Par Daniel Tessier
Le Forum social lanaudois (FSL) s’inscrit parfaitement dans la mouvance des forums sociaux mondiaux et locaux qui se tiennent déjà depuis plusieurs années. Espace public, critique, participatif et inclusif, le FSL veut permettre à tous les citoyens, mouvements sociaux et organismes de la région de prendre la parole, débattre, s’exprimer et échanger sur les réalités et les enjeux lanaudois dans un contexte de mondialisation et de néolibéralisme.
L’idée même de créer un Forum social dans Lanaudière a été rendue possible par une culture de solidarité constamment renouvelée dans la région. Lanaudière est une région neuve au Québec. On se rappelle la division qui a perduré plusieurs années entre le Nord et le Sud de la région. Les groupes sociaux, les solidarités n’ont pas été épargnées par de telles divisions. Mais la nécessité de s’unir pour mener des luttes communes, comme pour réclamer un investissement équitable en santé du gouvernement par rapport aux autres régions, a brisé cette division. Une grande coalition d’organismes fut ainsi créée dans les années 1990. Puis, à l’occasion du Sommet des peuples de Québec en 2001, un petit groupe d’organismes syndicaux et communautaires s’est réuni pour organiser ce qui allait devenir la plus grande mobilisation dans la région de tous temps. Cette coalition, la coalition lanaudoise sur la mondialisation, fière de ce succès devint permanente et continua de faire de l’éducation populaire particulièrement sur les enjeux de la mondialisation. C’est cette même coalition devenue entre temps Solidarité Lanaudière qui a pris sur elle d’organiser un atelier au premier Forum social québécois de 2007. Cet atelier avait comme thème : est-ce que nous organisons un forum social dans Lanaudière ? Nous connaissons la réponse…..
Ce que vous ignorez peut-être c’est que les membres de Solidarité Lanaudière n’avait pas la moindre idée du défi que cela représentait !
L’organisation
Nous avons structuré l’organisation du forum social selon la même formule que les autres forums. Les rencontres se faisaient d’abord aux mois puis au deux semaines. Au fur et à mesure les rangs du comité organisateur se sont élargis accueillant à chaque fois de nouvelles forces, de nouvelles idées. Généralement tous les organismes étaient présents à chaque rencontre. Ce fonctionnement tenait lieu et place d’assemblée générale. Il y a eu la formation des comités de programmation, de logistique, de communication, de finances, etc.. Les bénévoles ont bénéficié d’un soutien tout à fait particulier.
La première tâche à laquelle s’est attelée l’organisation fut la rédaction d’une charte. Bien au-delà du copier-coller, ce texte a suscité de très nombreux débats. Mais nous y sommes arrivés. C’est dans le cadre de ces réflexions, et avec la ferme volonté d’élargir nos rangs que nous avons décidé d’unir nos forces avec la Conférence régionale des élus qui voulaient également de leur côté organiser un forum social la même année.
Il est cependant vite apparu des divergences idéologiques notables qui nous entravaient dans l’élaboration même de la charte et des axes de notre forum. Le résultat : les gens en économie sociale de la CRE décidèrent de couper les liens organisationnels mais de s’inscrire dans les activités du FSL.
La deuxième tâche fut de localiser notre forum. Comme les maisons d’enseignement paraissaient à l’évidence comme des lieux idéaux pour tenir le FSL nous avons contacté les deux plus gros Cegep de la région soit Joliette et L’Assomption et comme ce dernier nous a ouvert les portes et cela tout à fait gratuitement il s’est imposé comme le seul choix logique.
Organiser un forum social fut l’occasion de faire les choses autrement
D’abord sur l’accès
Encore là, après d’intenses discussions nous avons décidé que le FSL serait accessible à tous et à toutes moyennant une somme de 10 dollars. Cette somme donnait accès à toutes les activités du forum, y compris les deux repas du samedi, les spectacles du vendredi et du samedi, aux kiosques, aux expositions, au programme officiel et bien sûr aux ateliers. De plus il fut entendu qu’une série de billets seraient disponibles pour ceux et celles qui n’auraient pas les moyens de défrayer les coûts d’admission et que ces billets seraient discrètement distribués par les organismes communautaires, sans autre forme de contrôle. Concernant les inscriptions, nous avons privilégié Internet, malgré quelques doutes et le stress de voir ces inscriptions arriver à la dernière minute, ce qui a donné des sueurs froides au comité de logistique.
