Les minorités indigènes du Vietnam : entre intégration et marginalisation.

Par Taïbou Diallo

Malgré sa grande diversité ethnique, le Vietnam a su en tant que nation, rassemblé l’ensemble de sa population afin de lutter contre la présence coloniale.  La population Viet majoritaire, comme les minorités ethniques, ont su collaborer pour mener leur pays vers la voie de l’indépendance (Mcleod 1999). Dans notre contexte actuel, les minorités ethniques semblent faire partie du plan de développement économique du pays, mais leurs intérêts beaucoup moins. Pour certains, cette intégration au développement économique favoriserait même leur marginalisation. Comment expliquer que le développement économique du Vietnam tende à marginaliser les minorités ethniques du pays ?

Une domination culturelle de la majorité

Diversité linguistique du Vietnam
Source: UNESCO, 2001

Alors que la communauté vietnamienne compose 80% de la population totale, 53 autres ethnies minoritaires font partie intégrante de la nation vietnamienne (L’Ambassade de la République Socialiste du Vietnam au Royaume-Uni, 2007). Le contraste entre ces deux parties est saisissant, les Vietnamiens sont principalement établis sur le littoral, dans les grandes métropoles développées, tandis que les minorités ethniques préfèrent les régions rurales des montagnes. Or, si ces minorités sont particulièrement attachées à leurs traditions et leur mode de vie, elles sont désormais confrontées directement à la mondialisation et à l’enjeu du développement du territoire.

L’identité collective du Vietnam est institutionnellement assimilée à l’identité de la majorité. Ainsi, lorsque les groupes ethniques se rencontrent, les minorités ethniques sont dominées par cette identité collective, qui réduit leurs cultures et leurs traditions au bénéfice d’un certain intérêt national. Les minorités ethniques sont stigmatisées par l’étiquette d’une culture arriérée et d’un mode de vie obsolète, alors que l’agenda politique de l’État depuis l’indépendance du Vietnam, est au développement.

D’après Friederich et Neef (2010), l’État vietnamien est partiellement responsable d’une hiérarchisation entre les ethnies, les minorités se retrouvant alors au bas de l’échelle. En effet, l’État vietnamien post colonial, désormais centralisé, a par exemple forcé une migration des populations à majorité ethnique des plaines, vers les territoires des montagnes des minorités ethniques. Cela, afin d’obtenir un équilibre de densité de la population et maitriser le territoire, face à la surpopulation des plaines et à la sous-population des régions montagneuses. Néanmoins, grâce à cette politique, l’État vietnamien a également tenu à imposer une production collectivisée. Les minorités ethniques se sont alors vues contraintes d’abandonner leurs méthodes de cultures traditionnelles, pour adopter les méthodes modernes des basses terres capables d’assurer les niveaux de subsistances nationaux (Friederichs et Neef, 2010). Cette politique marque symboliquement la domination de la culture de la majorité.

L’État contribue donc à l’assujettissement des minorités en imposant des politiques de développement qui stigmatisent les minorités. Les politiques de développement des montagnes du Vietnam considèrent peu les intérêts des minorités ethniques. Les minorités ethniques sont particulièrement attachées à leurs traditions, leurs territoires ancestraux, leur culture. Ces intérêts ont une valeur sentimentale plutôt que monétaire. Le développement économique prime sur les réels intérêts des minorités ethniques, elles sont les dernières à profiter des profits générés par l’exploitation de leurs terres (L’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, les sciences et la culture, 2010). Cela s’explique en partie par le manque de représentativité au gouvernement. Certaines minorités, comme les Kh’mu ou les Hmongs, ne disposent même pas de représentants politiques à l’Assemblée nationale pour faire valoir leurs revendications (Friederichs et Neef, 2010, 7).

Les intérêts des minorités soumis aux intérêts économiques

Le développement est à l’agenda de tous les pays, particulièrement ceux d’Asie du Sud-Est. Le Vietnam, en tant que Tigres en devenir, a entamé ce projet bien avant son indépendance, sous la colonisation, mais son intensification ne cesse de progresser.  Comme pour de nombreux pays du monde, les performances économiques justifient les moyens de ce développement. Même s’il faut sacrifier les intérêts des minorités ethniques, qui représentent moins de 14% de la population totale (l’Ambassade de la République Socialiste du Vietnam au Royaume-Uni). Ces populations se voient donc marginalisées alors même qu’elles sont intégrées dans le processus de développement.

Ainsi, selon le modèle de l’économie de marché sociale, des terres appartenant aux minorités ethniques ont par exemple été attribuées à des ethnies faisant partie de la majorité. Par exemple,  les Thai noirs se sont vus attribuer des terres impropres à l’agriculture et retirer une partie de leur territoire par la même occasion (Friederichs et Neef, 2010, 8).

À cause de l’émergence économique du Vietnam, les territoires des montagnes se sont vus transformés par l’exploitation des cultures. L’évolution des marchés dans les hautes terres s’est accompagnée d’une intensification et d’une diversification de la production de cultures (Guérin 2003) .

Cependant, les performances de ce développement économique doivent être analysées. En effet, les minorités ethniques sont retranchées aux rôles d’agriculteurs, tandis que les Kinh par exemple, appartenant à la majorité, bénéficient de positions avantageuses et lucratives telles que la transformation des matières premières, le commerce, les transports, la construction et les services touristiques (Friederichs et Neef 2010). De plus, le fait qu’elles soient contraintes d’exploiter une seule culture les expose à un risque à deux niveaux. D’une part, cela ne leur permet pas de dégager systématiquement des besoins de subsistance. D’autre part, les exploitations de cultures qui connaissent un succès comme le maïs peuvent être ponctuelles du fait de la concurrence internationale, ce qui occasionne un haut risque de subsistance si elles ne disposent pas d’autres cultures à exploiter ((Friederichs et Neef 2010 ; Guérin 2003).

Malgré sa doctrine communiste, le développement du Vietnam semble marqué par l’inégalité ethnique. L’identité des minorités semble compromise par le développement socio-économique, qui bénéficie majoritairement à la majorité. Peut-on qualifier de succès l’intégration des minorités ethniques au développement économique, quand leurs terres ancestrales leur sont soustraites, lorsqu’on leur impose une fonction d’exploitation parfois à risque et que leurs intérêts sont délibérément omis de l’agenda politique?

Bibliographie

Friederich, Rupert et Andreas Neef. 2010. « Variations of Late Socialist Development: Integration and Marginalization in the Northern Uplands of Vietnam and Laos ».The European Journal of Development Research, (Sep) : 564-581

Guérin, Mathieu. 2003. Des montagnards aux minorités ethniques : quelle intégration nationale pour les habitants des hautes terres du Viêt Nam et du Cambodge? Paris : L’Harmattan ; Bangkok, Thaïlande : Institut de recherche sur l’Asie du Sud Est contemporaine

Mcleod, Mark. 1999. « Indigenous Peoples and the Vietnamese Revolution », 1930-1975 Journal of World History, (Vol.10) : 353-389

The Embassy of the Socialist Republic of Vietnam in the United Kingdom. 2007. En ligne. http://www.vietnamembassy.org.uk/population.html (page consultée le 21 mai)

 

ICONOGRAPHIE

L’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, les sciences et la culture. 2001. Diversité culturelle au Viet Nam : enjeux multiples, approches plurielles. En ligne.http://unesdoc.unesco.org/images/0012/001235/123595f.pdf ( page consultée le 20 juin)

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