Par Mathieu Leclerc
Laval. Qui n’a jamais entendu tous les clichés attribués à cette ville de la couronne nord de Montréal? On dit d’elle qu’elle est construite pour les automobiles, qu’elle est le royaume du centre d’achat, que son maire est un roi réélu à vie, que ses citoyens-nes ne pensent qu’à avoir la plus belle pelouse et la plus belle entrée de garage du quartier, que c’est le paradis des « tempos », qu’il n’y a pas de pauvreté, etc. Mais au-delà des idées reçues et des légendes urbaines, une toute autre réalité est observable. Il y a de la pauvreté à Laval et elle est notable! Et un des principaux obstacles pour contrer cette pauvreté, c’est que Laval n’a pas une culture de mobilisation. Malheureusement, comme dans d’autres villes de banlieue, la mobilisation citoyenne et l’implication sociale ne sont plus nécessairement ancrées dans les mœurs et valeurs de la grande majorité des citoyens-nes. On constate, de plus, qu’en dehors des organismes communautaires par exemple, il y a de moins en moins de lieux pour que le pouvoir citoyen puisse s’exprimer et avoir un réel impact sur les milieux de vie. Possiblement par manque de lieux de réelle concertation et d’action citoyenne, nous avons comme d’autres constaté que la plupart des gens ont perdu cette habitude de s’impliquer au sein de la collectivité. L’organisation d’un forum social à Laval constituait donc tout un défi!
Un ancrage communautaire
Ce constat de la difficulté de mobiliser les citoyens-nes, n’est pas propre qu’à la région de Laval. On constate aussi que dans plusieurs régions du Québec ce défi est omniprésent. Les groupes communautaires quant à eux, ont à répondre à des demandes croissantes de « services » de la part des populations les plus vulnérables. Ces demandes croissantes ont un effet direct sur l’affectation des ressources et sur certaines orientations de ces groupes, notamment au niveau du développement communautaire et d’actions qui visent la transformation sociale. De plus, comme leur financement stagne plus souvent qu’autrement, voir est en baisse par rapport au coût de la vie, ils doivent donc répondre aux besoins de la population sans ajout significatif au financement de la mission. En se concentrant sur la prestation de services à leurs membres qui requiert toutes leurs énergies et toutes leurs ressources, les groupes communautaires n’ont malheureusement plus le temps d’agir sur deux des éléments importants qui définissent l’action communautaire autonome (ACA) : Le développement communautaire et la transformation sociale. C’est face à ce constat dressé au cours des dernières années, que les groupes communautaires de Laval ont décidé de retourner à la base de leur « mission sociale », en initiant une grande démarche de développement social : Celle du Forum social de Laval. Cette démarche a été bâtie selon des valeurs propres au communautaire, soit le renforcement des capacités (empowerment), la transformation sociale, l’éducation populaire autonome, les pratiques alternatives, l’amélioration des milieux de vies, etc, mais aussi selon celles véhiculées par les forums sociaux mondiaux, soit la justice sociale, le développement durable, la solidarité et la démocratie participative, puisqu’il s’inscrit dans leur foulée.
Face à cet ambitieux projet, le défi des groupes communautaires était de parvenir à rejoindre les citoyens-nes non-réseautés, ceux et celles qui ne sont jamais entendus ou écoutés. Il importait donc que cette démarche s’adresse à l’ensemble de la société civile lavalloise. Pour y parvenir, les groupes communautaires ont invité toutes les organisations de la région à se joindre à eux dans cette démarche. Ainsi, non seulement le communautaire, mais aussi les organisations du milieu de l’éducation, de la santé, syndicales, sociales, environnementales, gouvernementales, municipales, etc, se sont joints à eux dans l’organisation et la mobilisation des citoyens-nes de Laval. En tout, c’est plus d’une trentaine d’organisations qui se sont jointes aux organismes communautaires dans ce projet d’envergure. Plusieurs partenaires et citoyens-nes ont siégé chacun-ne sur au moins un des sept comités organisateurs de la démarche, leur permettant ainsi de jouer un rôle actif dans son organisation et sa mobilisation.
