Ce n’est certainement pas pour rien qu’au Québec, l’on parle de mouvement altermondialiste plutôt que de mouvement anti-mondialisation, et qu’on en parle comme d’un mouvement continu, jeune certes mais détenant passé et avenir, plutôt que comme simple soulèvement spectaculaire et éphémère d’une génération contre quelques institutions internationales. Le terme reste flou, multiforme, et l’on s’en drape rapidement et pour des raisons diverses – des colocs qui compostent leurs déchets aux militantEs anarcho-écolos s’enchaînant aux arbres, en passant par les syndicats envoyant chaque année quelques unEs des leurs au Forum social mondial, il semblerait que nous soyons tous et toutes altermondialistes, à notre façon.
Pour certaines ONGs et mouvements institutionnalisés, l’« altermondialisme » correspond surtout à une internationalisation de leurs activités. Par la création de liens d’échange et de collaboration avec d’autres organisations équivalentes aux quatre coins du monde, ils espèrent coordonner, solidariser et ainsi renforcer leurs projets de transformation sociale à l’échelle du globe. Dans cette perspective, le moment clef où se cristallise le processus altermondialiste est le Forum social mondial, espace de réseautage et d’élaboration de stratégies globales entre organisations.
Mais de façon plus endogène, l’on peut aussi considérer l’altermondialisme comme l’influx de quantité de nouveaux militantEs et groupes au sein des communautés militantes des quatre coins du monde, ayant stimulé un certain renouveau et une diversification de leurs pratiques organisationnelles, stratégies, discours et terrains d’activité. Pour plusieurs, l’altermondialisme est également caractérisé par un engouement renouvelé pour l’action directe et créative, un rejet des modes d’organisation hiérarchiques, ainsi que par le développement de pratiques alternatives du vivre-ensemble social et politique, de production, de consommation et de militantisme basées sur l’horizontalité et l’écologie. On parle ici parfois de l’arrivée en scène d’une nouvelle génération militante, ou d’un retour en force des idées et pratiques radicales, voire anarchistes. On se réfère aussi souvent à un événement-clef, catalyseur de cette approche : le Campement intercontinental de la jeunesse.
Difficile, donc, de réunir cette diversité en un groupe plus ou moins homogène, sauf autour de la croyance large en un autre monde possible. Mais pour commencer à la comprendre et à en saisir les potentiels, nous nous attarderons à observer les équivalents québécois des deux événements cités ci-haut, soit le Forum social québécois (FSQ) et le Campement autogéré (CA). En effet, l’organisation de ces événements a non seulement permis l’ancrage plus profond et continu de l’ « altermondialisme » au Québec, mais a aussi fait preuve d’innovations significatives par rapport à leurs équivalents mondiaux, sur lesquelles il vaut la peine de se pencher.
Les défis de l’altermondialisme
Le slogan du Forum social mondial (FSM), « Un autre monde est possible », a rapidement été repris dans toutes les langues et à toutes les sauces, notamment à cause de la force symbolique du contrepoids qu’il oppose aux revendications libérales et conservatrices d’une prétendue fin de l’histoire, ou de l’absence d’alternative au capitalisme néolibéral. Cette affirmation large et rassembleuse reste toutefois plutôt symbolique, et ne saurait suffire. En effet, elle oublie non seulement d’interroger la nature de cet autre monde, mais aussi de celle du monde que l’on cherche à dépasser, et évite donc de poser la question de ce qu’il faudra détruire et mettre en oeuvre pour le faire. Il importe donc maintenant de se pencher sur la construction d’un contrepoids réel au capitalisme néolibéral, qui lui oppose non seulement une autre vision idéelle des rapports entre humains et avec la nature, mais qui lui mette aussi concrètement des bâtons dans les roues et construise pratiquement cet autre monde, en opposition à celui que l’on rejette.
Ce passage à la construction pratique d’un contre-pouvoir populaire capable d’enrayer le capitalisme néolibéral et de construire des formes de vie sociale alternatives demande que l’on retombe sur nos pieds et que l’on réfléchisse à la façon dont l’on marche : elle requiert avant tout la revitalisation, l’élargissement, la politisation et la démocratisation des luttes à toutes les échelles, par la base. Tiens, j’ai dû vous faire rire – ce n’est pas un objectif peu ambitieux, vous me répondrez, et l’identifier ne nous offre pas pour autant les moyens de le réaliser. Mais il reste vrai que si l’on veut qu’un autre monde se construise, il faudra lutter contre les processus qui, petit à petit, nous retirent des mains et des consciences nos capacités de résister et de produire un monde à notre image.