La question de la nourriture
Dans l’esprit du comité organisateur, pour garder le monde sur le site du FSL il fallait offrir de la nourriture à l’ensemble des participants sur les lieux mêmes. Par un curieux concours de circonstance, alors que nous sollicitions les SADC ( Société d’aide au développement des collectivités), pour le financement du FSL, ceux-ci se sont montrés intéressés à s’investir dans la livraison de la nourriture puisqu’ils sont déjà impliqués activement dans la promotion des produits agricoles de la région. Nous avons donc conçu un plan où la totalité de la nourriture serait fournie par les producteurs de la région et préparée par deux organismes d’insertion des jeunes en milieu de travail qui délivreraient cette nourriture pour chacun des repas. On parle de 500 personnes à nourrir à deux reprises ! Le vin provenait également de producteurs de la région. Et cela a fonctionné ! Pas sans difficultés, mais avec un grand succès, les participants ont pu apprécier une nourriture de très haute qualité, et produite localement !
L’environnement
Nous avons voulu faire de ce forum une activité éco-responsable. Dans la mesure où nous avons minimisé les impacts négatifs et maximisé les retombées positives engendrées par le FSL nous croyons y être arrivé. Ainsi nous avons utilisé de la vaisselle durable pour les deux repas et des tasses pour le café, le papier a été utilisé au minimum, les inscriptions se faisaient par Internet, l’utilisation de contenants recyclables lors des deux soirées, le compostage des matières résiduelles, la mise en place d’un système de covoiturage, un kiosque sur les gaz à effet de serre, la plantation de 1000 arbres, l’utilisation à plus de 80 % de produits locaux pour la nourriture, la vente de bière et vin uniquement locaux, la mise à la disposition de transport adapté pour les personnes handicapées, la distribution de café et thé biologique et équitable, le don de la nourriture restante à des banques alimentaires.
La création
Plusieurs prestations artistiques ont été présentées lors du FSL. Mentionnons par exemple, la production d’un toile collective, de la musique Attikamek offerte par Saquay Ottawa, le lancement d’un livre sur la préservation des archives régionales, la présentation d’un vidéo sur le patrimoine vivant, le spectacle du premier soir animé par Sainte-Cécile Bleus band, un orchestre de la région et le samedi une animation des Zapartistes, la présence d’une écrivaine en résidence et d’ un slammeur-observateur nous offrant des reflets de nos délibérations. De plus, plusieurs moments du forum, de ses ateliers, et de ses prestations artistiques ont été gravés en mode numérique par une télévision communautaire de la région.
Les finances
Le FSL a coûté près de 100 000 $. De ce montant plusieurs contributions natures comme le prêt des locaux gratuitement par le CEGEP de L’Assomption, la réduction des coûts par notre serveur Internet, la gratuité des travaux exécuté par notre graphiste, des cachets réduits offerts par les artistes, etc… Une très grande variété de contributions, principalement des organismes organisateurs ont permis des rentrées d’argent significatives. D’autres sommes sont provenues de plusieurs organismes. Finalement tous les députés, tant au niveau national que provincial ont contribué. Nous avons pu ainsi terminer le Forum social lanaudois avec un surplus budgétaire qui va servir à assumer certains suivis du FSL, de faire la promotion du 2e FSQ, et d’assurer un budget de départ à un éventuel 2e FSL.
Seule ombre au tableau, la contribution pratiquement inexistante de la Conférence régionale des élus. En effet hormis la participation à la programmation, et une contribution de la Ville de L’Assomption, aucune somme n’est venue du monde municipal lanaudois. À la lumière de ce qui s’est passée dans d’autres régions, cette attitude est pour le moins surprenante.
Globalement l’organisation du FSL fut un défi extraordinaire. Une immense œuvre de création collective, c’est ce que les organisateurs comme les participants et participantes retiennent..
La plus grande difficulté fut sans conteste le fait d’organiser une telle activité sans savoir combien de participants nous aurions…Tant au plan de la logistique que des finances il a fallu jouer aux équilibristes pour planifier ainsi dans l’incertitude totale. D’autant plus que les inscriptions rentraient au compte-goutte au début.. et que nous n’avons su que deux semaines avant quelle tournure le FSL prendrait en terme de participation….
