Par Rose Clermont-Petit
Lorsqu’on parle de la Thaïlande, on pense aux plages paradisiaques, aux marchés flottants, aux balades à dos d’éléphants, aux temples, mais on pense aussi à la prostitution. Quand je suis allée en Thaïlande avec un groupe de Canadiens alors que j’avais 20 ans, c’est ce que je pensais voir. C’est ce que j’ai vu, mais certaines personnes de mon groupe ont vu autre chose ; elles sont allées voir un pingpong show (spectacle où les femmes utilisent leur vagin pour faire plusieurs trucs, comme lancer des balles de pingpong).Quand elles sont revenues, elles étaient stupéfiées, choquées, troublées. Elles m’ont raconté. Je ne verrai plus jamais la Thaïlande de la même façon. Elle reste belle à mes yeux, mais j’ai découvert sa face cachée que je ne pourrai plus jamais oublier.
À ce moment-là, c’était quasiment banal pour un groupe de touristes occidentaux d’aller visiter un bar thaïlandais offrant ce genre de spectacle. Il semble que c’est tellement répandu dans le pays que ça fait maintenant partie de ce que la Thaïlande a à offrir. Quand on pense à la prostitution des pays d’Asie du Sud-Est, on impute d’ailleurs souvent la responsabilité aux touristes occidentaux qui voyagent dans ces pays-là. Il est vrai que le 2/3 des touristes qui vont en Thaïlande sont des hommes (Formoso 2001, 57) et que le commerce du sexe peut être une de leurs motivations touristiques principales, mais il n’en demeure pas moins que les principaux clients des prostituées thaïlandaises sont les hommes thaïlandais (Michel 2003, 5). Il est également juste de dire que l’augmentation du nombre de prostituées en Thaïlande est, entre autres, causée par la prolifération du tourisme du sexe (Michel 2003, 3). Mais « la prostitution s’est développée en Thaïlande bien avant l’essor touristique de ces trente dernières années » (Formoso 2001, 60). Alors, pour comprendre pourquoi la prostitution est aussi répandue en Thaïlande, il faut creuser un peu plus dans les facteurs internes du pays lui-même. Nous allons donc explorer les causes intérieures au pays qui peuvent pousser les femmes à se tourner vers cette option. En effet, la majorité des prostituées en Thaïlande le seraient par choix (Podhisita, Pramualratana et all. 1994, 297).
Avant de continuer, il est important de définir ce que l’on entend par prostitution dans cet article. Il ne s’agit pas d’un terme péjoratif, mais plutôt d’un terme qui englobe tous les arrangements de sexe-pour-de-l ’argent. (Peterson-Iyer 1998, 20-21).
Pour débuter, une des causes principales est le rôle des femmes dans la société thaïlandaise. Effectivement, l’organisation sociale de la Thaïlande, avant qu’elle ne soit bouleversée par la mondialisation, l’industrialisation et l’occidentalisation, était matrilinéaire (Mensendiek 1996, 163). C’était la femme qui était responsable des finances et qui devait subvenir aux besoins économiques du ménage (Mensendiek 1996, 164). Dans les régions du nord, d’où proviennent la majorité des prostituées de Bangkok et de Pattaya (Bishop et Robinson 1999, 35), les femmes basaient principalement leur revenu sur l’agriculture. Elles ont grandement souffert du développement du capitalisme. Effectivement, ce sont elles qui ont le plus souffert de la volonté de l’État de sortir de la pauvreté (Mensendiek 1996). Le gouvernement a voulu enrayer la pauvreté en se concentrant sur les secteurs de services et de l’exportation, alors que l’agriculture a été largement oubliée (McNamara 1994, 298). Puisque l’agriculture traditionnelle ne suffisait plus comme revenu, les femmes ont dû trouver d’autres façons de subvenir aux besoins de leurs familles. C’est souvent cela qui les a amenées à partir de la campagne pour trouver un emploi à la ville (Mensendiek 1996, 164). Comme les emplois se font rares, offrent des conditions de vie difficiles et sont souvent peu payants (Formoso 2001,59), cette quête d’emploi peut parfois se terminer dans un bordel de Patong.
