Par Lucile Muller
Le mercredi 20 octobre, a été annoncé par le ministre des Affaires étrangères philippin une protestation pacifique à l’encontre de navires chinois ayant fait résonner des sirènes sur des garde-côtes philippins, au sein de la zone maritime philippine. Il a déclaré sur Twitter que « Ces actes provocateurs menacent la paix, le bon ordre et la sécurité de la mer de Chine méridionale et vont à l’encontre des obligations de la Chine en vertu du droit international ». En se référant ainsi à la législature internationale, l’État philippin démontre sa volonté d’apaiser les conflits en mer méridionale de Chine au travers de politiques pacifiques et réglementées ; la présence maritime de la Chine restant contraignante pour les pécheurs philippins.
Bien que la Chine, en délimitant ses revendications territoriales par sa « ligne des neuf traits », ait provoqué un mécontentement général dans la région asiatique, l’implication de l’État philippin dans les récifs Scarborough et les îles Spratly diffère cependant de celle des autres États sur deux points. Comme le décrit Maria Ortuoste, « c’est le seul demandeur qui détient une alliance officielle avec un grand comme les États-Unis. (…)et qui utilise des forums internationaux pour obtenir une reconnaissance de [ses] revendications et attirer l’attention sur les actes de déstabilisation de l’État chinois »[1]. Bien qu’on puisse observer un certain détachement de la puissance américaine depuis ces dernières années -et notamment depuis la présidence Duterte-, la menace d’un conflit apparent reste présente pour les deux États asiatiques. Souhaitant ne pas risquer une intervention asymétrique, les Philippines soutiennent en effet leurs revendications territoriales, riches en ressources halieutiques, au travers d’une mobilisation du droit international et de l’organisation régionale ASEAN ; mobilisation qui, du fait de la dépendance des pays du sud-est asiatique à la Chine, est devenue quelque peu isolée.
Les Philippines ont, en effet, eu de grands espoirs pour l’ASEAN : elle devait permettre de pacifier la région et de réglementer les empiètements de la Chine sur les territoires des pays membre, sans que ceux-ci aient à s’opposer unilatéralement à la puissance. Cet espoir a notamment été soutenu par l’engagement de l’organisation régionale dans la signature avec la Chine en 2002 de la « Déclaration sur la conduite des Parties en Mer de Chine méridionale », ayant pour objet de prévoir « certaines règles de base concernant les comportements permis » [3]. Néanmoins, son principe fondateur de prise de décision par consensus a considérablement obstrué les revendications philippines à l’encontre de la Chine ; un certain nombre de pays membre ne souhaitant pas perdre le soutien financier de la puissance. Ceci a notamment pu être mis en lumière par la réunion de l’ASEAN au Cambodge en 2012 : l’État hôte, dépendant financièrement de la Chine, a refusé tout consensus sur l’implication du géant aux conflits. On peut ainsi voir de manière assez évidente l’inefficacité de l’ASEAN concernant la réglementation des actions chinoises. Les Philippines apparaissent alors comme un des seuls États membres souhaitant engager une action légale contre la Chine.
« The ASEAN route is not the only route for us. As a sovereign state, it is our right to defend our national interest » [4]; c’est ainsi que le porte-parole de la présidente Aquino décrivait la nouvelle voix de revendication philippine, se caractérisant par une mobilisation de la législation internationale. La première eut lieu le 22 janvier 2013, lors d’une réclamation portée à la Convention des Nations Unies sur le Droit de la Mer. Celle-ci produisit une sévère animosité entre les deux États : le président chinois Xi Jinping boycotta la réunion de l’APEC se déroulant à Manille en 2015 et « le président philippin Benigno Aquino compara les actions de la Chine à celles de l’Allemagne nazie avant la Seconde Guerre mondiale » [3]. L’État chinois dénia également toute sanction en lien avec une plainte « arbitraire » des Philippines, il déclara « solennellement que la sentence est nulle et non avenue et n’a pas de force obligatoire et que la Chine ne l’accepte ni ne la reconnaît » [5]. Malgré cette réaction de la Chine, les Philippines, en portant aux Nations Unies une plainte officielle envers la puissance, démontrent encore une fois une réelle volonté de défendre leurs territoires au sein d’un cadre légal, même si le pays n’est pas soutenu par ses voisins.
