Le Civil Disobedience Movement : une lutte populaire pour la démocratie

par Anaïs Robeyrenc

Après cinq années d’expérience démocratique, le coup d’État militaire du 1er février 2021 en Birmanie a déclenché un mouvement de révolte populaire sans précédent. En témoigne l’utilisation massive du salut des Hunger Games en tant que symbole de rébellion contre le régime militaire en place.

Le coup d’État militaire fut un véritable revers aux aspirations démocratiques du peuple. En effet, il est intervenu le jour où le Parlement birman entamait une nouvelle session pour constituer le futur gouvernement démocratiquement élu en 2020. Plus que le signe d’un retour vers l’autoritarisme, le coup d’État de la junte militaire s’est opposé à la voix du peuple. Néanmoins, il n’est pas parvenu à éteindre les espoirs d’une démocratie totale en Birmanie, et a même intensifié la conviction démocratique[1].

La Birmanie en quête de démocratie depuis dix ans

Depuis 2008, le gouvernement birman tente, tant bien que mal, d’entamer un processus de démocratisation en Birmanie. En outre, la Constitution de 2008 a lié le système politique birman et le pouvoir militaire fragilisant la transition vers la démocratie[2]. Néanmoins, la démocratie s’est trouvée une voix dans le pays à travers les élections parlementaires. Elles ont été la meilleure expression de la démocratie en Birmanie. A titre d’exemple, les élections de 2015 ont amené, par le biais des urnes, la cheffe de la Ligue Nationale pour la Démocratie, Aung San Suu Kyi au pouvoir.  Au sein de la société civile, ces élections se sont traduites par des avancées démocratiques majeurs auxquelles les Birmans ont rapidement pris goût[3]. En effet, la démocratisation de la société birmane a développé les libertés politiques et humaines, même si ces dernières n’ont pas été accessibles de manière égale aux minorités ethniques et musulmanes, en témoigne le génocide des Rohingyas. Ainsi, même si l’expérience démocratique ne fut pas totale et parfaite, elle fut suffisante pour que le peuple y adhère et la défende face à la menace militaire.

Le mouvement de désobéissance civile : le cri du peuple pour un retour à la démocratie

Le 1er février 2021 la Birmanie a donc connu son quatrième coup d’État en soixante-trois ans[4]. La Tatmadaw a renversé le gouvernement de Aun San Suu Kyi et a arrêté la dirigeante au pouvoir depuis 2015 comme expliqué plus haut. Sentant la ferveur populaire montée, la junte militaire a justifié cet acte comme un acte de défense de la démocratie, les élections législatives de 2020, remportées massivement par la Ligue Nationale pour la Démocratie (LND), étant considérées comme frauduleuse par les militaires[5]. Pourtant, la proclamation de l’état d’urgence dans le pays, pour une période d’un an, renversa l’idée de protection de la démocratie au profit d’une véritable tentative de coup d’État autoritaire[6]. En effet, l’état d’urgence a octroyé les pleins pouvoirs au général Min Aung Hlaing. Méfiants, les birmans sont donc rapidement descendus dans la rue afin de dénoncer les dérives autoritaires. En effet, plus de 1700 personnes étaient détenues et environ 50 personnes sont décédées à cause de la répression militaire[7]. Le mouvement de désobéissance civile s’est formé suite à l’appel à la résistance d’Aung San Suu Kyi. Ainsi, la puissance et le soutien populaire massif dont bénéficie le Civil Disobedience Movement (CDM) affichent de manière éclatante la réalité de la situation : un pays se soulevant pour défendre la démocratie contre le pouvoir militaire. Le mouvement a continué à prendre de l’ampleur, s’est institutionnalisé et porte en son sein l’espoir d’une réforme politique profonde[8].

L’influence de l’Alliance du Thé au Lait : la transnationalisation du phénomène démocratique

Les actions menées par les militants de l’Alliance du Thé au Lait trouvent une résonance au sein du mouvement de désobéissance civil birman. Ce sont des mouvements localisés à différents endroits luttant pour les mêmes objectifs : la démocratie, la liberté, l’égalité[9]. À Hong Kong, Taïwan, Thaïlande et désormais en Birmanie, ces mouvements sont portés par la jeunesse, principale actrice de la transnationalisation du phénomène démocratique[10].

Il est pertinent d’établir un lien entre les manifestations qui ont lieu en Thaïlande et celles en cours en Birmanie. L’utilisation du signe de Hunger Games traduit la transnationalisation des mouvements pro-démocraties en Asie du Sud-Est. En effet, il fut utilisé pour la première fois en Thaïlande en 2014 comme un symbole de rébellion au coup d’État qui eut lieu cette année-là[11]. Il a été repris à ce même titre en Birmanie en février 2021. De manière générale, les deux mouvements sont caractérisés par la créativité des participants, l’un s’inspirant surement de l’autre, pour dénoncer et captiver l’attention médiatique[12]. C’est pourquoi on retrouve dans les deux cas des boucliers de fortune tels que des parapluies, ou bien des déguisements marrants et infantilisants. Ainsi, la Thaïlande et la Birmanie sont extrêmement connectés et partagent des revendications politiques ainsi que des symboles communs. De même, utiliser un symbole si populaire permet de renforcer la dimension transnationale de la démocratie afin d’encourager d’autres militants à reprendre ce signe pour protester contre des dérives autoritaires.

