L’industrie du sexe en Thaïlande : hors-service?

Par Roxanne Larouche

Figure 1 « Les quartiers rouges de Bangkok, lieux de la prostitution ».

« Mister, mister, sex show, do you want? Sex show? Very good, very cheap. Come! » [1].

Les phrases criées dans les quartiers illuminés par les lumières rouges, bondés de travailleurs du sexe et surtout remplis de touriste à la recherche d’un désir à combler. Cependant, depuis la pandémie du Covid 19, ces quartiers très animés et populaires sont devenus silencieux et même fantômes sans touristes.

 

Ampleur de la prostitution en Thaïlande, avant Covid 19

La prostitution et le tourisme sexuel en Thaïlande ont toujours été extrêmement présents et médiatisés. Celle-ci représente une « zone grise » de l’économie Thai majeure. La notion de « zone grise » représente un espace de dérégulation sociale, de nature politique ou socio-économique, échappant au contrôle de l’État et donc se passe dans un contexte d’illégalité [2]. En Thaïlande, l’évènementiel représente environ 6,4 milliards $ US par année [3]. De plus, la revenue générée par les travailleurs du sexe représente 4-10 % du produit intérieur brut du pays [4].

Donc, nous voyons l’importance du tourisme sexuel et de l’industrie du sexe dans le « pays du sourire » qui est ironiquement illégale, mais largement tolérée. Cette tolérance, bien promue dans les médias ou défendu par les ONG peut s’expliquer par l’apport économique important de celui-ci et par la corruption et le patronage officieux de la police [5]. En effet, cette continuité peut s’expliquer par le facteur de la corruption. La Thaïlande est un pays avec un problème de corruption. D’ailleurs, selon l’index de la perception de la corruption dressé par Transparence internationale, elle se trouve au 104e rang sur 180 pays et son indice est de 36/100 en 2020 [6]. Il faut tenir compte que 0 équivaut au plus haut niveau de corruption et le 100 équivaut au niveau le plus bas de corruption.

Figure 2 : « Le quartier presque vide de Patpong, connu pour ses travailleurs du sexe et généralement bondé de touristes, à Bangkok  » 

 

D’autre part, il y a une volonté des filles, souvent du Nord-Est du pays, à y prendre part à cause de la pauvreté de celles-ci. Le facteur de la pauvreté est important pour expliquer l’ampleur qu’a pris ce phénomène puisque celui-ci rend vulnérables les jeunes femmes et rend plus facile leur « embauche » dans ce milieu. Le propos d’un député thaïlandais déclarait qu’au lieu d’être un NPI (Nouveau Pays Industrialisé), il est un PIP (Pays Industrialisant la Prostitution) [7]. Ceci vient encore une fois démontrer l’ampleur que prend l’industrie du sexe en Thaïlande.

 

Situation actuelle depuis la COVID-19

Depuis la pandémie de la COVID-19, le gouvernement thaï a dû mettre en place plusieurs mesures pour assurer un contrôle sur celle-ci. Ces mesures incluent un couvre-feu, des restrictions de voyage ou de déplacement, la suspension des vols commerciaux internationaux et bien sûr des mesures de confinements [8]. Cependant, ces nouvelles restrictions entrainent des difficultés socio-économiques majeures en Thaïlande et affectent majoritairement les groupes sociaux plus vulnérables telles que les travailleurs du sexe. Ces travailleurs du sexe sont grandement influencés puisqu’elles dépendent du tourisme sexuel et international.

Cela a comme effet qu’elles se retrouvent sans-emploi et qu’elles perdent leurs revenues. En conséquence, elles sont dans l’incapacité de subvenir à leur besoin ou de couvrir leurs dépenses telles que pour la nourriture ou encore leurs loyers. Elles se retrouvent dans une situation extrêmement précaire. Dans un sondage, 91 % des répondants (232) disent qu’elles sont devenues sans-emplois et ont perdu leurs revenus dus aux conséquences des mesures mises en place [9]. 75 % des répondants (191) disent qu’elles ne font pas assez d’argent pour couvrir les dépenses quotidiennes [10].

