Par Heidi Poirier
**Note de l’auteur : Le pronom « iel » est utilisé dans le texte en tant que pronom neutre pour référer aux Kathoeys et les accords alternent entre masculins et féminins comme les personnes que le terme représentait en Antiquité.**
Suite à la décriminalisation des relations sexuelles entre hommes et entre femmes en 1956 en Thaïlande [1] et à la mondialisation graduelle du pays, la situation des membres de la communauté LGBTQ+ en Thaïlande a changé [2]. Pour comprendre comment les personnes LGBTQ+, et en particulier les Kathoeys, étaient perçues durant la deuxième moitié du XXe siècle en Thaïlande et à l’internationale, il est pertinent d’analyser leurs différentes représentations dans une variété de types de médias, dont des colonnes dans des journaux et des documentaires marquants. Ces sources médiatiques permettent de comprendre la perception nationale et internationale envers les Kathoeys. Deux sources médiatiques ont eu un impact particulièrement important à l’interne et à l’externe du pays durant la deuxième moitié du XXe siècle, soit une colonne de conseil dans un magazine thaïlandais et un documentaire britannique.
En plus d’analyser les représentations médiatiques, il est nécessaire de comprendre l’effet du clivage urbain-rural au sein de la société thaïlandaise. En ce sens, comme dans plusieurs sociétés, dont le Canada, le niveau d’acceptation des membres de la communauté LGBTQ+ est plus élevé dans les grands centres urbains que dans les milieux ruraux [3]. Cette dynamique est importante dans le contexte de la représentation thaïlandaise, car plusieurs personnes vivant dans les grands centres urbains auront déjà eu des contacts avec des Kathoeys alors que ceux vivant dans des milieux plus ruraux se fient beaucoup plus aux représentations médiatiques [4].
Pour comprendre l’importance des représentations médiatiques, il est nécessaire de garder en tête la réalité des Kathoeys dans la société thaïlandaise pendant la deuxième moitié du XXe siècle. D’abord, bien que les relations homosexuelles soient décriminalisées, l’homosexualité est encore considérée comme une maladie mentale jusqu’en 2002. Par conséquent, les personnes LGBTQ+ étaient disqualifiées du service militaire obligatoire pour cause de maladie mentale. Cette disqualification était inscrite dans leur dossier d’information personnelle et compliquait leur chance d’avoir accès à des emplois formels, donc plusieurs se tournaient vers des emplois informels, dont le travail du sexe [5].
La colonne de conseil « Dear Uncle Go » a eu un important impact sur la perception interne de la population envers les Kathoeys et les personnes homosexuelles. En ce sens, cette colonne dans un magazine connu pour la publication de sujets peu communs a permis un contact entre un public plus large et la réalité des Kathoeys. Ce magazine, Plaek, est le premier magazine national thaïlandais qui a publié des entrevues avec des Kathoeys et plus tard des lettres écrites par des Kathoeys qui n’avaient pas la connotation négative caractéristique des grands journaux et chaînes de télévision nationales. Cette représentation, qui a débuté en 1975, n’étaient pas du tout l’image distribuée par les médias nationaux. Cela dit, le propriétaire du magazine voyait tout de même l’aspect financier d’attirer des lecteurs grâce aux Kathoeys, donc iels étaient principalement représentés.es par rapport à des stéréotypes hypersexualisés. Enfin, cette représentation fut en partie bénéfique, mais elle a aussi renforcé le statu quo de certains stéréotypes, notamment concernant le travail du sexe qui se perpétuent jusqu’au XXIe siècle [6].
Un autre événement médiatique important fut le documentaire britannique qui s’intitule « Ladyboy », qui fut produit en 1992 pour Channel 4, une grande chaîne de télévision du Royaume-Uni. Ce documentaire fut présenté dans plusieurs festivals de films internationaux et grâce à cette exposition, les Kathoeys ont aussi reçu beaucoup d’attention et furent découverts.es par un public international large. Le documentaire suit deux jeunes Kathoeys qui quittent leurs villages ruraux pour aller vivre en ville et gagner leur vie grâce à des concours de beauté. Le documentaire démontre la réalité humaine des Kathoeys, en illustrant les hauts et les bas de l’aventure des deux Kathoeys. Ce documentaire a illustré pour une des premières fois certaines réalités propres aux Kathoeys et aux membres de la communauté LGBTQ+, dont les relations interpersonnelles avec la famille, les enjeux de discrimination et la perception sociale vécues par les Kathoeys. Tout ceci a permis d’humaniser les Kathoeys et a influencé positivement la perception sociale, car les Kathoeys étaient dépeints.es comme des personnes tout à fait normales qui vivent des difficultés et des succès comme tous les autres membres de la société [7].
En bref, ces deux représentations différentes ont eu des impacts positifs sur la visibilité des Kathoeys en permettant une représentation positive et/ou qui tendait vers l’objectivité, ce qui fut un changement important comparativement à la représentation dans les grands médias thaïlandais [8]. Cette nouvelle représentation fut le début d’une représentation beaucoup plus importante au XXIe siècle qui inclue des concours de beauté, des émissions de télévision et bien plus encore [9].
Sources
[1] Khan 2005, p.23
[2] United Nations Development Programme 2014, p.2
[3] McGlynn 2018, p.75
[4] United Nations Development Programme 2014, p.6
[5] United Nations Development Programme 2014, p.16
[6] Jackson, Peter A. 2016, p.3-20
[7] Ji hlava
[8] Jackson, Peter A. 2016, p.3
[9] South China Morning Post 2016
Bibliographie
Jackson, Peter A. 2016. « First Queer Voices from Thailand : Uncle Go’s Advice Columns for Gays, Lesbians and Kathoeys ». Queer Asia, V. 15. Hong Kong University Press.
Ji hlava. « Ladyboys ». http://old.ji-hlava.com/database/movie/7487%7CLadyboys. Consulté le 20 novembre 2021.
Khan, Shivananda. 2005. « Assessment of sexual health needs of males who have sex with males in Laos and Thailand ». Naz Foundation International. Février 2005. https://web.archive.org/web/20130521235418/http://www.nfi.net/NFI%20Publications/All%20other/Pact%20NFI%20MSM%20Thailand%20additional%20references.pdf
McGlynn N. 2018. « Slippery Geographies of the Urban and the Rural: Public Sector Lgbt Equalities Work in the Shadow of the ‘Gay Capital.’ » Journal of Rural Studies 57: 65–77. https://doi.org/10.1016/j.jrurstud.2017.10.008.
South China Morning Post. 2016. « How starring in Miss Tiffany’s pageant show can change a Thai trans beauty queen’s life. » 28 avril 2016.
United Nations Development Programme. 2014. « Being LGBT in Asia : Thailand country report ». https://www.refworld.org/pdfid/54ed82784.pdf