Une démarche en deux temps
Cette démarche s’est décliné en deux temps : Les forums locaux et le Forum social régional. Dans les deux cas, l’objectif était de permettre aux citoyens-nes de discuter des enjeux qui les touchent, d’identifier les lacunes à dépasser, trouver des solutions et voir comment ils pouvaient s’impliquer activement pour mettre ces solutions en pratique. Ainsi, l’objectif ultime de la démarche était la réappropriation du pouvoir politique par les citoyens-nes, la transformation sociale POUR les citoyens-nes, PAR les citoyens-nes. L’avantage certain de cette démarche était de re-familiariser les citoyens-nes à la concertation en tenant des forums locaux dans leurs quartiers où ils pourraient discuter des enjeux qui les touchent directement dans leur milieu de vie, leur permettant ainsi d’être outillés pour discuter ensuite des enjeux régionaux lorsqu’ils se présenteraient au Forum social de Laval. Cette logique constituait une belle démonstration de ce que sont le renforcement des capacités et l’éducation populaire. De plus, cela démarrait résolument la mobilisation des collectivités pour le Forum social de Laval.
De novembre à décembre 2008, les organismes communautaires de Laval ont tenu neuf forums locaux dans les quartiers de Laval, qu’ils ont organisés grâce au soutien de leurs partenaires, réunissant ainsi près de six-cent personnes au total. Les débats auxquels étaient conviés les citoyens-nes lors des forums locaux portaient sur tous les thèmes reliés aux différents aspects de la vie des citoyens-nes. Ainsi, l’environnement, l’écologie, le logement, l’aménagement urbain, les services publics et para-publics, l’emploi, la pauvreté, le développement économique, les problèmes de la rue, la sécurité, la démocratie, le pouvoir populaire, l’art, les communications, le milieu culturel, l’identité culturelle, l’appartenance à la communauté et le soutien aux initiatives citoyennes sont tous des thèmes qui ont été proposés aux citoyens-nes et soumis aux débats. Pour chacun de ces thèmes, ils ont ainsi pu exprimer leurs doléances, leurs craintes, leurs espoirs, leurs idées, leur volonté d’agir, etc… Ces forums locaux ont permis aux citoyens-nes d’identifier des améliorations à apporter dans leur quartier pour les thèmes qui les préoccupaient le plus et de cibler des pistes de solutions auxquelles ils pourraient prendre directement part. Ces pistes de solutions ont mené à des projets citoyens que nous avons appelés « initiatives locales ». De ces initiatives locales qui ont émergé lors des forums locaux, plusieurs ont été réalisées et plus d’une dizaine sont en cours de réalisation, animées par des comités de citoyens-nes. Par exemple, notons des projets tels que : l’intégration des immigrants-es (fêtes de quartier et jumelage), l’amélioration du transport en commun (rencontre avec les dirigeants de la STL), l’accessibilité aux commerces pour les aînés (service de livraison), l’écoresponsabilité (création d’éco-quartiers et plantation d’arbres), etc. Chacun de ces projets a été conçu à l’initiative de citoyens-nes et par des citoyens-nes, avec le soutien des organismes communautaires de Laval.
Second moment, du 24 au 26 avril 2009 au Collège Montmorency, a eu lieu le Forum social de Laval qui a réunis plus de cinq-cents personnes, dont près de cent-vingt bénévoles et cent-cinquante organisations. Il avait pour objectifs de permettre aux citoyens-nes d’échanger et de débattre sur les enjeux de leur région en prenant part à une multitude d’activités (trente-neuf ateliers, vingt-quatre kiosques, six spectacles et deux conférences/plénières), mais aussi de permettre aux citoyens-nes de se mettre collectivement en action pour les améliorer. Ces actions régionales, nous les avons appelés les « Chantiers régionaux ». En tout, c’est cinq chantiers régionaux qui ont été ainsi créés lors du Forum social de Laval. Leurs thèmes ont été directement inspirés des principales préoccupations exprimées par les citoyens-nes ayant participé aux forums locaux. Chacun de ces chantiers a mené à la réalisation d’un projet concret pour améliorer la région sur un aspect précis choisi par les citoyens-nes. Ces chantiers régionaux sont : L’accueil et l’intégration des néo-québécois (1), le transport en commun (2), les quartiers écoresponsables (3), l’agriculture locale (4) et l’aménagement piétonnier et cycliste (5). Des comités de citoyens-nes, épaulés par les groupes communautaires, travaillent sur chacun de ces projets jusqu’à sa réalisation.