En plus de la situation économique, on considère que la religion est une autre des causes qui a permis à la prostitution de se répandre en Thaïlande. En effet, selon le Bouddhisme Theravada, une personne peut changer son karma en cherchant volontairement du mérite (Mensendiek 1996,165). Une méthode répandue pour gagner du mérite est de donner des cadeaux aux moines et aux temples ou de parrainer l’ordination d’un moine (Mensendiek 1996,165). Le degré de mérite correspond donc à la richesse économique (Mensendiek 1996,165). Ainsi, même si l’idéologie bouddhiste condamne la prostitution, les prostituées qui remplissent le devoir de « bonne fille » en s’occupant de leur parent, achetant du mérite, etc. sont justifiées (Mensendiek 1996,165). Cela a clairement contribué à l’acceptation de la prostitution et à la vision qu’on en a en Thaïlande.
On peut donc constater que la culture du pays en est pour quelque chose dans la place que la prostitution y occupe actuellement. Il est clair qu’il n’y a pas que des facteurs internes, mais il fallait certaines dispositions dans le pays pour que cela se répande autant. Le gouvernement a tenté et tente toujours de mettre des mesures en place pour arrêter la prostitution, mais ça demeure délicat, car l’État profite aussi beaucoup du tourisme sexuel et du commerce du sexe. En effet, le tourisme rapporte 4 billions de dollars par année à l’État (Bishop et Robinson 1999, 35) et « le revenu annuel l’industrie du sexe est évaluée, en 1998, de 22,5 à 27 milliards de dollars américains » (Michel 2003, 9). Que faire alors pour enrayer ce fléau de la société, lorsque le gouvernement n’applique pas vraiment ses propres politiques, car il en profite?
Bibliographie
Bishop, Ryan et Lilian S. Robinson. 1999. « In the Night Market: Tourism, Sex, and Commerce in Contemporary Thailand ». Women’s Studies Quarterly 27 (no 1/2): 32-46
Formoso, Bernard. 2001. « Corps étrangers1 : Tourisme et prostitution enThaïlande ». Anthropologie et Sociétés 252 (no 2) :55-70
Kelley, Kristen. 2005. « Patriarchy, Empire, and Ping Pong Shows: The Political Economy of Sex Tourism in Thailand ». Cultural Studies Capstone Papers 11.
Kuo, Michelle. 2000. « Asia’s Dirty Secret: Prostitution and Sex Trafficking in Southeast Asia ». Harvard International Review 22 (no 2): 42-45
Mensendiek, Martha. 1996. « Women, migration and prostitution in Thailand ». International Social Work 40 : 163-176
Michel, Franck. 2003. « Le tourisme sexuel en Thaïlande : une prostitution entre misère et mondialisation », Téoros, revue de recherche en tourisme 22 (no 1) : 22-28
Peterson-Iyer, Karen. 1998. « PROSTITUTION A Feminist Ethical Analysis ». Journal of Feminist Studies in Religion 14 (no 2): 19-44
Podhisita, Chai, Anthony Pramualratana, Uraiwan Kanungsukkasem, Maria J.Wawer et Regina McNamara. 1994. « Socio-cultural context of commercial sex workers in Thailand: an analysis of their family, employer, and client relations ». Health Transition Review 4: 297-320
Iconographie
- En ligne. http://www.i-travelled.com/prostitution-a-phuket (page consultée le 7 juin 2017)
- En ligne. http://www.uknetguide.co.uk/holiday-guides/south-east-asia/thailand/bangkok.html (page consultée le 7 juin 2017)
- En ligne. https://www.dreamstime.com/royalty-free-stock-photography-bangkok-thailand-temple-offerings-buddha-image10949857 (page consultée le 7 juin 2017)