C’est le 24 juin 1974. à North Hatley, que quatre poètes, Roland Giguère, Gérald Godin, Gilles Hénault et Gaston Miron, et deux sociologues, Marcel Rioux et moi décidèrent de fonder ce qui allait devenir la revue Possibles. Souverainistes convainçus, invités par Marcel Rioux, nous cherchions comment contribuer à insuffler un contenu vraiment émancipatoire à la pensée indépendantiste. C’est surtout autour de l’idée d’autogestion, élément central de la pensée de gauche en France et ailleurs, que nous voulions développer notre réflexion. Il était aussi important pour nous de participer à la naissance d’un nouvel imaginaire québécois où la culture l’emporterait sur une économie qui prenait toute la place.
Ce n’est que deux ans plus tard qu’il nous fût possible, grâce à l’enthousiasme de notre jeune secrétaire de rédaction, Robert Laplante, aujourd’hui directeur de l’Action Nationale, de lancer le 21 octobre 1976, à la Brasserie Le Gobelet, un premier numéro d’une centaine de pages où des poèmes de Giguère et Godin encadraient un dossier sur Tricofil, importante expérience autogestionnaire des ouvriers de St.-Jérôme. Au cours des années, alors qu’augmentait son nombre de pages, l’influence de la revue commença à se faire sentir grâce surtout au «mouvement autogestionnaire québécois» qu’elle anima et à l’organisation de nombreux colloques, en collaboration avec le Département de sociologie de l’Université de Montréal. Un grand nombre de rédacteurs nous rejoignirent dont, depuis plus de vingt ans, Raymonde Savard et André Thibault.
Même si nous n’avons jamais dépassé une diffusion de 800 exemplaires, nous avons quand-même pu compter sur la collaboration de plusieurs intellectuels engagés, de militants d’organisations communautaires et de créateurs en art et en littérature.
Pourtant, malgré nos efforts, nous avons perdu graduellement l’appui des «pairs» qui contrôlent les organismes subventionnaires, de plus en plus attirés par les mirages du multiculturalisme et de la postmodernité au détriment d’un réflexion en profondeur sur notre identité collective et notre imaginaire. Après quelques années de restrictions et de résistance, il nous a donc fallu nous résigner à abandonner notre version papier au profit de l’électronique.
Nous remercions nos lecteurs, nos lectrices et nos abonnés de nous avoir accompagnés jusqu’à maintenant et souhaitons que la majorité d’entre eux puissent continuer à nous lire. Nous espérons aussi retrouver dans notre nouvelle aventure ceux et celles qui, par leurs essais critiques, leurs expériences, leurs poèmes et leurs nouvelles nous ont permis d’aller plus loin.
Nous n’aurions pu survivre longtemps sans la contribution essentielle de Micheline Dussault qui, après Elise Lavoie, Suzanne Martin et Stéphane Kelly, s’occupe depuis dix-huit ans déjà de la révision des textes et de la gestion quotidienne de la revue, de façon bénévole la plupart du temps. Nous ne pourrons jamais assez la remercier.
Il est maintenant temps de passer la main à une équipe rajeunie, plus à l’aise dans la jungle de l’édition électronique et surtout à même d’élargir la réflexion du côté de l’altermondialisme et du mouvement des forums sociaux. Quant à moi, j’espère que Possibles continuera de soutenir toutes les formes de solidarité et d’autogestion susceptibles de fonder l’identité québécoise sur ce nouvel imaginaire, souhaité par un de nos inspirateurs, le philosophe Cornelius Castoriadis, où la rationalité économique et l’insignifiance culturelle n’occuperaient plus tout la place.
Gabriel Gagnon -Membre du comité de rédaction depuis 1974