Ces processus ont, certes, une dimension globale, mais ils s’implantent concrètement à l’échelle locale – par la construction d’un port méthanier dans le golfe du Saint-Laurent, à travers l’attaque contre les droits syndicaux au Québec, la privatisation progressive de la santé, la marchandisation de l’éducation à toutes les échelles, la construction d’une nouvelle autoroute au centre-ville de Montréal, et les innombrables autres projets et mesures qui assoient le pouvoir croissant du capital sur nos vies.
Le meilleur moyen de contrer la ‘mondialisation’ et l’intensification des impératifs du marché capitaliste est donc la construction de luttes qui sauront empêcher son implantation concrète et multiforme à l’échelle locale. Pour cela, l’autre monde doit se mettre en marche et unir ses versants ‘anti’ et ‘alter’ – d’une part, en luttant contre le monde qu’il rejette et sa logique expansive, sans quoi ses capacités à y résister ne feront que décliner. Et d’autre part, en continuant à créer le monde qui l’anime et qu’il souhaite construire, en menant ses luttes par des méthodes qui dépassent les logiques auxquelles il s’oppose.
Vous me répondrez que cette préoccupation est bien présente au Québec, puisqu’une série impressionnante de luttes y a été menée récemment. Mais il importe donc de faire preuve d’introspection et d’autocritique, en s’interrogeant à savoir pourquoi elles n’ont pas réussi à réellement enrayer le processus de restructuration néolibérale, et en identifiant les moyens à prendre pour que notre activité présente une menace réelle pour les intérêts dominants et acquière un pouvoir transformateur.
D’un côté, le défi à relever est de donner une force collective à la très grande diversité de groupes, militantEs et individus conscientisés issus de luttes populaires récentes, formés par la lame de fond altermondialiste et/ou engagés dans la recherche de modes de vie alternatifs. Leur diversité et leur ancrage aux échelles locales ou sectorielles (autour de thématiques particulières) peuvent être considérés comme étant une force, caractéristiques nécessaires et inspirantes d’une communauté militante créative, dynamique et contrôlée par la base. Mais ils peuvent aussi être considérés comme une faiblesse si les forces de ces groupes et individus restent trop atomisées, faute d’espaces où articuler la diversité de leurs énergies et connaissances en un front plus ou moins cohésif, où établir des liens entre leurs enjeux, où groupes et individus peuvent trouver et s’offrir support organisationnel, échange de connaissances, solidarité et débat, et unir leurs forces en entreprenant un processus démocratique et inclusif de construction de luttes communes.
D’autre part, la grande capacité organisationnelle des ‘vieux’ mouvements institutionnalisés, syndicats, mouvement étudiant, ONGs, etc., reste une coquille vide si leur membership lui-même n’est pas au cœur des processus décisionnels et organisationnels, réellement mobilisé à travers l’élaboration démocratique de campagnes, l’organisation libre d’actions, et la création d’espaces de participation et de partage de connaissances. La tendance générale au sein des grandes institutions militantes au Québec aujourd’hui semble plutôt être de limiter leur activité à la collection de cotisations auprès de leurs membres, les appelant à se présenter aux manifestations et à ‘participer’ à des campagnes élaborées au sein d’espaces clos, dans une dynamique ‘top-down’.
Selon cette même logique, les représentantEs d’organisations et institutions militantes semblent surtout chercher des solutions formelles à leur incapacité à bloquer la route au capitalisme néolibéral, en voulant améliorer les mécanismes à leur disposition pour travailler en commun aux échelles mondiale et régionale. Mais ils et elles limitent ainsi le problème et la solution au sein du cadre de leur champ d’action, soit les hautes sphères des mouvements – les instances où est concentré, de façon problématique, leur pouvoir décisionnel et leur capacité d’action. Une telle perspective pourrait presque être considérée, en poussant l’analogie, à une fuite vers le haut, puisqu’elle évite la nécessaire autocritique interne des mouvements et de leur mode d’organisation, particulièrement de leur activité à l’échelle locale et nationale.
