La main (presque) de fer du Parti révolutionnaire populaire lao

Par Samuel Morneau

Le parti en tant qu’État

Bounnhang Vorachith, président du Laos (gauche) et Xi Jinping, Secrétaire Général du Parti Communiste de Chine (droite)

L’organisation actuelle de la structure politique au Laos, qui est centrée autour d’un régime autoritaire à parti unique, crée une situation où le gouvernement contrôle une forte part des ressources naturelles de valeur et donc de l’économie, en plus de posséder l’entièreté du contrôle politique et donc de la vie sociale jusqu’à un certain point (Creak et Sayalath, 2017). Les libertés politiques qui découlent de cette organisation d’État-parti pouvant être considéré comme marxiste-léniniste sont donc relativement limitées, particulièrement celles concernant les libertés démocratiques traditionnelles (Creak et Barney, 2018). Dans les faits, les partis autres que le Parti révolutionnaire populaire lao (LPRP), qui est présentement au pouvoir, sont pratiquement illégaux, au point où la Constitution du pays, précisément l’Article 3, fait mention du LPRP comme étant le nucléus, ou cœur, du système politique (Constitution of the Lao People’s Democratic Republic, 2015). Paradoxalement, l’État est aussi considéré par plusieurs experts comme un État à faible capacité, plusieurs employés gouvernementaux, autant au niveau du gouvernement central et, pire, au niveau des gouvernements provinciaux ou inférieurs, ne possédant aucune formation, ainsi que peu de connaissances de plusieurs concepts politiques et économiques. De plus, dans les années 90s, les servants civils et dirigeants aux niveaux inférieurs au national étaient majoritairement non éduqués au niveau universitaire, seulement 10% des fonctionnaires d’États ayant une formation universitaire (Kyaw, 2006, p. 136). Cette situation s’est significativement améliorée, renforçant la force de l’État dans la meilleure organisation et capacité d’application que les fonctionnaires sont désormais en mesure de respecter à tous les niveaux, alors que le gouvernement a adouci certaines de ses lois, permettant par exemple aux étrangers de se promener librement au sein du territoire, ce qui n’était pas permis au début des années 90s (Kyaw, 2006, p. 129).

La relation entre l’État et la population

Ouverture de la 9e session de l’Assemblée Nationale

Au sein de la population par contre, l’État est vu comme extrêmement puissant, et possédant une légitimité politique certaine, de par l’absence d’opposition crédible et d’activisme populaire, mais aussi à travers le contrôle de l’information du gouvernement, les liens forts entre l’élite politique et le milieu des affaires ainsi que le niveau de stabilité relative qu’offre le gouvernement présent par rapport à ceux des voisins du Laos comme le Myanmar et la Thaïlande dans les dernières décennies (Creak et Barney, 2018, p. 698). De plus, le parti s’est relativement bien institutionnalisé, ce qui signifie qu’il est effectivement intimement lié à l’État et est compris comme presque synonyme à celui-ci, mais ne tombe pas non plus entièrement dans l’autoritarisme politique (Creak et Barney, 2018), visant ce qu’ils classifient de centrisme démocratique (Constitution of the Lao People’s Democratic Republic, 2015). Cette vision du centrisme démocratique sous-entend que certains postes sont élus, dont au niveau de l’Assemblée Nationale, mais que d’autres proviennent de l’idée du pao mai sang qui sont donc des protégés d’agents gouvernementaux que ces derniers tentent de faire monter à travers les échelons par connections ou mariage (Creak et Barney, 2018). Dans les faits, l’Assemblée Nationale au Laos agit plus à titre symbolique qu’avec un rôle politique réel. Malgré qu’il soit possible d’y présenter des motions relatives à des controverses ou projets divers, elle existe afin d’augmenter la légitimité du LPRP en tant qu’État de Droit, où il est possible de discuter, bien que l’ensemble des décisions importantes proviennent en réalité du parti lui-même (Creak et Sayalath, 2017, p. 12-13). Le parti avait par exemple permit en 2016 à 3 jeunes de se présenter en cour pour défendre leurs droits religieux, alors que par la suite la police locale avait été envoyée pour battre ces étudiants (Vu, Chen et Bailey, 2016, p. 91). Des activistes sont aussi parfois enlevés, et subissent des procès en secret s’ils ont manifesté contre le gouvernement, dont 3 activistes qui ont récemment été déclarés coupables de distribuer de la propagande et ont obtenu entre 12 et 20 ans de prison, ce qui s’ajoute à un décret imposant des restrictions invasives aux ONG voulant opérer au sein du territoire lao (Amnesty International, 2018).