Figure 3 — Covid 19 : les travailleurs du sexe en Thaïlande ont de la difficulté à survivre au « lock down »

 

De plus, les travailleurs de l’industrie du sexe n’ont pas accès au Système de Sécurité Sociale (SSS) mis en place par le gouvernement puisque le commerce sexuel est interdit en Thaïlande et plusieurs de ces travailleurs sont des travailleurs migrants issus de manière illégale, donc qui n’ont pas de permis de travail ou qui ont migré illégalement, souvent associé à la traite de personne [11].

En conséquence de la situation du Covid 19, il y a un manque d’accès aux cliniques de dépistage des maladies transmises sexuellement et de traitement de ceux-ci. En prenant en compte que la Thaïlande est déjà prise avec une crise importante du VIH. Depuis juin 2020, 40 % des 86 pays des UNAIDS ont rapporté que les services pour contrer et dépister le VIH pour les travailleurs du sexe ont été interrompus par les mesures pour la pandémie [12].

 

Quelles mesures sont prises par le gouvernement ?

Les mesures prises par le gouvernement ne prennent pas en compte ce groupe minoritaire et vulnérable aux conséquences de la COVID-19. En avril 2020, le gouvernement a annoncé que 1 374 288 travailleurs seraient couverts par la SSS (Système de Sécurité Social) couvrant 62 % de leurs salaires quotidiens pour une période de 3 mois [13]. En revanche, comme mentionner précédemment les travailleurs du sexe y sont exclus puisque celles-ci sont considérées comme illégales.

 

Solution à court terme : les organisations communautaires

Une solution ayant procuré une aide en

Figure 4 « nous ne pouvons pas juste fournir des services de VIH quand les travailleurs du sexe ont faim »

réponse à la situation des travailleurs du sexe est l’aide des organisations communautaires. Ils proposent une aide concrète à court terme pour aider celles-ci. L’une d’entre elles est SWING. C’est une organisation thaïe travaillant dans les villes de Bangkok et de Pattaya pour protéger et promouvoir les droits et la santé des hommes, des transgenres et des femmes travailleuses du sexe [14].

 

L’organisation est supportée internationalement par différent donneur comme USAID et Global Fund. Par exemple, en juin 2020, ils ont approvisionné 1500 travailleurs du sexe à Bangkok et à Pattaya avec plus de 40 000 boites à lunch et plus de 30 000 de nourriture instantanée et de produit d’hygiène personnelle [15].

 

En conclusion, la prostitution en Thaïlande représente un aspect important de l’essor économique de celui-ci. Ce phénomène a pris une telle ampleur et continue de le prendre entre autres à cause de la corruption et de la pauvreté. Cependant, depuis la Covid 19, ces travailleurs du sexe se retrouvent à vivre une misère incroyable sans avoir un appui du gouvernement puisque cette activité est considérée illégale. La seule solution à court terme proposée a été offerte par les ONG. Qu’adviendra-t-il de ces nombreuses travailleuses du sexe ?

 

Référence

[1] Sébastien Roux, « Les économies de la prostitution. Sociologie critique du tourisme sexuel en Thaïlande » (EHESS, 2009), 11.

[2] « Zone grise — Géoconfluences », Terme, consulté le 20 décembre 2021, http://geoconfluences.ens-lyon.fr/glossaire/zones-grises.

[3] Dusita Phuengsamran et al., « Protecting sex workers in Thailand during the COVID-19 pandemic: opportunities to build back better », WHO South-East Asia Journal of Public Health 9 (15 septembre 2020): 101, https://doi.org/10.4103/2224-3151.294301.

[4] Bernard Formoso, « Corps étrangers : tourisme et prostitution en Thaïlande », Anthropologie et Sociétés 25, no 2 (2001): 57, https://doi.org/10.7202/000233ar.

[5] « Corruption Perceptions Index 2020 for Thailand ».

