Par Heidi Poirier
**Note de l’auteur : Le pronom « iel » est utilisé dans le texte en tant que pronom neutre pour référer aux Kathoeys et les accords alternent entre masculins et féminins comme les personnes que le terme représentait en Antiquité.**
L’influence de la période coloniale dans les pays voisins de la Thaïlande a fortement contribué à la mise en place de lois anti-sodomies au début du XXe siècle. Ces lois furent retirées en 1956 [1], ce qui est relativement hâtif à l’échelle mondiale, car l’homosexualité fut seulement décriminalisée au Canada en 1969 [2]. La période de criminalisation a duré une cinquantaine d’années [3] et donc nous pouvons nous demander comment les Kathoeys furent traités.es dans la société thaïlandaise durant cette période. Cette question se répond en deux parties, d’abord l’aspect légal et ensuite l’aspect social.
La période de la première moitie du XXe siècle en Thaïlande se caractérise d’abord par une période de règne monarchique, ensuite une période de monarchie constitutionnelle et puis un régime dictatorial. La société thaïlandaise n’a pas vécu de transformation majeure entre la moitié du 19e et le début du 20e siècle. Les changements ont surtout eu lieu sous la dictature de Phibun à partir des années 1930 [3]. C’est donc surtout à partir de ce moment que les Kathoeys ont vécu des changements dans leur réalité légale et sociale.
Le premier aspect qui explique comment les Kathoeys furent traités.es dans la société thaïlandaise est le contexte légal de la période historique à l’étude. En ce sens, la loi anti-sodomie qui fut introduite lors de la réforme du système légal pour ressembler au système légal britannique vers 1908 [4], est plutôt une démonstration de l’influence coloniale, qu’un réel développement de l’homophobie et de la transphobie dans la société. De plus, aucun acte d’homosexualité ou de sodomie entre hommes ou entre femmes n’a été condamné, car la mise en place de la loi n’a pas modifié la perception sociale [5]. Mise à part la loi anti-sodomie, d’autres aspects légaux ont eu des impacts sur les Kathoeys. En ce sens, durant le régime de Phibun, des agents de l’État avaient le pouvoir de faire respecter les normes vestimentaires et comportementales mises en place pour créer une différenciation homme-femme similaire à celle de l’Occident [6]. L’imposition de ces normes pouvait marginaliser les Kathoeys, car iels ne se conformaient pas aux normes, et donc, étaient visiblement différents du reste de la société. Cela dit, il y a très peu d’information sur des actions prises envers les Kathoeys dans le cadre de ces normes.
Le deuxième aspect qui explique la situation des Kathoeys est les dynamiques sociales de l’époque. En ce sens, jusqu’à la modernisation occidentale de Phibun, il y avait peu de différences entre l’expression de genre masculine et féminine à cause des normes vestimentaires limitées et de la normalité de la nudité de tous les genres. Cette réalité fut un choc pour les Européens qui percevaient cette nudité et le manque de différenciation entre homme et femme comme un manque de civilité. Ces deux aspects de la société thaïlandaise ont permis aux Kathoeys de passer relativement inaperçus.es au sein de la société, car il n’était pas évident lorsqu’iels allaient à l’encontre du peu de normes en place [7]. Suite à la prise de pouvoir par Phibun, il y a eu un mouvement important de modernisation de l’apparence et des comportements des thailandais.es pour se conformer aux normes occidentales dans un but d’éviter des représentations négatives et réductrices de l’identité thaïlandaise en occident. Cette modernisation avait pour but de faire paraître les Thailandais.es comme égaux aux Occidentaux, et donc moins comme une possible cible facile du colonialisme [8].
Le mouvement de modernisation était basé sur trois aspects de la société thaïlandaise à occidentaliser. D’abord, la nudité omniprésente devait être adressée et limitée. Ensuite, les pratiques sexuelles polygames devaient être arrêtées. Et finalement, les similarités d’apparence entre les hommes et les femmes devaient être réduites [9]. Plusieurs stratégies furent mises en place, comme l’imposition d’un code vestimentaire pour chaque genre, des styles de coupes de cheveux acceptables et des comportements acceptables genrés. Ces stratégies ont fonctionné dans la sphère publique et ont entraîné un mouvement d’occidentalisation de l’apparence de la société [9]. Cette nouvelle binarité des genres a eu l’effet de mettre en lumière la non-conformité à la conception occidentale du genre des Kathoeys. En ce sens, maintenant que la grande majorité de la population respectait les mesures mises en place par peur de répression comme expliquée plus haut, les Kathoeys se retrouvaient à être les seuls qui divergeaient des normes et donc iels furent marginalisés.es. Ce phénomène se remarque par le manque de littérature occidentale sur l’existence des Kathoeys avant cette période et leur présence de plus en plus importante après cette période de soi-disant modernisation [10].
En bref, la modernisation par rapport aux normes occidentales légales et sociales ont poussé les Kathoeys à être marginalisés.es dans la société thaïlandaise à cause de leur expression et identité de genre qui ne passaient plus inaperçues dans cette société occidentalisée.
Sources
[1] Khan 2005, p.23
[2] Gouvernement du Canada 2018
[3] Khan 2005, p.23
[4] Baker et al. 2014, p.65
[5] Khan 2005, p.23
[6] Jackson 2003, p.68
[7] Jackson 2003, p.68
[8] Jackson 2003, p.68
[9] Jackson 2003, p.26
[10] Jackson 2003, p.52
Bibliography
Baker, Christopher John et Pasuk Phongpaichit. 2014. « A History of Thailand ». Troisième édition. Cambridge: Cambridge University Press.
Gouvernement du Canada. 2018. « Droits des personnes LGBTI ». Gouvernement du Canada. Consulté le 8 novembre 2021. https://www.canada.ca/fr/patrimoine-canadien/services/droits-personnes-lgbti.html
Jackson, Peter A. 2003. « Performative Gendrs, Perverse Desires : A Bio-History of Thailand’s Same-Sex and Transgender Cultures ». Intersections : Gender, History and Culture in the Asian Context. Édition 9, Août 2003. http://intersections.anu.edu.au/issue9/jackson.html
Khan, Shivananda. 2005. « Assessment of sexual health needs of males who have sex with males in Laos and Thailand ». Naz Foundation International. Février 2005. https://web.archive.org/web/20130521235418/http://www.nfi.net/NFI%20Publications/All%20other/Pact%20NFI%20MSM%20Thailand%20additional%20references.pdf