Au Laos, une présence chinoise multiséculaire indispensable

Par Inès Descamps 

L’année 2021 marque le 60e anniversaire des relations diplomatiques sino-laotiennes. De plus en plus présente au Laos, la Chine entretient avec ce dernier un partenariat multiséculaire, motivé de part et d’autre par des raisons économiques et politiques.

Longtemps, le Laos a été considéré comme un pays isolé, en raison de son territoire particulièrement montagneux (le plus montagneux de la péninsule Indochinoise) et de sa situation dans le continent asiatique qui lui empêche d’accéder à la mer. En outre, face aux ambitions de ses voisins, à savoir la Thaïlande, le Vietnam et la Chine, le Laos peut paraitre vulnérable, semblable aussi bien à un prolongement territorial des pays frontaliers qu’à une réserve de ressources au service de l’essor économique des puissances régionales. Ainsi le Laos, pays communiste, pauvre et enclavé, est bien souvent perçu comme l’exemple typique pour illustrer la stratégie chinoise d’implantation en Asie du Sud-Est, mettant en péril la souveraineté nationale et l’intégrité territoriale laotienne. Source de multiples appréhensions liées à une domination de la Chine sur le Laos, l’implantation multiforme de Pékin se matérialise dans de nombreux secteurs : commercial, immobilier, touristique…

Le Laos est un pays très attractif pour la Chine puisqu’il s’agit d’un des pivots géographiques de l’Asie orientale, permettant de pénétrer en Asie du Sud-Est vers la Malaisie, Singapour ou la Thaïlande. Surtout, la position du Laos permet de contourner la mer de Chine méridionale et le détroit de Malacca, territoires au cœur de vives tensions qui divisent le contient et attisent les rivalités entre les puissances régionales. Investir au Laos est donc particulièrement intéressant afin de renforcer les interconnexions routières et ferroviaires de la région via la BRI, soit le projet des nouvelles routes de la soie. La construction d’une route ferroviaire traversant le nord du Laos relève de deux ambitions : « réduire les coûts de transport dans le pays, et assurer le transport du fret entre les provinces chinoises de l’intérieur et les marchés étrangers de l’Asie du Sud-Est »1. Si ce projet ferroviaire chinois est mené à bien, il permettrait au Laos de passer d’État enclavé à un véritable « « carrefour » reliant les pays de l’Asie du Sud-Est au Yunnan »2. Le Laos se retrouverait alors au cœur d’un réseau transnational d’échanges. De plus, le Laos est doté de précieuses ressources naturelles, dont l’exploitation par la Chine permet à cette dernière de maintenir son rythme de développement à moindre coût. Enfin, le renforcement de sa coopération permet à la Chine de conserver le Laos dans son sillage et de limiter les risques d’influence de ses voisins, dans un contexte de rivalités croissantes autour de la mer de Chine méridionale. Par exemple, la Chine cherche à éloigner le Laos du Vietnam, rare pays à s’opposer à elle de manière frontale en mer méridionale.

Ces éléments expliquent ainsi la volonté chinoise de s’insérer dans les affaires laotiennes. De par ses investissements massifs dans les zones économiques spéciales du Laos (ZES), la Chine contribue de manière active au développement économique du Laos, ainsi qu’à la modernisation des centres urbains avec l’édification de vastes complexes immobiliers multifonctionnels. L’économie est la pierre angulaire des relations entre la Chine et le Laos : Pékin exporte en nombre ses produits manufacturés sur les marchés laotiens, les compagnies chinoises investissent dans les secteurs de l’énergie, les ressources naturelles, les infrastructures de communication, le tourisme3… L’investissement massif opéré par la Chine tout le long du corridor économique Chine-Indochine s’inscrit dans une stratégie bien particulière, visant à faire du Laos un passage stratégique vers les mers du Sud et une alternative à la voie maritime grâce à de nouvelles infrastructures de transport terrestre. En outre, le modèle chinois constitue une source d’inspiration pour le gouvernement laotien, qui voit en lui un système efficace garant de progrès et en accord avec son idéologie, les deux pays étant communistes.

