, l’équipe du FSO est parvenue à offrir à la population de l’Outaouais une fin de semaine inoubliable, y compris un spectacle de calibre professionnel, des conférencières et conférenciers de qualité et un buffet-santé à volonté le samedi midi, le tout entièrement gratuitement et au moyen d’un budget d’une frugalité remarquable (environ 10 000$).

Un Forum à l’image de sa région

Tout au long de la planification du FSO, les membres du comité organisateur ont cherché à tenir compte des caractéristiques de la région de l’Outaouais, notamment sa diversité linguistique et géographique. La proximité de la ville d’Ottawa contribue à donner une teinte urbaine aux mouvements sociaux de la région et donne lieu à la présence de nombreuses organisations s’intéressant à des problématiques nationales et internationales. Les membres du comité organisateur ont veillé à assurer une représentation non seulement des mouvements sociaux urbains de l’Outaouais, mais aussi de la réalité rurale de la Haute-Gatineau, du Pontiac et de la Petite-Nation. Les efforts pour mobiliser les mouvements sociaux à l’extérieur des grands centres urbains ont permis au minimum de rejoindre des groupes de la Haute-Gatineau et la communauté autochtone du Lac Barrière.

Le rôle fondamental joué par l’ensemble des personnes ayant participé à l’organisation du FSO a été de mobiliser les gens de leurs réseaux respectifs. En fait, c’est en grande partie de cette manière, par le biais des réseaux qui existaient déjà dans la région, que la majorité des participantes et participants au FSO a été mobilisée, comme en témoigne d’ailleurs l’appui officiel accordé par une cinquantaine d’organisations de la société civile en Outaouais. Des efforts non négligeables ont été déployés pour essayer de mobiliser les gens à l’extérieur de ces réseaux, mais ces efforts n’ont porté que très peu de fruits. Ce constat soulève des questions auxquelles il serait bon de trouver réponse avant l’organisation d’une nouvelle édition du FSO.

Un autre échec sur le plan de la mobilisation concerne la faible participation de la population d’Ottawa et des anglophones en général, et ce, en dépit des efforts importants déployés à cette fin et malgré le fait que plusieurs personnes participant activement à l’organisation du FSO faisaient également partie de réseaux du côté d’Ottawa. Il semble que le Forum, parce qu’il avait lieu à Gatineau, a été perçu comme un événement strictement francophone, bien qu’une grande partie des documents d’information, ainsi que les formulaires d’inscription, aient été traduits en anglais. Une partie des documents ont aussi été traduits en espagnol, ce que la communauté hispanophone a semblé apprécier si on en juge par sa participation importante au forum.

Les efforts de mobilisation et de planification, prenant appui sur les affiliations des membres du comité organisateur, ont donné lieu à une brochette d’activités autoprogrammées diversifiées et représentatives des problématiques actuelles de la région de l’Outaouais.

Une fin de semaine riche en activités

Le forum a débuté le vendredi soir par un spectacle musical mettant en vedette des talents locaux, y compris une poète-slameuse, des musiques du monde et un groupe ayant composé une chanson tout spécialement pour l’événement. Durant la journée du samedi et le dimanche matin, les gens ont pu participer à une quarantaine d’ateliers portant sur une grande variété de sujets tels que l’homosexualité, l’exploitation sexuelle, les droits humains au Salvador, le mouvement syndical, la santé et l’environnement. Ils ont aussi eu l’occasion de discuter avec la cinquantaine d’organisations représentées à la foire d’information. Pour la grande conférence, le thème de la marchandisation a donné lieu à une discussion sur la privatisation de l’éducation, les enjeux du système de santé en Outaouais, l’exploitation du corps des femmes, les industries minières et les OGM en Afrique.

Près de 500 personnes ont participé aux diverses activités du FSO au cours de la fin de semaine des 7, 8 et 9 novembre 2008. Des contacts ont été créés, des organisations se sont fait connaître et bien des idées ont été partagées. Le Forum s’est clôturé par une assemblée des mouvements sociaux qui a donné lieu à la mise sur pied de trois groupes de travail responsables d’assurer un suivi sur trois questions en particulier. Le premier groupe devait travailler sur les activités des compagnies minières canadiennes à l’étranger ; le deuxième sur la question de la marchandisation et le dernier visait la constitution d’une assemblée citoyenne devant mobiliser la population en vue des élections provinciales. Chacun des groupes a tenu un certain nombre de rencontres, mais ils n’ont pas été en mesure de conserver leur élan initial et leurs activités ont depuis pris fin.

Et maintenant?

L’organisation d’un forum social régional au moyen d’un comité strictement bénévole, formé de personnes souvent déjà actives au sein d’autres mouvements sociaux, comporte d’importants défis ainsi qu’un risque d’épuisement pour les personnes impliquées dans l’organisation. À la suite du Forum, l’équipe du FSO a pris une pause bien méritée de plusieurs mois, limitant ses activités à la tenue d’un processus d’auto-évaluation et à l’envoi de remerciements à toutes les organisations et personnes ayant contribué au succès du Forum.

L’idée de tenir un autre forum social en Outaouais a été soulevée à diverses reprises, mais un tel projet ne verra le jour que dans la mesure où un nombre important de personnes se diront prêtes à mettre la main à la pâte. La tenue de la 2e édition du FSQ a toutefois amené la région de l’Outaouais à s’activer de nouveau pour mobiliser la population dans le but d’assurer une forte présence de l’Outaouais au FSQ. L’équipe du FSO commence aussi à discuter de l’organisation possible d’une nouvelle journée d’action et de mobilisation en janvier 2010, pour souligner le 10e anniversaire du processus du Forum social mondial. L’élan se poursuit…

Nadia Faucher et Guy Laflamme travaillent respectivement pour l’ONG Inter Pares et le Syndicat des Travailleurs et Travailleuses des Postes (STTP). Ils sont tous les deux membres du Collectif de l’Outaouais, qui a organisé le premier Forum social de l’Outaouais. Pour plus d’informations sur ce forum : http://forumsocialoutaouais.blogspot.com

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