La Corporation de développement communautaire regroupant quatre-vingt-seize organismes communautaires de Laval étant l’instigatrice de cette démarche, elle se fait un devoir de soutenir et d’outiller les leaders de ces comités dans leurs travaux. Ainsi, les projets initiés par les citoyens-nes ne risqueront pas d’être tablettés.
Un succès en écoresponsabilité
L’ensemble de la démarche ayant mené au Forum social de Laval était une démarche écoresponsable. Depuis le tout début des travaux dans le cadre de ce projet, tous les efforts ont été déployés afin d’en minimiser les impacts néfastes sur l’environnement. Ainsi, autant dans l’impression de documents, le choix des fournisseurs, l’économie d’énergie, la gestion des matières résiduelles, qu’au niveau de la sensibilisation de la population aux pratiques écoresponsables, la préoccupation environnementale était omniprésente. Sur le plan des résultats, 75% des matières résiduelles engendrées par le Forum social de Laval ont été détournées des sites d’enfouissement et ont pu être réutilisées ou recyclées, et 73% des personnes ayant participé au Forum social de Laval ont utilisé un moyen de transport vert (covoiturage, marche, bicyclette, transport en commun, etc…) pour s’y rendre. De même, l’organisation des forums locaux a aussi été réalisée localement afin de minimiser l’impact de chaque forum sur l’environnement, et ce, avec succès. Nous sommes donc particulièrement fiers de notre bilan écoresponsable!
Un défi exigeant, mais bénéfique
Une démarche comme celle que nous avons réalisée à Laval a été particulièrement exigeante, puisqu’en plus d’organiser un forum social, ce qui en soit représente énormément de travail et de mobilisation, nous avons organisé neuf autres événements similaires pour tous les quartiers de Laval. Cela a représenté une somme d’heures de travail considérable que se sont partagées les groupes communautaires et partenaires ayant mis la main à la pâte. Chacune des personnes y ayant travaillé activement en est ressortie épuisée, mais avec le sentiment profond qu’ils avaient accompli là une grande chose. Non seulement les citoyens-nes de Laval ont-ils répondu à l’appel en grand nombre, mais en plus, leur participation et leur appropriation de la démarche a dépassé nos attentes. En effet, la réponse citoyenne face à l’invitation à devenir eux-mêmes des « agents de transformation sociale », a été particulièrement impressionnante. On a pu le constater par le taux d’implication élevé des citoyens-nes dans les projets qui ont été mis en branle. De même, tous les commentaires recueillis à la sortie du forum tant auprès des participants-es que des partenaires, en venaient à la même conclusion, soit que cela avait été un exercice particulièrement bénéfique et stimulant. Tous et toutes sont unanimes pour affirmer haut et fort que pareille démarche était nécessaire à Laval et que la tenue d’un deuxième forum social lavallois d’ici quelques années serait un incontournable. Le développement d’une culture de mobilisation des collectivités est bel et bien amorcé à Laval et cela ne peut que croître si elle est alimentée régulièrement. Un forum social permet aux citoyens-nes de se réapproprier l’agenda politique, de prendre en charge eux-mêmes le développement de leur région. Cela peut faire peur à certains détenteurs du pouvoir, mais après tout, peut-être que cette peur pourrait permettre de relier à nouveau la réalité quotidienne des citoyens-nes à l’agenda politique des politiciens-nes. Dans tous les cas, la table est mise! Et nous le savons, lors de notre prochain rendez-vous, les lavallois-es répondront à l’appel!!!
Mathieu Leclerc est agent de recherche et développement à la Corporation de développement communautaire (CDC TROC) de Laval. Il était membre du Comité d’organisation du Forum social régional de Laval. Pour plus d’information sur ce forum : www.forumsocialdelaval.org