Ainsi, la Birmanie et le CDM incarnent et participent à la transnationalisation de la démocratie en Asie du Sud-Est.

 

[1] Wells, Tamas. 2021. « Narrating Democracy in Myanmar: The struggle between activists, democratic leaders and aid workers », Amsterdam, Amsterdam Unive

[2] Brac de la Perrière, Bénédicte. 2021. « Birmanie : coup de grâce pour la Constitution ? », Esprit, 37:2, pp. 10-14.

[3] Sabrié, Marion. 2015. « La Birmanie Dans La Transition Démocratique : Perspectives Politiques à Moyen Terme. » Diplomatie, no. 77, pp. 20–24.

[4] Philip, Bruno. 2021. « Coup d’État en Birmanie : l’armée s’empare du pouvoir et arrête Aung San Suu Kyi », Le Monde [En ligne] https://www.lemonde.fr/international/article/2021/02/01/en-birmanie-l-armee-s-empare-du-pouvoir-et-arrete-aung-san-suu-kyi_6068333_3210.html(Page consultée le 19 décembre 2021).

[5] Ibid.

[6] Ibid.

[7] Mahtani, Shibani. 2021. « Myanmar protesters place women’s clothes across streets to thwart crackdown », The Washington Post. Democracy Dies in darkness, [En ligne] https://www.washingtonpost.com/photography/interactive/2021/myanmar-protests-coup-clothing/ (Page consultée le 5 octobre 2021)

[8] Brac de la Perrière, Bénédicte. 2021. « Birmanie : coup de grâce pour la Constitution ? », Esprit, 37:2, pp. 10-14.

[9] Wong, Tessa. 2020. Mahtani, Shibani. 2021. « Milk Tea Alliance : Thai and Hong Kong activists on fight for democracy », [En ligne] https://www.bbc.com/news/av/world-asia-54822739 (Page consultée le 5 octobre 2021).

[10] Ibid

[11] Wong, Tessa. 2020. Mahtani, Shibani. 2021. « Hunger Games salute : the symbol of protest against Asia’s military regimes », [En ligne] https://www.bbc.com/news/av/world-asia-56289575 (Page consultée le 5 octobre 2021).

[12] Isoux, Carol. 2021. « À Rangoun, Hong Kong et Bangkok, les méthodes s’assimilent », Libération [En ligne] https://www.liberation.fr/international/asie-pacifique/a-rangoun-hongkong-et-bangkok-les-methodes-sassimilent-20210301_EIUBQIFFQZEM3P3WSY3WJC7ZBY/ (Page consultée le 19 décembre 2021).

 

Bibliographie

Aung Moe Soe, Ogilvie Ivan, Evangelou Kyri et Phillips Charlie. 2021. « On the frontline of Myanmar’s coup protests : “We don’t accep this dictatorship”- video » [En ligne] https://www.theguardian.com/world/video/2021/mar/05/on-the-frontline-of-myanmars-coup-protests-we-dont-accept-this-dictatorship-video (Page consultée le 5 octobre 2021)

Brac de la Perrière, Bénédicte. 2021. « Birmanie : coup de grâce pour la Constitution ? », Esprit, 37:2, pp. 10-14.

Isoux, Carol. 2021. « À Rangoun, Hong Kong et Bangkok, les méthodes s’assimilent », Libération [En ligne] https://www.liberation.fr/international/asie-pacifique/a-rangoun-hongkong-et-bangkok-les-methodes-sassimilent-20210301_EIUBQIFFQZEM3P3WSY3WJC7ZBY/ (Page consultée le 19 décembre 2021).

Kipgen, Nehginpao. 2021. « The 2020 Myanmar election and the 2021 coup: deepening democracy or widening division? », Asian Affairs, 52:1, pp. 1-17.

Mahtani, Shibani. 2021. « Myanmar protesters place women’s clothes across streets to thwart crackdown », The Washington Post. Democracy Dies in darkness, [En ligne] https://www.washingtonpost.com/photography/interactive/2021/myanmar-protests-coup-clothing/ (Page consultée le 5 octobre 2021)

Philip, Bruno. 2021. « Coup d’État en Birmanie : l’armée s’empare du pouvoir et arrête Aung San Suu Kyi », Le Monde [En ligne] https://www.lemonde.fr/international/article/2021/02/01/en-birmanie-l-armee-s-empare-du-pouvoir-et-arrete-aung-san-suu-kyi_6068333_3210.html (Page consultée le 19 décembre 2021).

Sabrié, Marion. 2015. « La Birmanie Dans La Transition Démocratique : Perspectives Politiques à Moyen Terme. » Diplomatie, no. 77, pp. 20–24.

Wells, Tamas. 2021. « Narrating Democracy in Myanmar: The struggle between activists, democratic leaders and aid workers », Amsterdam, Amsterdam University Press.

Wong, Tessa. 2020. Mahtani, Shibani. 2021. « Hunger Games salute : the symbol of protest against Asia’s military regimes », [En ligne] https://www.bbc.com/news/av/world-asia-56289575 (Page consultée le 5 octobre 2021).

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