Toutefois, considérer les relations sino-laotiennes comme une mainmise totale de la Chine sur le Laos est une vision particulièrement réductrice et superficielle. Le gouvernement laotien, conscient de l’intérêt stratégique que représente son territoire, sait négocier et jouer de sa position avec ses voisins. Par exemple, il est tout à fait capable d’utiliser les ambitions de Pékin sur ses ressources pour contrebalancer l’exploitation unilatérale de son bois et de ses mines par des hommes d’affaires thaïlandais4. De la même manière, le poids de la puissance chinoise s’insère dans la stratégie laotienne pour contraindre le Vietnam d’investir massivement sur le territoire5. S’allier avec la Chine permet au Laos d’accroitre sa puissance économique et ainsi d’augmenter son poids sur la scène internationale. Il s’agit donc d’un partenariat stratégique réciproque, puisqu’indispensable au développement laotien.

Malgré tout, le Laos demeure profondément dépendant de la Chine, surtout dans son économie, cette dernière étant son principal bailleur de fonds et le principal constructeur d’infrastructures du pays. Selon une étude menée par le FMI, la Chine détenait la majorité des 13,6 milliards $US de la dette extérieure du Laos fin 2017, et a dépensé près de 11 milliards de $US dans le financement du développement6. Ces éléments font donc de la Chine un partenaire essentiel à la réalisation des deux grands objectifs laotiens : « passer de l’état d’enclavement à celui de « liaison terrestre » » et « devenir la « batterie de l’Asie du Sud-Est » »7 grâce aux exportations d’hydroélectricité. Même si la Chine n’est pas le seul partenaire diplomatique ou économique du Laos, elle demeure un acteur essentiel au développement et à la croissance du pays.

 

1 Voir Lincot, Emmanuel et Véron, Emmanuel, « Mainmise chinoise croissante sur le Laos », The Conversation, 2020

2 ibid

3 Voir Mottet, Éric. 2018. « Le Laos va-t-il (peut-il) basculer définitivement dans la sphère géopolitique et géoéconomique chinoise ? », Diplomatie, No. 93, pp. 30-35.

4 ibid

5 ibid

6 Voir Mottet, Éric, et Frédéric Lasserre. 2020. « Les enjeux géopolitiques de la Belt and Road Initiative : l’exemple laotien du corridor économique Chine-Indochine », L’Information géographique, vol. 84, no. 4, pp. 68-86.

7 Voir Tan, Danielle. “Troisième partie. La Chine au Laos : développement, colonialisme intérieur ou néo-colonialisme ?”. L’Asie du Sud-Est dans le « siècle chinois » : Cambodge, Laos et Viêt Nam. By Tan. Bangkok : Institut de recherche sur l’Asie du Sud-Est contemporaine, 2014. (pp. 93-135)

 

Bibliographie

Lincot, Emmanuel et Véron, Emmanuel, « Mainmise chinoise croissante sur le Laos », The Conversation, 2020 https://theconversation.com/mainmise-chinoise-croissante-sur-le-laos-146465

Mottet, Éric. 2018. « Le Laos va-t-il (peut-il) basculer définitivement dans la sphère géopolitique et géoéconomique chinoise ? », Diplomatie, No. 93, pp. 30-35. https://www.jstor.org/stable/26983192

Mottet, Éric, et Frédéric Lasserre. 2020. « Les enjeux géopolitiques de la Belt and Road Initiative : l’exemple laotien du corridor économique Chine-Indochine », L’Information géographique, vol. 84, no. 4, pp. 68-86. https://www.cairn.info/revue-l-information-geographique-2020-4-page-68.htm

Tan, Danielle. « Troisième partie. La Chine au Laos : développement, colonialisme intérieur ou néo-colonialisme ? ». L’Asie du Sud-Est dans le « siècle chinois » : Cambodge, Laos et Viêt Nam. By Tan. Bangkok : Institut de recherche sur l’Asie du Sud-Est contemporaine, 2014. (pp. 93-135) http://books.openedition.org/irasec/1186

 

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