“Prenons (…) une personne qui achète une vieille ferme à la campagne, elle n’a pas nécessairement la nostalgie d’un passé plus ou moins lointain, elle veut que la maison vive. Pour autant, elle ne va pas s’empêcher de doubler les murs ou d’installer le chauffage solaire sous prétexte qu’autrefois cela n’existait pas ou parce que ‘c’était comme cela avant’, bien au contraire, en en devenant héritière, elle transforme et valorise et en même temps ‘en garde l’esprit’, souligne la beauté éventuelle des pierres etc.”[1]
À sa fondation, Possibles était une “jeune revue”. Elle s’inscrivait dans un espace peu occupé de la gauche québécoise, rebelle aux pensées déterministes, aux définitions unidimensionnelles de l’injustice sociale et de l’émancipation, soucieuse d’arrimer militance citoyenne et creation artistique ou littéraire. Elle s’est efforcée pendant ce premier tiers de siècle de son existence, de rester une “revue jeune”, en collant aux transformations constantes de la société québécoise et des formes de résistance elles-mêmes ajustées aux formes mouvantes de l’oppression. D’autres luttes que celle pour le pouvoir dans les milieux de travail et pour l’autodétermination politique du Québec ont élargi la palette des thèmes traités et des grilles d’analyse, de critique et de proposition.
Et puis, “as time goes by”, cette aventure était tellement attachante que l’équipe rédactionnelle a acquis une remarquable stabilité. Les démographes et les physiologistes en déduiront aisément que sa moyenne d’âge a progressé à peu près au même rythme que les années de calendrier. L’espérance de vie individuelle des acteurs a tendu à se différencier de l’horizon de leurs espoirs collectifs. De nouveaux intellectuels, militants et artistes ont surgi en attente de places pour s’exprimer. Dans un contexte caractérisé par des modifications substantielles : réseaux d’information et d’action plus éclatés, nouvelles distances entre les institutions intellectuelles et les groupes militants, érosion des structures classiques de financement public des revues d’idées, génération montante de citoyens plus enclins à fouiller les moteurs de recherche qu’à se fidéliser à une seule et même publication, stratégies extraparlementaires concertées, forums sociaux.
L’impératif de la transmission est devenu une évidence. La reproduction interne ne pouvait pas suffire. Il fallut penser réseaux et affinités. Où pouvions-nous détecter les forces montantes dont l’esprit s’apparentait le mieux à celui qui avait donné à la revue papier son identité? On a assez rapidement perçu que ces acteurs gravitaient autour du Forum social québécois, et pouvaient redéfinir la forme, le fonctionnement, les thématiques et le public de la revue et en “garder l’esprit” dans une expression substantiellement rajeunie.
Le fondu-enchaîné s’est effectué avec naturel, Raphaël Canet s’est intégré à l’équipe rédactionnelle au numéro hiver-printemps-été 2008 (L’avenir) et il a pris en charge le numéro automne 2008 (L’altermondialisme, une utopie créatrice), en double format (papier et électronique). On était prêts à passer à l’électronique intégrale. Raphaël a recruté le noyau initial d’une toute nouvelle équipe,… dont Pierre Hamel et moi du comité de rédaction précédent continuons à faire partie, quelques autres demeurant disponibles pour y écrire selon les thèmes des numéros.
De toute évidence, Possibles continue, différente… par fidélité à l’élan créateur auquel elle a dû son existence.
André Thibault – Membre du comité de rédaction
[1] Jean-Bernard Paturet « Qu’est-ce qu’un héritage? », Empan, no 68, décembre 2007, pp. 26-27.