Cette mobilisation du droit international est toujours présente de nos jours : l’État philippin reste inquiet de la militarisation chinoise des îles et qualifie « les activités illégales de la Chine de l’Ouest des Philippines comme étant ‘très troublantes’ » [6]. On observe cependant un adoucissement de ces revendications légales : le président actuel, Duterte, souhaitant favoriser l’essor économique de son pays et se concentrer sur les menaces terroristes dans la région (A VOIR : Duterte thanks China for COVID-19 vaccines, says Philippines to ‘stay neutral’ in geopolitics).
En somme, les revendications territoriales philippines fondées sur le droit international ont beaucoup de chances de rester sans suite : la Chine n’acceptant pas les sanctions et les pays d’Asie du Sud-Est ne souhaitant pas se brouiller avec la puissance. Il conviendrait alors peut-être que le pays change de stratégie, la puissance chinoise pouvant tendre vers une hégémonie.
[1] Maria Ortuoste, THE PHILIPPINES IN THE SOUTH CHINA SEA: Out of Time, Out of Options? Southeast Asian Affairs, 2013 p.240-241
[2] Kreuzer, Peter. “A Cooperative Interlude in the Philippine-Chinese Relationship.” Facing China: Crises or Peaceful Coexistence in the South China Sea., 2015 p.21
[3] Shelton Woods, The Sino-Philippine South China Sea Dispute, American Journal of Chinese Studies, 2016, p.159-160
[4] Maria Ortuoste p.250
[5] « Déclaration du ministère des affaires étrangères de la République Populaire de chine sur la sentence rendue le 12 juillet 2016 par le tribunal arbitral constitué à la demande de la république des Philippines dans l’arbitrage concernant la mer de Chine méridionale », 2016 p.1
[6] Cook, Malcolm. “THE PHILIPPINES IN 2017: Turbulent Consolidation.” Southeast Asian Affairs, 2018, p.20
BIBLIOGRAPHIE
Bautista, “The Philippine Treaty Limits and Territorial Water Claim in International Law” (2009) 5 (1/2) Social Science Diliman 107-127 The Philippine Treaty Limits and Territorial Water Claim in International Law (uow.edu.au) (Consultée en ligne le 26/10/21)
Cook, Malcolm. “THE PHILIPPINES IN 2017: Turbulent Consolidation.” Southeast Asian Affairs, 2018, 267–84. https://www.jstor.org/stable/26492781. (Consulté en ligne le 26/10/21)
Déclaration du ministère des affaires étrangères de la république populaire de chine sur la sentence rendue le 12 juillet 2016 par le tribunal arbitral constitué à la demande de la république des Philippines dans l’arbitrage concernant la mer de Chine méridionale, 2016 https://s4eb0693d90008b85.jimcontent.com/download/version/1468428611/module/8729252985/
name/de%CC%81claration%20de%20Chine%20sur%20la%20mer%20de%20Chine%20me%CC%81ridionale.pdf (consulté en ligne le 26/10/21)
Zhao, Hong. “SINO-PHILIPPINES RELATIONS: MOVING BEYOND SOUTH CHINA SEA DISPUTE?” The Journal of East Asian Affairs 26, no. 2 (2012): 57–76. http://www.jstor.org/stable/23595518. (Consulté en ligne le 26/10/21)
Kreuzer, Peter. “A Cooperative Interlude in the Philippine-Chinese Relationship.” Facing China: Crises or Peaceful Coexistence in the South China Sea. Peace Research Institute Frankfurt, 2015. http://www.jstor.org/stable/resrep14484.7. (Consulté en ligne le 26/10/21)
Ortuoste, Maria. “THE PHILIPPINES IN THE SOUTH CHINA SEA: Out of Time, Out of Options?” Southeast Asian Affairs, 2013, 240–53. http://www.jstor.org/stable/23471147. (Consulté en ligne le 26/10/21)
Vincent Thébault, Géopolitique de l’Asie, 2014
Woods, Shelton. “The Sino-Philippine South China Sea Dispute.” American Journal of Chinese Studies 23 (2016): 159–71. http://www.jstor.org/stable/44289146. (Consulté en ligne le 26/10/21)