Les Jeux de l’Asie du Sud-Est de 2013: restauration et renouveau de la diplomatie birmane

Par Nicolas Roulier

Une athlète de l’équipe nationale de Wushu lors des Jeux de l’Asie du Sud-Est de Nay Pyi Taw Source: Myanmar Times

Du 11 au 22 décembre 2013, Nay Pyi Taw, capitale du Myanmar a été l’hôte des Jeux de l’Asie du Sud-Est. Le pays recevait les jeux pour la troisième fois de son histoire, mais seulement pour la première fois en quarante-quatre ans, la dernière édition ayant eu lieu au Myanmar remontait à 1969. L’organisation des Jeux s’inscrivait dans un contexte où le pays vivait une transition démocratique et allait être président de l’ASEAN pour l’année 2014[1]. La délégation hôte a terminé deuxième au tableau des médailles, derrière la Thaïlande, avec 86 médailles d’or, 62 d’argent et 85 de bronze. Le succès des Jeux tant sur le plan sportif que de l’organisation a permis d’envoyer le message que le Myanmar était prêt à prendre une place plus importante dans la région et au sein de l’ASEAN après des décennies isolées sous le joug de la junte militaire[2].

Le sport et la diplomatie :

Le sport est un outil de diplomatie et de soft power important. Les évènements sportifs donnent la chance à des pays moins développés de se retrouver au centre de l’attention grâce aux exploits athlétiques de leurs athlètes. Ces opportunités permettent à ses pays de créer des relations diplomatiques avec les autres pays, mais aussi de se faire connaître à l’international, car souvent les seuls contacts qu’ont les habitants du monde avec certains pays se font à travers le sport et les jeux internationaux[3]. De plus, le sport permet le rapprochement entre certains pays, par exemple le ping-pong qui aidé au rapprochement entre la Chine et les États-Unis – les premiers vrais contacts entre les deux pays ayant eu lieu durant un tournoi de ping-pong à Nagoya, au Japon[4] – mais aussi d’envoyer des messages politiques comme le boycottage des jeux de Moscou par les États-Unis durant la Guerre froide[5] ou la non-invitation d’Israël lors des jeux d’Asie à Jakarta[6]. Les compétions sont aussi une plateforme pour montrer la supériorité de la nation et du système politique en place. Lors de la Guerre froide, chaque victoire soviétique était aussi une victoire du communisme[7]. L’échange d’expertise sportive est aussi une manière d’améliorer les relations entre pays, Cuba par exemple utilise l’exportation de ses entraîneurs vers d’autres pays d’Amérique latine dans le but de prendre une plus grande place dans la région[8]. L’organisation d’évènements internationaux de grandes ampleurs est aussi une opportunité d’être le centre de l’attention et de donner une meilleure image du pays hôte[9].

L’équipe canadienne célébrant lors de la série du siècle de 1972 contre l’équipe de l’URSS, la victoire du Canada a permis de prouver la supériorité du Bloc de l’Ouest dans le contexte de la Guerre Froide Source: Hockey Canada

Les Jeux de l’Asie du Sud-Est au Myanmar : controverses, changements et réussites

Les Jeux de l’Asie du Sud-Est proviennent de l’initiative de la Thaïlande qui désirait améliorer les relations entre les pays de la région. Les pays invités à participer au départ étaient les pays non communistes et les pays non-alignés comme le Myanmar et le Brunei. Le pays hôte est choisi en alternance par ordre alphabétique, mais les pays peuvent décider de passer leur tour s’ils n’ont pas les capacités ou les ressources d’être hôtes. Les Jeux se déroulent tous les deux ans depuis 1959 et visent aussi à être un entraînement avant les Olympiques et les Jeux d’Asie[10].

 

L’organisation des Jeux a été attribuée au Myanmar en 2009 soit un an après l’adoption de la nouvelle constitution de 2008 par les militaires. La transition démocratique a continué par la suite, des élections civiles ont eu lieu en 2010 et Aung San Suu Kyi a été libérée. Néanmoins, l’octroi des jeux au Myanmar et l’organisation de ceux-ci ont été controversés. Tout d’abord le pays n’était pas nécessairement prêt à accueillir un évènement de cette envergure, le manque d’infrastructure était important. Par ailleurs, le rôle de la Chine dans l’organisation des jeux a aussi été critiqué, l’empire du Milieu ayant donné 30 millions de dollars pour l’organisation des cérémonies d’ouvertures et de fermetures en plus de financer la construction des infrastructures sportives. Cela a mis à l’avant l’influence de la Chine dans le pays ainsi que sa position privilégiée dans l’économie birmane[11].