Le renouvellement du parti, changement ou continuité?

Pour ce qui est des membres du gouvernement provenant du pao mai sang, plusieurs de ces protégés, du moins lorsqu’ils ne proviennent pas de familles royales dont l’importance leur assure un poste politique, procèdent par clientélisme et corruption afin d’assurer qu’ils obtiennent une place d’importance au gouvernement, et en échange de leur loyauté politique le gouvernement adapte certaines lois et contrats pour maintenir une symbiose bénéficielle à la fois au parti et aux élites voulant le joindre (Stuart-Fox, 2007, p. 172). Cette façon d’opérer solidifie à la fois l’autoritarisme au sein du gouvernement, et la légitimité politique aux yeux de la population, qui au long terme renforce la concentration des pouvoirs entre les mains du LPRP. Combiné à l’amélioration de la qualité de vie et la croissance économique dans la majorité des régions du Laos, autant urbaines que rurales, l’organisation politique autour d’un parti unique semble exister pour durer (Stuart-Fox, 2007, p. 174). Cette idée que la stabilité politique du parti est assurée pendant un temps est reflétée par le dernier congrès, où il y a transition des membres de tous les cabinets importants, qui s’est déroulé de façon paisible avec la promotion de multiples étoiles montantes du parti, permettant à la fois de rajeunir le parti et de renouveler son prestige aux yeux d’une population jeune n’ayant pas connu personnellement les actes de révolution des membres plus âgés du gouvernement (Creak et Sayalath, 2017). La situation actuelle du gouvernement semble donc toujours aussi bien ancrée dans l’idée d’un parti unique qui contrôle l’ensemble des facettes politiques et économiques à travers un contrôle autoritaire, mais dont la légitimité interne et la stabilité générale, combinée à des mesures de clientélisme et de démocratie déguisée, assurent une continuité dans l’avenir rapproché.

Bibliographie:

Amnesty International, 2018. « Laos 2017/2018 », disponible en ligne au https://www.amnesty.org/en/countries/asia-and-the-pacific/laos/report-laos/.

Constitution of the Lao People’s Democratic Republic (Revised 2015), 2015. Lao People’s Democratic Republic’s National Assembly. Disponible en ligne au https://www.parliament.go.th/ewtadmin/ewt/ac/ewt_dl_link.php?nid=119&filename=parsystem2.

Creak, Simon et Soulatha Sayalath. 2017. « Regime Renewal in Laos : The Tenth Congress of the Lao People’s Revolutionary Party ». Southeast Asian Affairs, p. 179-200.

Creak, Simon et Keith Barney. 2018. « Conceptualising Party-State Governance and Rule in Laos ». Journal of Contemporary Asia, vol. 48, no. 5, p. 693-716, DOI: 10.1080/00472336.2018.1494849.

Kyaw, Yin Hlaing, 2006. « Laos : The State of the State », Southeast Asian Affairs, 129-147.

Stuart-Fox, Martin. 2007. « Laos : Politics in a Single-party State ». Southeast Asian Affairs, International Bibliography of the Social Sciences, p. 161-180.

Vu, Hien, James Chen et Stephen Bailey. 2016. « Engaging Vietnam and Laos on Religious Freedom », The Review of Faith & International Affairs, vol. 14, no. 2, p. 86-92, DOI: 10.1080/15570274.2016.1184452.

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