On répond souvent que le fait que cette logique soit favorisée découle du manque de motivation et d’implication de la part des membres de ces organisations. Il me semble plutôt que c’est le fait de comprendre l’activité de ces groupes comme étant basée sur la délégation du pouvoir de leurs membres à un groupe chargé de faire vivre l’institution, plutôt que sur la facilitation des processus de développement de forces militantes créatives et de capacités démocratique au sein et en dehors de leur membership, qui produit, en bout de ligne, un tel résultat – et limite notoirement le contre-pouvoir réel représenté par ces groupes.
En somme, il semble que le problème à considérer n’est pas tant l’absence de résistances, de volontés de transformer la vie sociale, ou de capacités potentielles de le faire, mais plutôt le manque d’espaces et d’énergies dédiés à mettre militantEs potentielLEs et existantEs en mouvement de façon collective, qui leur permette d’acquérir et de cumuler leurs forces : un manque d’espaces où les potentiels contenus dans la grande diversité des luttes, structures, consciences, volontés, connaissances et modes de vie alternatifs peuvent se rencontrer, tisser des liens et acquérir une force transformatrice.
Le Forum social québécois
CertainEs ont justement vu l’objectif du premier Forum social québécois (FSQ), tenu à Montréal en août 2008, comme l’initiation d’un tel processus de démocratisation, d’élargissement, d’unification et de revitalisation des mouvements sociaux québécois par leur base. En effet, il rassembla en un espace des militantEs et groupes de tous types, mouvements et régions, ainsi que des individus sans ‘affiliation institutionnelle’ particulière, mais simplement attirés par les idées et activités de transformation sociale progressiste. L’idée de base n’était donc pas tant d’offrir une solution formelle aux problèmes auxquels les mouvements font présentement face au Québec, en créant un espace pour que leurs leaderships et représentantEs se rencontrent et négocient des alliances. On cherchait plutôt à transformer et renforcer les mouvements sociaux de façon endogène, en facilitant le processus de construction, de démocratisation et d’unification de leur base militante à l’intérieur, en dehors et entre les structures formelles existantes. Le FSQ voulait donc offrir un espace pour que les individus et groupes rassemblent de l’information, bâtissent confiance et détermination pour la poursuite de leurs projets et luttes, et trouvent des espaces d’implication, de réflexion sur les enjeux, et de création de liens organisationnels et théoriques entre groupes et secteurs militants.
L’événement en soi était organisé de façon à rejoindre cet objectif : ainsi, presque toutes les activités inscrites à la programmation des trois journées étaient autogérées, organisées par les groupes, mais aussi les individus (différence notoire par rapport au FSM), le désirant ; notons également que beaucoup de travail de convergence entre les activités portant sur des thèmes similaires fut effectué, de façon à ce que groupes et personnes se rencontrent, engagent des débats et dégagent des perspectives communes. Le résultat de l’invitation à joindre le processus d’auto programmation fut stupéfiant pour une première édition, avec plus de 300 activités inscrites au programme par presque 200 groupes et individus différents. Le forum visant à être un espace de discussions et de débat plutôt qu’un simple colloque de grande échelle, la forme même des activités tendait à favoriser la participation directe des personnes présentes aux échanges – ce qui permit l’expression de points de vue généralement peu représentés dans les conférences traditionnelles, et notamment plusieurs remises en question des pratiques institutionnelles et hiérarchies internes, structurelles et thématiques, aux mouvements sociaux.
L’emphase mise durant le processus d’organisation sur la dimension populaire de l’événement porta également fruit : en mobilisant en dehors des réseaux militants traditionnels, les organisateurs et organisatrices de l’événement réussirent à faire en sorte que plus de 40% des participantEs au FSQ, soit environ 2000 personnes, soient des individus s’identifiant comme ne faisant partie d’aucun groupe militant particulier. De plus, l’attention portée à rendre l’événement accessible, aux niveaux logistique, financier et du transport, permit une participation très diversifiée, notamment sur le plan territorial.
