Par Anne Latendresse
Janvier 2001 marquait la naissance du Forum social mondial à Porto Alegre au Brésil. Se définissant comme le rendez-vous des altermondialistes qui aspirent à mettre de l’avant un autre monde, le Forum social a rassemblé des centaines de milliers de militants et de militantes de mouvements sociaux de différentes régions du monde et de différents horizons politiques et idéologiques pour analyser, échanger, débattre, voire confronter leurs analyses et propositions en vue de mettre de l’avant l’idée qu’une autre mondialisation est possible. Partant d’Amérique du Sud, les Forums sociaux allaient se déployer en Asie, en Afrique, en Europe et en Amérique du Nord. Progressivement, des militants de réseaux de mouvements urbains allaient tenir des Forums sociaux locaux.
Plus près de nous, au Québec, on assistait à la naissance des sommets citoyens de Montréal. Un peu à l’image des forums sociaux, ces sommets se définissent comme un espace ouvert, autonome et non partisan qui permettent aux citoyens organisés et non-organisés d’échanger et de débattre d’avenues pour changer le monde, une ville à la fois. Rejoignant des centaines de personnes, surtout en provenance de Montréal, cinq sommets citoyens de Montréal tenus entre 2001 et 2009, ont permis de débattre de démocratie participative et plus spécifiquement de budgets participatifs, d’enjeux et de pratiques alternatives pour développer une ville écologique, inclusive et démocratique. En juin dernier, le cinquième Sommet citoyen de Montréal, qui a rassemblé un millier de personnes de divers horizons, était organisé autour des thèmes liés à l’économie, l’écologie, la culture, la justice sociale, l’inclusion et la diversité, l’aménagement et la démocratie pour définir La ville que nous voulons.
A plusieurs égards, les sommets citoyens montréalais s’inscrivent dans la lignée des forums sociaux. Non seulement, il s’agit d’un espace ouvert où il est possible de débattre de stratégie de résistance pour contrer la néolibéralisation de la ville, mais il s’agit également d’un espace pour diffuser et faire connaître des pratiques novatrices qui contribuent au renforcement du rôle des citoyens dans la définition de la ville. En d’autres termes, s’inspirant des travaux de Henri Lefebvre qui a proposé la notion du Droit à la ville, les sommets citoyens de Montréal se veulent un espace pour mettre de l’avant l’idée de l’appropriation de la ville par l’ensemble des citoyens et des citoyennes qui l’habitent. À cet égard, les sommets se veulent un forum d’échanges pour quiconque veut contribuer à développer une autre ville, ce qui implique de se distancier de la ville telle qu’elle est promue par les tenants de la pensée néolibérale, c’est à-dire d’une ville structurée et développée en fonction des intérêts des grands promoteurs et des investisseurs au détriment des habitants des quartiers, ou encore une ville dont les équipements collectifs et les infrastructures publiques seraient cédées au secteur privé. Les sommets constituent donc un lieu propice à développer une analyse critique, mais aussi à élaborer des propositions concrètes pour construire une autre ville.
Outre cette volonté de changer la ville, structurée dans un contexte marqué par la modernité avancée et la mondialisation néolibérale, la démarche organisationnelle adoptée par les organisateurs des sommets se rapproche de celle expérimentée par les Forums sociaux. En effet, alors que les trois premiers sommets citoyens de Montréal ont été appelés et organisés par le Centre d’écologie urbaine de Montréal, le quatrième et le cinquième ont été réalisés par un comité organisateur qui regroupe des organisations du mouvement syndical, des instances de concertation composées d’organismes communautaires œuvrant dans le domaine de l’environnement, du développement économique communautaire, de la défense des droits des femmes, de l’inclusion et de l’intégration des immigrants, des réfugiés et des sans papier, ou encore dans le domaine de l’éducation populaire liée à la promotion de la vie dans la ville, sans compter la participation du Service aux collectivités de l’UQAM. Ces réseaux d’organisations, qui ne partagent pas tous les mêmes intérêts, ni le même agenda, ni la même vision du développement urbain, ont choisi de travailler dans la pluralité des idées, ce qui ne les empêche pas de promouvoir la nécessité de développer des pratiques innovatrices et alternatives. Cet élargissement des porteurs des sommets citoyens a permis d’accroître la légitimité de ces initiatives qui attire de plus en plus la curiosité, voire un peu la crainte de certains élus municipaux et, conséquemment, d’octroyer plus de poids aux idées et avenues qui sortent des sommets citoyens de Montréal. Les sommets, ont su en quelque sorte, s’imposer comme un rendez-vous incontournable pour un grand nombre d’acteurs sociaux qui sont actifs d’une façon ou d’une autre sur la scène municipale.
