par Anaïs Jacquot
Présentement connue comme une plaque tournante et avant-garde de l’industrie de la mode, non seulement en Asie, mais aussi dans le reste du monde, Singapour tient son succès de l’implication du gouvernement dans le bien être de son industrie. En effet, depuis l’indépendance de l’État singapourien en 1965, son gouvernement joue un rôle actif dans la transformation et le maintien de la santé économique du pays [1]. Alors que la plupart des pays concentrent leur économie sur les produits manufacturés et électroniques, le gouvernement singapourien se tourne vers les services financiers, la télécommunication, les sciences, le tourisme et les industries créatives. C’est pour cela qu’en 2001, le gouvernement instaura le Comité de Révision Économique (ERC), consistant en sept sous-comités ayant pour but de développer des stratégies pour maintenir la continuité de la prospérité économique de l’État. C’est dans ce contexte qu’en 2002, le sous-comité des Industries Créatives (ERC-CI) recommanda au gouvernement de passer d’une économie industrielle à une économie alimentée par l’innovation, donc « d’assembler les arts, les affaires et la technologie », afin de former un « nouveau avantage compétitif » basé sur la créativité des Singapouriens [2]. Avec ce tournant politique vers une économie fondée en partie sur la création artistique dans divers domaines, Singapour s’est donc transformée en « Ville des Arts ».
Une économie locale à l’avant plan
Impliqué activement dans le développement de l’économie du pays, le gouvernement singapourien ne cesse d’améliorer et d’agrandir ses possibilités depuis l’indépendance de Singapour. Dans les années 1980-1990, l’économie singapourienne avait comme priorité l’investissement étranger. Beaucoup d’efforts avaient été placés dans l’attraction de compagnies multinationales afin qu’elles installent leurs centres de Recherche et Développement à Singapour et ainsi faciliter le transfert des technologies et leur diffusion dans les entreprises locales. Ensuite, à la fin des années 1990, pour éviter un excès de dépendance envers ces compagnies étrangères en plus d’un manque d’entreprenariat et d’innovation locale, le gouvernement mis en place une série de plans nationaux sur la science et la technologie qui s’échelonnèrent sur cinq ans. Il créa également un Fond pour l’Innovation Technopreneuriale afin de promouvoir l’entreprenariat de haute technologie en co-investissant dans de nouvelles compagnies. En 2008, la Fondation Nationale de Recherche (NRF), fondée pour supporter le Conseil de Recherche, d’Innovation et d’Entreprenariat (RIEC) créé en 2006 et encourager une meilleure innovation, mis en place le Cadre National pour la Recherche, l’Innovation et l’Entreprenariat pour aider la commercialisation de la technologie. En addition, le Plan de Science et Technologie de 2010 ayant pour but de renforcer les bases pour les centres de Recherche et Développement sera amélioré grâce à un autre plan sur cinq ans en 2015 [3]. Depuis, une série de plans de support ont été introduits par diverses agences gouvernementales afin de promouvoir les capacités d’innovation et de développement des entreprises locales à Singapour. L’investissement du gouvernement singapourien dans son économie locale lui permet alors de faire face à la mondialisation et aux divers développements économiques, faisant aujourd’hui de Singapour la puissance économique la plus riche d’Asie du Sud-Est [4] et l’une des plus importantes au monde.
L’industrie de la mode : un projet gouvernemental
Même si le système d’éducation singapourien se concentre généralement sur la production de futurs spécialistes en sciences et mathématiques, par exemples, et que les programmes offerts dans les écoles de mode sont très limités [5], cela n’empêche pourtant pas cette industrie de fleurir à Singapour. En fait, depuis les premières phases d’industrialisation orientées vers l’exportation dans les années 1960-1970, l’industrie singapourienne du vêtement a été incorporée dans la production internationale de réseaux et de chaines d’acheteurs américains et européens. À l’époque, Singapour avait un accès préférentiel avec les pays du ‘Commonwealth’, un climat d’investissement généralement favorable avec de bonnes taxes et des incitations d’exportation, un coût de main d’œuvre faible, des lieux de constructions peu coûteux et d’excellentes installations dans les ports. Il n’était donc pas rare de voir des producteurs d’autres endroits, comme Hong Kong et Taiwan, venir s’y installer. De plus, ces circonstances favorables ainsi que la capacité des producteurs locaux à fournir en grande quantité firent de Singapour une source de commerce populaire dans le domaine du vêtement, surtout avec les États-Unis [6]. Depuis ce temps, l’État singapourien a plus de restrictions quant à ce type de commerce, mais il n’en est pas moins populaire.
En effet, en plus des nouvelles restrictions sur le commerce dans l’industrie de la mode, le gouvernement singapourien, par peur d’influences étrangères, mis également en place diverses politiques sociales comme Singapore 21 et Remaking Singapore qui mettent l’emphase sur la préservation de la culture locale comme façon de vivre [7]. Singapore 21, par exemple, avait pour but de « renforcer la cohésion sociale et l’esprit d’appartenance et de responsabilité mutuelle de Singapour » [8]. Une troisième politique sociale, la Renaissance City endossée par le gouvernement en mars 2000 visait à établir Singapour comme une ville des arts divers et à fournir un effort culturel pour bâtir la nation. C’est grâce à cette politique que les industries créatives ont été formellement adoptées comme stratégie économique par le gouvernement [9], mettant de l’avant, entre autres, l’industrie de la mode. Récemment, en 2018, cette industrie s’en portait mieux que jamais. Avec l’aide du gouvernement, la hausse de la popularité des achats en ligne et l’entente faite entre le service de paiement digital singapourien CCPay et son contemporain chinois Alipay [10], les prévisions du pourcentage d’achat de produits de l’industrie de la mode pour l’année 2021 n’allaient qu’en augmentant.
Bibliographie
Can-Seng Ooi (2010), « Political pragmatism and the creative economy: Singapore as a City for the Arts », International Journal of Cultural Policy 16(4): 403-417.
Jue Wang (2018), « Innovation and government intervention: A comparison of Singapore and Hong Kong », Research Policy 47: 399-412.
Lam, Teresa et Chan, Tracy (2018), « What’s New and What’s Next in Singapore Retail », Asia Distribution and Retail dans Fung Business Intelligence, p.1-19.
Ng, Michele (2008), « Building a Global Asian Fashion Brand » , New York University, New York.
Sakman, Floortje (2003), « Evolution of the Singapore Garment Industry in Local Context » dans Local Industry in Global Networks: Changing Competitiveness, Corporate Strategies and Pathways of Development in Singapore and Malaysia’s Garment Industry, Universiteit Utrecht, p.85-111.
Tay, Jinna (2006), « Looking Modern: Fashion Journalism and Cultural Modernity in Shanghai, Singapore and Hong Kong », Queensland University of Technology, Brisbane.
Références
[1] Can-Seng 2010, p.406.
[2] Ibid.
[3] Jue 2018, p.401.
[4] Can-Seng 2010, p.406.
[5] Ng 2008, p.7.
[6] Sakman 2003, p.85.
[7] Tay 2006, p.215.
[8] Tay 2006, p.2019.
[9] Tay 2006, p.217-218.
[10] Lam et chan 2018, p.10.