Mais la particularité du FSQ, et le potentiel porté par l’événement, se trouvaient selon moi surtout dans la volonté de ses initiateurs et initiatrices d’innover au niveau de son processus d’organisation, considéré comme moyen de transformation sociale en soi. Formée au retour du FSM 2005, l’Initiative vers un Forum social québécois est née de la volonté de quelques militantEs, surtout étudiantEs, de voir à ce que le Québec aie son propre espace de rassemblement pour les mouvements sociaux, malgré le manque de volonté de leurs principales institutions de s’engager dans l’organisation d’un tel événement. Pour les membres de l’initiative, l’idée n’était pas tant de renforcer le réseautage et la coordination entre les hautes sphères des mouvements sociaux, que de créer un espace dédié aux forces dites ‘citoyennes’, ou populaires – à la base des mouvements sociaux – organisé par et pour elles.
L’ouverture de l’assemblée générale et des comités d’organisation à tout groupe ou individu intéressé à s’impliquer dans le processus, la décentralisation de ce dernier en collectifs régionaux autonomes, la recherche de l’horizontalité et du consensus comme modes d’organisation et la centralité de la créativité militante, du développement des capacités et du respect de l’autonomie de toutes les personnes impliquéEs faisaient de l’organisation du FSQ, à son origine, un processus semblant s’inspirer plus des valeurs portées par le campement intercontinental de la jeunesse que du mode d’organisation des FSM. L’idée était de mettre en commun les forces respectives des personnes impliquées et de leur offrir un espace où laisser libre cours à leur créativité, de façon à partager leurs talents, acquérir de nouvelles connaissances, vivre l’expérience d’un mode d’organisation horizontal et bâtir des réseaux de solidarité durables.
Le processus d’organisation fut ainsi extrêmement riche et complexe, d’autant qu’il rallia plus tard une très large part des groupes militants au Québec, dont les grands mouvements institutionnalisés. Il fallut donc innover au plan du mode organisationnel, de façon à établir des consensus rassembleurs malgré la diversité parfois contradictoire des pratiques, objectifs et intérêts des groupes et personnes impliquées, autant représentantEs d’institutions aux milliers de membres que militantEs autonomes.
On ne saurait prétendre qu’un simple événement sporadique suffira à relever les défis auxquels l’altermondialisme fait face au Québec s’il veut atteindre ses objectifs de transformation sociale, surtout lorsqu’on parle d’une initiative aussi jeune. Mais le FSQ a été, et devra rester, plus qu’un événement : par sa forme même et par son processus d’organisation novateur, ancré dans l’inclusivité, la créativité et l’horizontalité, il pourrait bien contribuer significativement à réseauter, démocratiser et élargir la communauté militante du Québec de façon durable. Ceci, toutefois, à condition que l’on continue à chercher à dépasser les contradictions qui habitent son processus d’organisation, et à oser innover au niveau de nos pratiques organisationnelles, de façon consciente, autocritique et créative.
Le Campement autogéré
Le Campement Autogéré (CA) consiste lui aussi en une expérience extrêmement riche de leçons et source d’inspiration pour l’avenir de l’altermondialisme au Québec. Il trouve ses racines dans le Campement intercontinental de la jeunesse (CIJ), espace organisé parallèlement au Forum social mondial depuis ses débuts et visant à mettre concrètement en pratique les valeurs prônées au sein de cet événement.
InspiréEs par l’expérience, des militantEs du Québec organisèrent le premier campement, alors dénommé Campement québécois de la jeunesse, en 2003, ce qui fait du Campement autogéré de 2008 la sixième édition de l’événement : en six ans, le campement a donc pu évoluer et beaucoup s’enrichir. Les premières éditions consistèrent avant tout en des laboratoires de recherche autogestionnaire profonde, d’expérimentation politique consciente et rigoureuse. La relativement petite échelle de l’événement (entre 30 et 150 participantEs sur deux semaines de campement) permit de pousser très loin l’élaboration évolutive d’un mode d’organisation social alternatif, visant à se libérer de toute forme d’oppression et de la logique de marché capitaliste, et basé sur l’échange libre de connaissances, la recherche du consensus, la créativité, la responsabilisation, l’autonomie, le respect et surtout, l’horizontalité des rapports. En cela, le campement autogéré est un événement assez unique, et la mémoire collective qui s’y est formée a certainement beaucoup à contribuer à l’évolution de la pensée et de la pratique altermondialiste.