[6] Formoso, « Corps étrangers : tourisme et prostitution en Thaïlande », 57.

[7]  Ibid., 58.

[8]  Phuengsamran et al., « Protecting sex workers in Thailand during the COVID-19 pandemic », 100.

[9]  Ibid., 101.

[10]  Ibid.

[11]  Ibid.

[12]  Ibid., 101; « 2020 Global AIDS Update ⁠— Seizing the Moment ⁠— Tackling Entrenched Inequalities to End Epidemics », 2020, 125.

[13]  Phuengsamran et al., « Protecting sex workers in Thailand during the COVID-19 pandemic », 101.

[14]  « SWING – Service Workers in Group », APNSW, consulté le 2 novembre 2021, https://www.apnsw.info/membership/members/swing.

[15]  Phuengsamran et al., « Protecting sex workers in Thailand during the COVID-19 pandemic », 102.

 

Bibliographies

« 2020 Global AIDS Update ⁠— Seizing the Moment ⁠— Tackling Entrenched Inequalities to End Epidemics », 2020, 384.

Transparency.org. « Corruption Perceptions Index 2020 for Thailand ». Consulté le 18 décembre 2021. https://www.transparency.org/en/cpi/2020.

Formoso, Bernard. « Corps étrangers : tourisme et prostitution en Thaïlande ». Anthropologie et Sociétés 25, no 2 (2001): 55‑70. https://doi.org/10.7202/000233ar.

Phuengsamran, Dusita, Surang Janyam, Jamrong Pangnongyang, Wutikan Saripra, Ladda Jitwattanapataya, Chalidaporn Songsamphan, Patchara Benjarattanaporn, et Deyer Gopinath. « Protecting sex workers in Thailand during the COVID-19 pandemic: opportunities to build back better ». WHO South-East Asia Journal of Public Health 9 (15 septembre 2020): 100. https://doi.org/10.4103/2224-3151.294301.

Platt, Lucy, Jocelyn Elmes, Luca Stevenson, Victoria Holt, Stephen Rolles, et Rachel Stuart. « Sex Workers Must Not Be Forgotten in the COVID-19 Response ». The Lancet 396, no 10243 (4 juillet 2020): 9‑11. https://doi.org/10.1016/S0140-6736(20)31033-3.

Roux, Sébastien. « Les économies de la prostitution. Sociologie critique du tourisme sexuel en Thaïlande ». EHESS, 2009.

Roy, Deblina. « COVID-19 and Impact on Places with Sex Tourism », s. d., 7.

APNSW. « SWING – Service Workers in Group ». Consulté le 2 novembre 2021. https://www.apnsw.info/membership/members/swing.

« “We Cannot Provide Only HIV Services While Sex Workers Are Hungry”: Thai Community Organization Steps In ». Consulté le 2 novembre 2021. https://www.unaids.org/en/resources/presscentre/featurestories/2020/june/20200601_thailand.

« Zone grise — Géoconfluences ». Terme. Consulté le 18 décembre 2021. http://geoconfluences.ens-lyon.fr/glossaire/zones-grises.

 

Figure et vidéo

FIGURE 1 — OpenMinded. « Les quartiers rouges de Bangkok, lieux de la prostitution ». Consulté le 30 octobre 2021. https://www.opnminded.com/2017/04/28/quartiers-rouges-bangkok-prostitution-sexe-thailande.html.

FIGURE 2 — « Bangkok by night » s’est endormie ». Le Monde.fr, 12 juin 2020. https://www.lemonde.fr/international/article/2020/06/12/bangkok-by-night-s-est-endormie_6042565_3210.html.

FIGURE 3 (VIDÉO) — https://www.youtube.com/watch?v=BwuePrrDRRs

FIGURE 4 — « “We Cannot Provide Only HIV Services While Sex Workers Are Hungry”: Thai Community Organization Steps In ». Consulté le 30 octobre 2021. https://www.unaids.org/en/resources/presscentre/featurestories/2020/june/20200601_thailand.

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