Nay Pyi Taw, la capitale flambant neuve du Myanmar Source: Richard Luhrs

Malgré les controverses, les Jeux ont été un succès sur toute la ligne. La qualité du spectacle et de l’organisation ont été décrites comme étant supérieures aux éditions précédentes. Ce succès a permis au Myanmar de montrer les changements qui ont eu lieu au sein du pays et d’envoyer le message qu’il était prêt à prendre un plus grand rôle au sein de l’ASEAN. L’organisation des jeux à Nay Pyi Taw, une ville flambant neuve où la capitale venait juste de déménager, au lieu de Rangoun, a aussi envoyé le message du renouveau du pays et qu’une nouvelle ère politique allait commencer. Les jeux ont permis de renforcer le patriotisme et le régionalisme au sein du pays, la population s’est mise derrière les athlètes birmans, peu importe leurs origines ethniques. De manière générale, les Jeux ont permis de changer la trame narrative du Myanmar. D’un pays autrefois autoritaire et étant isolé sur la scène internationale, les Jeux envoient un message d’ouverture et de renouveau. La seconde position au classement des médailles permet aussi de montrer la puissance et la supériorité du Myanmar. Les Jeux peuvent être considérés comme un évènement de référence dans la réouverture et la démocratisation du pays[12]. Néanmoins, ce retour sur l’avant de la scène régionale semble avoir été de courte durée considérant les conflits et les heurts récents dans le pays[13].

Logo et la mascotte des Jeux de l’Asie du Sud-Est de 2013 Source: SEA Games

[1] Min 2015

[2] Creak 2014

[3] Bale 1986

[4] Andrews 2016

[5] Cha 2016

[6] Lutan 2005

[7] Soares 2007

[8] Huish, Carter & Darnell 2013

[9] Cha 2016

[10] Min 2015

[11] Creak 2014

[12] ibid

[13] BBC News 2021

 

Bibliographie :

Andrews, Evan. 2016. “How Ping-Pong Diplomacy Thawed the Cold War.” HISTORY. April 8, 2016. https://www.history.com/news/ping-pong-diplomacy.

Bale, John. 1986. “Sport and National Identity: A Geographical View.” The International Journal of the History of Sport 3 (1): 18–41. https://doi.org/10.1080/02649378608713587.

BBC News. 2021. “Myanmar Coup: ‘Dozens Killed’ in Military Crackdown in Bago—BBC News.” April 10, 2021. https://www.bbc.com/news/world-asia-56703416.

Cha, Victor. 2016. “Role of Sport in International Relations: National Rebirth and Renewal.” Asian Economic Policy Review 11 (1): 139–55. https://doi.org/10.1111/aepr.12127.

Creak, Simon. 2014. “National Restoration, Regional Prestige: The Southeast Asian Games in Myanmar, 2013.” The Journal of Asian Studies 73 (4): 853–77.

Lutan, Rusli. 2005. “Indonesia and the Asian Games: Sport, Nationalism and the ‘New Order.’” Sport in Society 8 (3): 414–24. https://doi.org/10.1080/17430430500249175.

Min, Aung Ko. 2015. “Sport as a Tool of Politics: A Study on Myanmar’s Southeast Asian Games 2013.” Wellington, New-Zealand: Victoria University of Wellington. http://researcharchive.vuw.ac.nz/handle/10063/4712.

Robert Huish, Thomas F. Carter, and Simon C. Darnell. 2013. “The (Soft) Power of Sport: The Comprehensive and Contradictory Strategies of Cuba’s Sport-Based Internationalism.” International Journal of Cuban Studies 5 (1): 26. https://doi.org/10.13169/intejcubastud.5.1.0026.

Soares, John. 2007. “Cold War, Hot Ice: International Ice Hockey, 1947–1980.” Journal of Sport History 34 (2): 207–30.

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