Le campement m’apparaît pourtant avoir évolué de façon significative lors de ses dernières éditions. D’abord ‘geste politique en soi’, le campement semble être passé d’une philosophie de l’autonomie isolationniste – ce qu’il me plaît de désigner par l’appellation de phénomène ‘carré de sable’ – à une philosophie de l’autonomie proactive, interventionniste, transformatrice.
Je m’explique : alors que le campement s’est d’abord déroulé ‘dans le bois’, en retrait de la société que l’on cherche à transformer, il s’est plutôt greffé, lors de ses deux dernières éditions, à des luttes en cours. Ainsi, en 2007, le campement s’installe près de Montebello, pour les deux semaines précédant les mobilisations contre le sommet ayant réuni les dirigeants des Etats-Unis, du Canada et du Mexique ainsi qu’un consortium des plus grandes entreprises d’Amérique du Nord pour la négociation du Partenariat pour la Sécurité et la Prospérité (PSP). Il visait à rassembler les militantEs intéresséEs à vivre l’expérience du campement, mais aussi par l’organisation d’actions et la réflexion collective autour des enjeux liés au sommet.
Au moment où j’écris ces lignes, le campement 2008 est installé à Lévis, sur les rives du St-Laurent, sur les terres où est prévue la construction prochaine d’un port méthanier par les compagnies Enbridge Inc., Gaz de France et Gaz Métro. Ses participantEs cherchent dans ce cas à tisser des liens de solidarité avec les groupes et personnes luttant depuis maintenant presque cinq ans contre l’implantation du projet, afin d’y apporter leur support direct par l’organisation de rencontres et d’actions, ainsi que par le partage de leurs méthodes d’organisation. Par leur présence, ils et elles cherchent aussi à contribuer à souligner la dimension nationale et même globale des enjeux en question (notamment, les changements climatiques), afin que cette lutte ne se réduise pas à l’argument ‘pas dans ma cour’.
Le campement fait donc de plus en plus preuve d’une volonté claire d’extérioriser ses apprentissages, et de contribuer aux luttes en cours de façon constructive et créative. L’ « autonomie » est ici comprise comme une pratique cherchant à se dénuer de ce que l’on critique – de toute forme de domination, de la logique de marché capitaliste et des institutions la reproduisant – mais placée au cœur du social plutôt qu’en isolation, de façon à y catalyser ses éléments transformateurs.
En ce sens, le Campement autogéré relève de plus en plus les défis identifiés plus haut, en unissant les versants ‘anti’ et ‘alter’ de l’altermondialisme: on y contribue d’une part à construire et démocratiser les luttes qui cherchent à empêcher l’implantation concrète du capitalisme néolibéral à l’échelle locale, tout en mettant l’emphase sur la dimension globale des enjeux auxquels elles font face. Et d’autre part, on s’y engage consciemment à créer le monde qui nous anime et que l’on souhaite construire, en menant nos luttes par des méthodes qui dépassent les logiques auxquelles l’on s’oppose. La tenue du campement catalyse le développement des deux pendants du processus au sein des mouvements populaires et sociaux du Québec, et représente en ce sens une source importante d’espoir et d’inspiration quant à la réalisation du potentiel du dénommé mouvement altermondialiste.
Potentiels en mouvement
Pas de doute, le Québec est un terreau fertile au développement de la pensée et la pratique altermondialiste. Ses moments phares, le Forum social québécois et le Campement autogéré, bien qu’ils soient des événements très différents, autant dans leur mode d’organisation que dans leur forme, semblent toutefois pouvoir se complémenter et se rejoindre sur le plan des buts qu’ils recherchent. L’on pourrait même affirmer qu’ils portent un potentiel énorme, à leurs façons respectives, pour relever les défis qui se présentent à ceux et celles qui croient qu’un autre monde est possible, et qui se dédient à le mettre en marche. Mais pour que ces potentiels continuent à prendre forme dans la réalité, et de façon toujours plus constructive, il faudra que leurs participantEs s’engagent toujours plus pleinement à continuer à les construire sur la base de leurs caractères innovateurs, en cultivant une pratique de l’autonomie proactive, de l’utopie concrète et transformatrice.
Gabrielle Gérin étudie en science politique à l’Université York (Toronto). Elle fut membre du secrétariat du Forum social québécois pour l’édition 2007.