L’Asie du Sud-Est : un enjeu géostratégique sino-américain.
Les Philippines : un enjeu maritime majeur.
Les Philippines sont un archipel recensant la 2ème plus grande population parmi les pays membres de l’ASEAN avec 110 millions d’habitants[1]. L’État philippin se situe au cœur de ce qu’il nomme la « mer de l’Ouest » puisqu’ils considèrent l’appellation reconnue internationalement « mer de Chine méridionale » comme une reconnaissance de la souveraineté chinoise[2]. La configuration des Philippines comme étant un État insulaire et un archipel, ainsi que sa proximité avec les revendications chinoises fait de l’État philippin un acteur majeur de la concurrence sino-américaine dans la zone d’Asie du Sud-Est. Les Philippines sont alors un potentiel allié stratégique pour Washington, tandis que Pékin insiste pour faire valoir ses droits historiques de façon pacifique misant sur des relations diplomatiques renforcées au niveau régional avec ses pays voisins. Cependant, Manille, à l’instar des autres États de l’ASEAN, promeut une diplomatie multilatérale afin d’assurer sa sécurité et sa stabilité économique entre les géants chinois et américain. Cependant au vu des contentieux maritimes entre la Chine et les Philippines, la question suivante s’impose : comment le multilatéralisme prôné par Manille se confronte-t-il aux rivalités sino-américaines ?
Un pays clé pour Washington.
Les ports philippins sont considérés comme des points de passage obligatoire sur les mers qui relient la Chine à l’Australie, configurant aux Philippines un attrait stratégique majeur dans la région dont les Américains tentent de profiter. Alors que, « parmi les pays de l’ASEAN, le Vietnam et les Philippines déploient la plus grande activité et font preuve de la plus grande détermination dans leurs revendications territoriales en mer de Chine méridionale »[3], ces tensions offrent aux États-Unis une opportunité de se rapprocher du gouvernement philippin en leur soumettant des solutions afin d’assurer leur sécurité. En effet, pour Manille la relation avec Washington est vitale tandis que pour les États-Unis, cela est synonyme d’une opportunité pour élargir son dispositif militaire dans la région asiatique[4]. La relation entre les deux pays est ainsi marquée par des accords militaires et la réalisation annuelle de manœuvres militaires (du nom de Balikatan, signifiant épaule contre épaule)[5].
Figure 1. Des officiels américains et philippins lors de Balikatan.[6]
Washington investit beaucoup de moyens afin de s’assurer les faveurs de Manille : « selon l’ambassade des États-Unis à Manille, les Philippines ont reçu près de 500 millions de dollars d’aide militaire américaine depuis 2002 »[7]. Malgré cela, les relations entre les Philippines et les États-Unis sont relativement instables depuis le mandat du président philippin Rodrigo Duterte (en fonction depuis 2016). En effet, la présidence du Duterte est marquée par des interventions publiques sans filtre et fortement anti-occidentales. Ainsi, la diplomatie entre les États-Unis et les Philippines de ses dernières années a été caractérisée par sa volatilité en prenant des virages différents avec, dans un premier temps, la fin du mandat d’Obama puis par l’élection de Trump qui, à défaut d’avoir eu de réels impacts politiques, a vu les relations entre les deux chefs d’État être plus amicales que durant la présidence de Obama. Un exemple, de la volonté de Duterte d’éloigner les Philippines des États-Unis, fut notamment la rupture d’un accord militaire avec les États-Unis pourtant en vigueur depuis 1998 [8].
Le multilatéralisme de Manille à l’épreuve des insistances de Pékin.
Comme l’Histoire l’a démontré par le passé, la maitrise des mers est primordiale afin d’assurer sa suprématie. Ainsi la volonté de la Chine de s’approprier la mer de Chine n’est pas acceptable pour Washington, qui a la ferme volonté d’assurer la libre circulation en mer de Chine méridionale[9]. La Chine possède la conviction que les espaces maritimes l’entourant lui appartiennent, cela s’illustre notamment par les revendications chinoises de la « ligne en neuf traits » et ce justifiant, selon Pékin, par des droits historiques[10]. Les revendications chinoises comprennent la majorité de la mer méridionale et entrent en conflit direct avec les zones côtières du Vietnam, de la Malaisie, des Philippines et de Taïwan[11]. Le conflit entre Pékin et Manille concerne principalement l’archipel des Spratlys, dont l’intérêt des ilots n’est pas évident à première vue. L’intérêt principal de ses archipels s’explique les conséquences de l’application du droit international. En effet, la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (CDUM) de 1982 stipule que les iles peuvent donner le droit à des Zones Économiques Exclusives allant jusqu’à 200 milles marins du premier rivage. Ainsi, ces zones des archipels de la mer de Chine méridionale sont susceptibles d’abriter d’importantes ressources halieutiques[12] qui confèrent une valeur rehaussée à leurs détentions.
Figure 2. Une représentation des revendications chinoises en mer de Chine méridionale.[13]
Alors que, les tensions entre les deux pays ne dégénèrent pas totalement, Pékin refuse l’intervention des Occidentaux et la médiation de l’ONU[14]. Cependant, la récente politique chinoise semble être animée par une volonté d’apaisement avec l’entretien de relations bilatérales cordiales avec les membres de l’ASEAN. Dans ce sens, la Chine souhaite privilégier le règlement des différends politiques de la région entre les pays directement concernés, afin de s’assurer notamment le monopole du recours à la force. La présidence de Duterte a accéléré un processus de rapprochement entre les deux pays, notamment avec la ratification de certains traités économiques. Par la mise en place de relations diplomatiques malgré leurs différends, les Philippines essayent d’appliquer la politique de neutralité ou de « double appartenance » que suivent ardemment les pays membres de l’ASEAN depuis la conférence de Bandung et le célèbre « non-alignement » durant la guerre froide dans le conflit opposant les États-Unis et l’URSS[15].
