de Madeleine Rouleau-Dumas
Juillet 2020. Le People’s Action Party, au pouvoir depuis 1959, obtient 61,2 % des sièges aux élections.[1] Parti associé à la diaspora chinoise, il divise Singapour en deux. Certains-es perçoivent l’hégémonie politique comme favorisant l’élite chinoise et d’autres comme respectant le caractère multiethnique de la cité-État.
L’ère coloniale britannique
Lorsque Singapour devient, en 1819, une colonie britannique la population n’est de pas plus que 1000 habitants.[2]Rapidement, l’implantation de l’administration coloniale permet une croissance économique et commerciale; la politique libre-échangiste et la présence anglaise attirent de nombreux commerçants-es.
Au cours des années qui suivent, la population immigrante chinoise finit par dépasser celle malaise. Ce facteur est principalement dû à la très grande demande de travailleurs-euses sous contrat (Coolies) au XIXe siècle qui servent à combler le déficit de main-d’œuvre à Singapour et soulager la pression démographique rurale en Chine.[3]
Durant cette même période, le laissez-faire de la métropole accorde aux hommes vivant à Singapour d’intégrer l’appareilpolitique de l’île. En d’autres mots, de 1819 au XXe siècle, le système de gouvernance indirect britannique permet la coopération avec les Sino-Singapouriens pour aider à gérer la colonie.[4]
Seconde guerre mondiale et indépendance
En 1942, la Malaisie et Singapour tombent sous le contrôle du Japon. Lorsque l’Angleterre reprend les rênes de ces deux régions à la fin de la guerre, elle décide d’y changer le visage géographique et politique. Singapour devient ainsi une colonie de la Couronne à part entière en 1946, tandis que les différents États de la Malaisie s’unissent en 1948.[5] « Singapore was caught in the bind of a “double minority” when it became independent in 1965, whereby (migrant) Chinese were a majority in the city, but a minority in the region; whereas ‘native’ Malays were a minority in Singapore but a majority outside »[6]
En 1959, quelques années avant l’indépendance, la cité-État se voit accorder un gouvernement autogéré. Le People’s Action Party (PAP), parti de centre-droit, gagne 43 des 51 sièges et ce,
principalement grâce aux votes des travailleurs-euses chinois-es.[7] Face à sa victoire, le président de la république de Singapour, Lee Kuan Yew, décide d’unir sa cité-État à la Malaisie, pour mettre fin à la colonisation britannique. Malgré qu’il s’agit d’une décision suite à un référendum, le choix est très controversé. En effet, le PAP et les partis des États de Malaisie ne s’entendent pas politiquement. De plus, en 1964, le gouvernement singapourien, plaidant pour une société multiethnique non discriminatoire, refuse d’accorder aux Malais-es de Singapour les mêmes avantages que les Malais-es de la péninsule. Conséquemment, des émeutes violentes ont lieu les jours qui suivent et forcent Singapour à se détacher de la Malaisie et devenir complètement indépendant en 1965.[8]
L’élite chinoise et son influence au sein du People’s Action Party (PAP) depuis l’indépendance
Actuellement, le PAP est l’un des plus importants partis politiques de la région. De façon non-officiel, celui-ci soutient que le concept de race et les privilèges ethniques. Ipso facto, il confère aux Sino-singapouriens-nes un avantage en fonction de leurs origines, dans les sphères de pouvoir.[9]
La dominance électorale depuis l’indépendance et le contrôle institutionnel du PAP lui permet, entre autres, d’influencer les idéologies de la cité-État. Principalement, le parti se base sur le concept de multiculturalisme, où chaque groupe ethnique est égal selon la loi, et sur la méritocratie, où les opportunités sont basées sur le mérite et non pas sur le statut.[10] Contrairement à la politique malaisienne qui se base sur la primauté malaise avec, par exemple, le New Economic Policy, Singapour n’avantage aucune ethnie. Cependant, la question de race est omniprésente dans la scène sociopolitique, avec des quotas ethniques dans les quartiers et des partis politiques différents pour chaque diaspora.
Les Chinois-es ne sont pas juste majoritaires au Parlement, mais aussi au sein de la population. Contrairement aux membres du PAP plutôt associé à la neutralité, les élus-es indiens-nes et malais-es sont perçus comme la voix de leur minorité ethnique. Ainsi, ils-elles doivent minimiser leur affiliation raciale pour ne pas donner l’impression de valoriser leur diaspora, caractère souvent dénoncer par la majorité parlementaire.