De plus, les sommets se veulent un espace de délibérations citoyennes et d’échanges qui ne s’inscrivent pas dans une logique de représentativité des organisations, mais plutôt dans une approche de participation directe. Encore ici, à l’image des Forums sociaux, les sommets citoyens ne constituent pas une assemblée souveraine. Aucune proposition n’est adoptée par les participants et les participantes. Toutefois, les organisateurs des sommets citoyens de Montréal visent à mettre de l’avant un agenda citoyen, pouvant être assimilé à une plate-forme où les grands principes et les valeurs qui caractérisent la ville voulue par les citoyens et les citoyennes sont définis. Élaboré à la fois comme un outil d’éducation populaire et comme un agenda qui guide les interventions des citoyens organisés et non-organisés, l’agenda citoyen est celui de tous ceux et celles qui veulent s’en inspirer, le promouvoir ou s’en servir.
Vers un mouvement citoyen pluriel
Après avoir expérimenté la tenue de trois ou quatre sommets, les organisateurs se sont questionnés sur la portée des sommets. Certes, ils ont influencé l’agenda public réussissant, par exemple, à mettre à l’ordre du jour la question de la démocratie participative et en particulier l’expérience du Budget participatif expérimenté dans l’arrondissement du Plateau Mont-Royal. De plus, ils ont été les promoteurs de différents moyens visant à réformer l’institution municipale de l’intérieur. A titre d’exemple, la Charte montréalaise des droits et responsabilités adoptée par la Ville de Montréal, et depuis juin dernier enchâssée dans la Charte de Montréal, est une proposition issue du deuxième sommet citoyen de Montréal. Toutefois, il leur est apparu que la tenue de ces événements à caractère ponctuels ne suffisait pas à faire avancer l’agenda citoyen pour une ville démocratique et écologique. Sans capacité d’intervention commune, comment être en mesure de résister ou de mettre de l’avant des propositions concrètes en vue de s’approprier la ville tant sur le plan politique qu’économique, social, écologique que culturel ? Comment créer un espace permanent d’intervention sur la ville qui soit autonome et qui soit différent d’un parti politique limité par les contraintes électoralistes ? Que signifie un espace citoyen? Comment les citoyens et les citoyennes organisés et non organisés peuvent-ils cohabiter et ensemble développer une force de frappe, voire un contre-pouvoir où il est possible d’agir en vue d’une ville pensée, planifiée et aménagée non pas dans une logique visant la croissance économique et le profit à court terme, en grande partie responsable de la crise urbaine et écologique actuelle, mais plutôt en fonction d’une approche de développement urbain durable, juste socialement et démocratique ? Quels seraient les liens entre ce mouvement citoyen pluriel et les sommets citoyens ? Une telle initiative est-elle viable à moyen et long terme sans organisation permanente pour la soutenir ? Comment s’assurer qu’un tel mouvement ne soit instrumentalisé par une organisation ou un parti ? Et enfin, quel serait le rôle du Centre d’écologie urbaine de Montréal qui jusqu’à maintenant a assuré le rôle de principal organisateur des sommets citoyens ?
Pour répondre à ces questions, sans réponse pour le moment, un premier Rendez-vous des Montréalais et des Montréalaises est convié lors du deuxième Forum social Québécois (8-12 octobre 2009). Cette rencontre sera l’occasion d’un premier échange public et ouvert afin d’amorcer une démarche visant la tenue d’une assemblée fondatrice de ce mouvement qui pourrait possiblement avoir lieu en janvier 2010. Des militants plus âgés se souviennent de l’échec des sommets populaires tenus au début des années 1980 qui visaient des objectifs similaires. D’autres se rappelleront de l’expérience de Solidarité populaire Québec qui, à plusieurs égards, partageaient des objectifs similaires mais pour le Québec. Ces expériences, qui font partie de l’histoire des mouvements sociaux québécois, doivent servir à éviter les erreurs du passé. De plus, si ce mouvement veut refléter la diversité des Montréalais et des Montréalaises, il faudra qu’avant même sa naissance officielle, il sache s’ouvrir et rejoindre des citoyens et des citoyennes de divers origines, classes sociales et quartiers de Montréal.
Anne Latendresse est professeure au Département de géographie de l’UQAM. Elle était membre du comité d’organisation du 5ème Sommet citoyen de Montréal. http://5sc.ecologieurbaine.net/node/131