La politique visant à rechercher d’un équilibre au sein de la rivalité sino-américaine est fragile, mais aussi instable, puisque les pays prônant par défaut cette stratégie sont avant tout impactés par les décisions politiques émanant de Washington et de Pékin. Cela met en perspective l’enjeu sécuritaire de l’ASEAN qui doit se renforcer afin de devenir une communauté de sécurité à l’image de ce que tente de réaliser l’Union Européenne.
TAGS : Philippines, Chine, États-Unis, mer de Chine méridionale.
Bibliographie.
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Figure 1. Erik de Castro, Le lieutenant général Lawrence Nicholson (au centre), des Marines des Etats-Unis, et son homologue des forces armées des Philippines, le lieutenant général Oscar Lactao (à gauche), lors de la cérémonie d’ouverture des exercices militaires américano-philippins, le 8 mai 2017 au camp Aguinaldo, à Quezon City, dans la banlieue de Manille, 2017. Provenant de Janier, Aymeric. « Entre les Philippines et les États-Unis, une alliance limitée ». Le Monde, 10 mai, 2017. https://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2017/05/10/entre-les-philippines-et-les-etats-unis-une-alliance-limitee_5125230_3216.html.
Figure 2. Didier Ortolland et Jean-Pierre Pirat, Des eaux très disputées, 2010. Atlas géopolitique des espaces maritimes, édition : Technip. Provenant de « Mer de Chine méridionale. Guerre des toponymes entre la Chine et l’Indonésie ». Courrier International, 20 juillet, 2017. https://www.courrierinternational.com/article/mer-de-chine-meridionale-guerre-des-toponymes-entre-la-chine-et-lindonesie.
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[1] « Philippines », Population Data.net (blogue), 4 février 2021, https://www.populationdata.net/pays/philippines/.
[2] Yann Roche, « Les puissances en mers du Sud-Est asiatique », Dans L’Asie du Sud-Est à la croisée des puissances, dirs. Serge Granger et Dominique Caouette (Montréal : Les presses de l’Université de Montréal, 2019).
[3] Roche, « Les puissances en mers du Sud-Est asiatique », 107.
[4] Édouard Pflimlin, « États-Unis et Philippines en première ligne face à la Chine », Outre-Terre 37, n°3 (2013), https://doi.org/10.3917/oute1.037.0407.
[5] Aymeric Janier, « Entre les Philippines et les États-Unis, une alliance limitée », Le Monde, 10 mai, 2017. https://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2017/05/10/entre-les-philippines-et-les-etats-unis-une-alliance-limitee_5125230_3216.html.
[6] Figure 1. Erik de Castro, Le lieutenant général Lawrence Nicholson (au centre), des Marines des Etats-Unis, et son homologue des forces armées des Philippines, le lieutenant général Oscar Lactao (à gauche), lors de la cérémonie d’ouverture des exercices militaires américano-philippins, le 8 mai 2017 au camp Aguinaldo, à Quezon City, dans la banlieue de Manille, 2017. Provenant de Janier, Aymeric. « Entre les Philippines et les États-Unis, une alliance limitée ». Le Monde, 10 mai, 2017. https://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2017/05/10/entre-les-philippines-et-les-etats-unis-une-alliance-limitee_5125230_3216.html.
[7] Édouard Pflimlin, « États-Unis et Philippines en première ligne face à la Chine », Outre-Terre 37, n°3 (2013) : 409, https://doi.org/10.3917/oute1.037.0407.
[8] Agence France Presse, « Les Philippines enclenchent la rupture du pacte militaire avec les Etats-Unis », La Presse, 11 février, 2020. https://www.lapresse.ca/international/asie-et-oceanie/2020-02-11/les-philippines enclenchent-la-rupture-du-pacte-militaire-avec-les-etats-unis.
[9] François Heisbourg, Le retour de la guerre (Paris : Odile Jacob, 2021).
[10] Ian Storey, « Discordes en mer de Chine méridionale : les eaux troubles du Sud-Est asiatique », Politique étrangère n°3 (2014), https://doi.org/10.3917/pe.143.0035.
[11] Yann Roche, « Les puissances en mers du Sud-Est asiatique », Dans L’Asie du Sud-Est à la croisée des puissances, dirs. Serge Granger et Dominique Caouette (Montréal : Les presses de l’Université de Montréal, 2019).
[12] Ian Storey, « Discordes en mer de Chine méridionale : les eaux troubles du Sud-Est asiatique », Politique étrangère n°3 (2014), https://doi.org/10.3917/pe.143.0035.
[13] Figure 2. Didier Ortolland et Jean-Pierre Pirat, Des eaux très disputées, 2010. Atlas géopolitique des espaces maritimes, édition : Technip. Provenant de « Mer de Chine méridionale. Guerre des toponymes entre la Chine et l’Indonésie ». Courrier International, 20 juillet, 2017. https://www.courrierinternational.com/article/mer-de-chine-meridionale-guerre-des-toponymes-entre-la-chine-et-lindonesie.
[14] Édouard Pflimlin, « États-Unis et Philippines en première ligne face à la Chine », Outre-Terre 37, n°3 (2013), https://doi.org/10.3917/oute1.037.0407.
[15] Dominique Caouette, « La centralité de l’Asie du Sud-Est » (présentation Power Point, cours Politique : Relations internationales de l’Asie du Sud-Est, Université de Montréal, Montréal, 8 septembre, 2021).