De plus, certaines politiques contredisent la notion de méritocratie avancée par le PAP, dont le support économique et politique des SAP schools par le gouvernement. Ces écoles, créées en 1979, ont pour but pour promouvoir la culture et la langue chinoise, suite à leur déclin lors des dernières décennies.[11] Aujourd’hui, elles sont des établissements pour l’élite chinoise, dont plusieurs élèves finissent par travailler au sein du gouvernement.
Un réel « privilège chinois »?
Toutefois, l’idée du « privilège chinois » n’est pas soutenu par tous-tes. En effet, ses critiques mentionnent que le support gouvernemental des institutions chinoises, comme les SAP schools, vient de la perte de l’identité chinoise au profit des organisations anglophones lors de l’industrialisation. Il s’agit donc de reprendre contrôle de l’identité et le caractère multiethnique de la diaspora et non pas d’un manque de méritocratie.
De plus, ils-elles avancent que les élus-es chinois-es doivent eux-elles aussi naviguer entre représenter leur ethnie sans trop s’y identifier. Un bon exemple est la montée économique et géopolitique de la Chine lors des dernières décennies. « […] [They] have to constantly balance the strong support that their constituencies might have for China with the need to advance national interests which might, from time to time, contradict Beijing’s interests. » [12]
En d’autres mots, les critiques du privilège chinois soutiennent l’idée d’un réel concept multiculturaliste et méritocratiqueau sein du Parlement, où le gouvernement cherche à assurer la représentation des minorités et le caractère multiracial de l’État.[13]
NOTES EN BAS DE PAGE
[1] (10 juillet 2020) Singapore ruling PAP party wins elections, but support falls. BBC
[2] Liu, J. H., Lawrence, B., Ward, C., & Abraham, S. (2002). Social representations of history in Malaysia and Singapore: On the relationship between national and ethnic identity. Asian Journal of Social Psychology, 5(1), p.7
[3] Yeoh, B. S. A. & Lin, W. (2013) ‘Chinese Migration to Singapore: Discourses and Discontents in a Globalizing Nation-State’. Asian and Pacific Migration Journal (22), 1. p.34
[4] Idem, p.21
[5] Liu, J. H., Lawrence, B., Ward, C., & Abraham, S. (2002). Social representations of history in Malaysia and Singapore: On the relationship between national and ethnic identity. Asian Journal of Social Psychology, 5(1), p.7
[6] Yeoh, B. S. A. & Lin, W. (2013) ‘Chinese Migration to Singapore: Discourses and Discontents in a Globalizing Nation-State’. Asian and Pacific Migration Journal (22), 1. p.34
[7] Ling-yin, L. A. (2001) A Question of ‘Chineseness’: The Chinese Diaspora in Singapore 1819–1950s. (Thèse de doctorat, Département de philosophie, University of Stirling). p.24
[8] Liu, J. H., Lawrence, B., Ward, C., & Abraham, S. (2002). Social representations of history in Malaysia and Singapore: On the relationship between national and ethnic identity. Asian Journal of Social Psychology, 5(1), p.7
[9] Zainal, H. & Abdullah, W. J. (2019). Chinese privilege in politics: a case study of Singapore’s ruling elites. Asian Ethnicity, p.3
[10] Idem, p.4
[11] Zainal, H. & Abdullah, W. J. (2019). Chinese privilege in politics: a case study of Singapore’s ruling elites. Asian Ethnicity, p.11
[12] Goh, D. P. S. & Chong, T. (2020) ‘Chinese privilege’ as shortcut in Singapore: a rejoinder. Asian Ethnicity, p.4
[13] Goh, D. P. S. & Chong, T. (2020) ‘Chinese privilege’ as shortcut in Singapore: a rejoinder. Asian Ethnicity, p.5
BIBLIOGRAPHIE
- Goh, D. P. S. & Chong, T. (2020) ‘Chinese privilege’ as shortcut in Singapore: a rejoinder. Asian Ethnicity.
- Liu, J. H., Lawrence, B., Ward, C., & Abraham, S. (2002). Social representations of history in Malaysia and Singapore: On the relationship between national and ethnic identity. Asian Journal of Social Psychology, 5 (1), 3-20.
- Ling-yin, L. A. (2001) A Question of ‘Chineseness’: The Chinese Diaspora in Singapore 1819–1950s. (Thèse de doctorat, Département de philosophie, University of Stirling).
- (10 juillet 2020) Singapore ruling PAP party wins elections, but support falls. BBC
- Yeoh, B. S. A. & Lin, W. (2013) ‘Chinese Migration to Singapore: Discourses and Discontents in a Globalizing Nation-State’. Asian and Pacific Migration Journal (22), 1. p.31–54.
- Zainal, H. & Abdullah, W. J. (2019). Chinese privilege in politics: a case study of Singapore’s ruling elites. Asian Ethnicity.