Par Thalie-Anne Provost
Lors de la tenue du premier Forum Social Mondial à Porto Alegre en 2001, a émergé en parallèle un espace de pratiques alternatives : le Campement Intercontinental de la Jeunesse (CIJ). Cette formation spontanée fut rendue possible grâce à la détermination de certains buts liés aux pratiques : l’autogestion, la coopération et la démocratie directe, le renversement des rapports de forces des pouvoirs traditionnels, le respect de l’environnement, le travail solidaire, etc. Depuis 2001 avec ses 2000 participants, le CIJ s’est transformé, s’est adapté à la demande. Si bien qu’à Belém en janvier 2009, ce sont deux campements distincts qui se côtoyaient : le « traditionnel » Campement Intercontinental de la Jeunesse et l’Écovillage temporaire utopiste d’Aldea da Paz ou campement de la Paix. Quelles étaient les différences notables entre les deux campements et leur dynamique de fonctionnement?
Aldea da Paz
Dans un premier temps, analysons ce qu’était cette entreprise utopiste d’Aldea da Paz.
Un peu en retrait des principaux lieux d’activités du Forum sur le campus de l’UFRA (Universidade Federal Rural da Amazônia), le campement de la Paix abritait quelques 250 campeurs venus de multiples endroits. Le pari? Appliquer concrètement les alternatives discutées pendant le Forum en créant un éco-village pacifiste où, entre autres, la notion de hiérarchie serait absente. Différents principes directeurs maintenaient la cohésion entre les participants et assuraient le bon fonctionnement : l’autogestion, la démocratie directe, le respect de l’environnement et de la diversité, l’éducation continuelle, la participation aux travaux de la communauté… Le principe d’autogestion était, sans nul doute, une base primordiale à cet espace de rencontre et de pratiques alternatives que l’ont pourrait qualifier de socialiste-anarchiste.
Trois fois par jour, soit avant chaque repas, une assemblée générale était convoquée pour l’ensemble de la population « aldea-da-pazienne » afin de discuter des affaires communes et distribuer les tâches quotidiennes. L’autogestion s’exprimait aussi à travers la construction d’infrastructures communautaires pour la viabilité de tous. En effet, douches, toilettes, cuisine et autres furent construits sur une base volontaire mettant à profit les habiletés de tous, tout en suivant la logique de respect de l’environnement. Par exemple, un biologiste présent sur place construisit un filtre pour les eaux usées de la cuisine, entre autres, utilisant un système de trous reliés par des canalisations le tout filtré par diverses plantes et roches. Cette illustration démontre bien le caractère participatif d’Aldea da Paz où l’esprit coopératif se veut plus efficace que celui de compétition.
Pour ce qui est de l’absence de hiérarchie, une série de règles avait été instaurée pour le mieux-être de chacun et chacune. Parmi eux, l’alcool et le tabac d’origine industriel était prohibés, ou plutôt, fortement déconseillés. Le village, reposant sur une idée de paix et de respect, compte plutôt sur le bon vouloir de chaque participant et la conscience qu’il a de la relation qu’il a avec les autres et son environnement.
Aldea da Paz, même sous sa façade idéaliste, renferme néanmoins en elle-même quelques problèmes, voire contradictions. L’endroit n’étant pas un espace fermé, ses participants ne vivant pas en autarcie, il vit en osmose constante avec le Forum. Les allées et venues sont fréquentes, Aldea-da-paziens et curieux se mélangent alors rapidement sur le terrain même de la communauté. Certains, peut-être les plus aliénés par la société de consommation individualiste et le système oppressif dans lequel nous vivons, ont d’ailleurs vite profité de la « gratuité » des repas sans toutefois vouloir prendre part à la distribution des tâches. Cet exemple démontre à quel point il n’est pas aisé de faire cohabiter des mentalités différentes dans un endroit qui se veut alternatif.
Campement Intercontinental de la jeunesse
Regardons maintenant du côté du Campement Intercontinental de la Jeunesse. Les estimations du nombre de participants variaient entre 5000 et 30 000. Difficile d’évaluer en fait. Entre ceux qui ont fait la file une demi-journée pour s’inscrire et ceux qui ont décidé de simplement « squatter » un bout de pelouse, le tout agrémenté d’un va-et-vient constant, les évaluations sont très variables. Peu importe le chiffre, il y avait beaucoup de gens. Beaucoup. Le terrain principal était situé sur le chemin qui se rendait aux différentes tentes thématiques de l’UFRA. Bizarrement, cette pépinière de l’altermondialisme, prenait place dans une plantation d’hévéas[1]. La grande quantité d’individus rendait difficile l’application des mêmes principes que ceux d’Aldea da Paz. Ce n’est pas la totalité d’entre eux qui venait dans la même optique de respect du prochain et de protection de l’environnement. L’ambiance de fête semblait parfois avoir conquis les esprits d’une majorité campeurs. L’autogestion, quant à elle, semblait, à première vue, se résumer en la détermination arbitraire de l’emplacement de sa tente.
Toutefois, en y jetant un coup d’œil plus averti, on y constatait une liberté totale des activités qu’on pouvait y organiser. Une « Cidade do Hip Hop[2] » a émergée la dernière journée après plusieurs jours d’attente, une pizzeria fut construite de A à Z durant la semaine, les manifestations spontanées pullulaient, où foisonnaient leaders de toutes sortes, pour une variété de causes différentes. Même si, parfois, la conscience écologique semblait avoir été oubliée, l’esprit de résistance y était bel et bien présent. Et puis, tous y venaient avec un minimum de volonté de changement et d’alternatives ayant préféré les joies du camping au confort des hôtels qui logent les intellectuels et les patrons de syndicats venu participer au Forum.
En somme, le village de la Paix et le Campement, malgré certaines différences notables, étaient semblables sur plusieurs points. Tous deux hébergeaient une population relativement jeune. La notion d’application d’alternatives n’était néanmoins pas abordée de la même façon. Alors que le campement se voulait un endroit peu cher et festif, en dehors des places d’hébergements traditionnels, Aldea da Paz reposait sur une logique de communauté, de partage et de respect de l’environnement. L’autogestion était un élément central dans les deux cas, bien que se reflétant différemment dans la réalité quotidienne vécue sur chaque site respectif. D’un côté il s’agissait d’une forme de « gouvernement » de démocratie directe, alors que de l’autre, il s’agissait plutôt d’une absence de structure décisionnelle et une liberté totale d’initiative.
Thalie-Anne Provost est étudiante en sciences sociales à l’Université d’Ottawa.
[1] L’hévéa est un arbre de la région amazonienne duquel on extrait une substance de latex qui peut être transformé en caoutchouc.
[2] Traduction du Portugais : Ville de Hip Hop