Nous avons été confrontés à d’autres difficultés évidemment. L’invitation faite à un député de la région de présenter un discours à l’ouverture fut lourdement questionnée. Autre situation très difficile à vivre fut l’accident malheureux de monsieur Aimé Despatie : après avoir fait une chute sur les lieux même du FSL, ce vieux monsieur, bâtisseur de la région, est décédé quelques heures plus tard, jetant l’ensemble des participants dans la consternation.
La participation
D’une manière tout à fait arbitraire, comme c’était la première fois que nous organisions un tel forum, nous avions fixé un objectif de participation de 500 personnes. Bien que le 25 avril dernier la température frôle les 27°C, soit la plus belle journée depuis l’été précédent, nous avons atteint cet objectif ! Des gens de tous les coins de la région, beaucoup de jeunes, plusieurs Attikameks, dont le grand chef de Manouane lui-même, plusieurs élus ont assisté au forum. Nous avons eu droit à la tenue de 70 ateliers, soit un immense succès si on considère qu’il s’agit de notre premier forum social.
La concertation
Un autre des grands succès du FSL fut l’extraordinaire concertation du milieu. À partir du noyau des organismes membres de Solidarité Lanaudière, plusieurs autres organismes régionaux ont joint les rangs du FSL. Pendant plus d’un an, avec un rythme de rencontres de plus en plus soutenus ils se sont impliqués de façon exemplaire et avec une discipline magnifique. Juste pour ces liens créés, pour ces solidarités établies, l’organisation du FSL fut une expérience riche, porteuse d’avenir et structurante pour la région.
Les résolutions
Le fonctionnement du forum prévoyait que chaque atelier pouvait ramener en plénière du dimanche une ou plusieurs résolutions. C’est à cette plénière que furent ainsi débattues puis finalement adoptées 48 résolutions. En voici quelques exemples.
-Développer la démocratie participative dans nos municipalités et tous lieux décisionnels pour favoriser un meilleur développement
-Le Forum social lanaudois se prononce contre toute forme de privatisation des services publics
-Appuyer et publiciser le projet de la déclaration de revenus simplifiée pour les aînées et les aînés
-Faire pression auprès des élues et élus lanaudois pour obtenir des programmes d’aide pour les
ménages à faibles revenus afin d’atténuer les impacts des hausses des prix de certains services
publics de base (électricité, télécommunications, etc.)
-Qu’une campagne de sensibilisation soit faite au sein de la population lanaudoise sur les impacts négatifs de la Fondation Chagnon
-Favoriser l’identification et l’accessibilité des produits alimentaires locaux pour les consommatrices et les consommateurs lanaudois
-Que l’ensemble des acteurs socio-économiques lanaudois (CEGEPS, UPA,…) reconnaissent l’importance du développement de la filière plantes à fibres de l’agriculture au marché
-D’ici 2 ans, éliminer complètement le suremballage, les sacs de plastique et les contenants de polystyrène de la région de Lanaudière
-Améliorer la qualité de l’eau et promouvoir des bonnes pratiques d’utilisation et de gestion de
l’eau, notamment, en diminuant et en contrôlant la propagation des algues bleues dans Lanaudière
-Appuyer les agricultrices et les agriculteurs dans leurs démarches visant une saine gestion de l’environnement
-Créer une carte municipale d’accès culturel à prix abordable pour les citoyennes et les citoyens de tous âges dans Lanaudière
-Contrer le décrochage scolaire par l’intégration d’activités artistiques et culturelles pour les étudiantes et les étudiants en augmentant le temps d’enseignement des arts et de la culture
-Fournir de l’information et des moyens pour aider les familles en difficulté et favoriser une meilleure présence des parents auprès des enfants, les procédures pour la réunification familiale de ces personnes
-Que le FSL soutienne les revendications et actions de la Marche mondiale des femmes
Les suites
Il est évident que la mise en œuvre de ces résolutions relèvent maintenant des organismes qui les ont proposées. Mais de plus, Solidarité Lanaudière va, dès cet automne regarder les possibilités d’élaborer des solidarités pour faire en sorte que ces résolutions prennent vie.
Autre suivi important : la mobilisation pour le 2e Forum social québécois. En effet les organisateurs du FSL se sont engagés à travailler à la mobilisation du FSQ pour faire en sorte que les organismes de la région mais aussi les citoyens et citoyennes de Lanaudière participent massivement au FSQ !
Daniel Tessier est président du Conseil central de Lanaudière (CSN), et membre du comité d’organisation du Forum social lanaudois. Pour plus d’informations sur ce forum : http://www.forumsociallanaudois.org