Par Noémie Maurel
Bien que l’idée ait été mise de l’avant depuis la naissance de l’État Indonésien, ce n’est qu’en 2014 lors du neuvième Sommet de l’Asie orientale que le président actuel, Joko Widodo, a officiellement annoncé la mise en œuvre du Global Maritime Fulcrum (GMF). Le plan de développement national à moyen terme de la présidence de Jokowi le définit comme « une vision indonésienne pour devenir un pays souverain, avancé, indépendant, fort et capable d’apporter une contribution positive à la sécurité et à la paix dans la région ainsi qu’au monde, alignée sur l’intérêt national » [1.1].
Doctrine du GMF. Source : Berliantos 2017
Ce que cela représente :
Ce plan est basé sur cinq piliers : le développement de la culture maritime, des infrastructures et de la « connectivité » du pays, la gestion et protection des ressources, la diplomatie maritime ainsi que la création d’une force de défense maritime.
Le premier pilier a pour but de donner un nouveau souffle à la fierté nationale indonésienne [2.1]. En effet, bien avant la constitution de l’Indonésie en tant qu’État, l’archipel connut deux empires navals : celui de Majapahit et de Srivijaya [1]. Ce pilier permet donc de renforcer le mythe de l’unité Indonésienne en tant que nation. Le concept de Tanah Air qui considère que terres et eaux sont inséparables et faites pour unir les peuples, vient appuyer cela [1.2].
Le second et le troisième pilier ont pour rôle d’encourager la croissance économique du pays [2.1]. C’est sur eux que le plus de mesures ont été prises. Effectivement, le projet de « Sea Toll Road » (péages maritimes), prévoit d’améliorer la connectivité du pays en renforçant ses infrastructures portuaires [3.1]. Si le projet aboutit, l’amélioration de la logistique ainsi que la réduction des coûts des chaînes d’approvisionnement permettra de libérer le potentiel économique du pays [4]. Étant donné qu’il s’agit d’une stratégie de développement visant à réduire l’écart économique dans l’archipel, les mesures prises sont plus orientées vers l’interne au pays [3].
Les quatrième et cinquième piliers sont garants de la souveraineté nationale sur ses ressources et frontières [2.1]. L’aspect diplomatique vise à renforcer et accélérer le règlement des litiges territoriaux de l’Indonésie envers ses voisins [1.3]. Un point à noter est que la défense maritime compte sécuriser les frontières et ressources contre les acteurs étatiques mais aussi non étatiques [2]. En effet, l’Indonésie est sujette à plusieurs enjeux sécuritaires non-étatiques tels que la piraterie, le trafic d’êtres humains, ainsi que la pêche illégale. L’objectif principal étant de réduire les violations de la loi des eaux indonésiennes à travers une coopération inter-organismes, se concentrant sur les patrouilles et opérations maritimes [5]. Il comporte aussi un élément idéologique, par le biais de programmes de « renforcement du caractère » de la Défense de l’État (bela negara) [5]. Toutefois, au niveau militaire, le plan d’action ne prévoit que le renouvellement d’anciens programmes concernant les bases navales, ce qui est considéré comme peu considérant l’ampleur du projet.
Géopolitique et intégration régionale :
Mais ce projet devrait coûter environ 70 trillions de rupiah (soit 5,6 millions USD), ce qui représente une somme très importante comparé au budget national annuel [3.2]. De ce fait, le pays devrait chercher des sources de financement au sein de mécanismes régionaux ou internationaux disposant de plus de ressources et à qui la construction de telles infrastructures bénéficieraient [3]. D’autant plus que le GMF envisage l’Indonésie comme une interface entre diverses initiatives régionales (ASEAN; IORA; Comprehensive and Progressive Agreement for Transpacific partnership) [6].
Au niveau de l’intégration régionale et du financement, il est évident que le GMF bénéficierait à l’ASEAN et inversement. En effet, le projet de « Sea Toll Road » s’imbrique au « Master plan for ASEAN connectivity » qui a pour objectif de faciliter les échanges et les investissements dans la région [3.3]. En outre, plusieurs des projets maritimes prioritaires de l’ASEAN sont en Indonésie. Pour finir, le pays pourrait bénéficier d’une importante aide financière grâce aux Fonds pour les infrastructures de l’ASEAN en collaboration avec la Banque asiatique de développement [3].
Ensuite, le projet de « Maritime Silk Road » (MSR) de la Chine, la reliant aux pays de l’Asie du Sud-Est vient appuyer cet effort. Le président Xi Jinping a annoncé le potentiel de partenariat entre le GMF et la MSR. Par conséquent, le projet pourrait bénéficier du Silk Road Fund ainsi que d’aide de la BAII (institution multilatérale de prêt créé par la Chine) [3.4]. L’Indonésie est un point stratégiquement important pour la Chine considérant que les deux pays bénéficient d’échanges bilatéraux florissants (44 milliards USD en 2015) et d’investissement importants [3.5].
Aux niveaux militaire et diplomatique, les chercheurs américains y ont vu l’occasion de renforcer la présence des États-Unis dans la région, notamment pour contrer l’avancée de la Chine. Premièrement, en affirmant la place de l’Indonésie en tant que leader régional, notamment au sein de la Coopération Économique Asie-Pacifique [2]. Au niveau militaire, le Centre d’études stratégiques internationales (CSIS) estime qu’il y a maintenant plus de 200 engagements entre les forces américaines et indonésiennes chaque année [2.2]. Les États-Unis seraient donc les mieux placés pour appuyer le développement de la défense des eaux indonésiennes, notamment en ce qui concerne les mesures antiterroristes [2.3].
Mais ce plan n’a pas survécu au second terme de la présidence de Jokowi. En effet, la stratégie à adopter ne fut pas développée (la doctrine n’a jamais eu de document détaillé décrivant sa mise en œuvre) et la division des tâches engendrait des chevauchements d’autorité [5] . Les conséquences de cet abandon (ou interruption) peuvent être tragiques sur le long terme. La position stratégique et les ressources maritimes de l’Indonésie seront sûrement exploitées par d’autres pays [1.3].
Pour en savoir plus :
#Jokowi's new Indonesian Sea Policy and Action Plan (2016-19) in numbers–programs, targets, and who gets to implement them #CSISinsight pic.twitter.com/vdJ76Zvwuk
— Evan A. Laksmana (@EvanLaksmana) March 16, 2017
Nombre de mots : 899
[1.1] (Masilamani 2018, 164)
[2.1] (Quirk & Bradford 2015, 2)
[1.2] (Masilamani 2018, 162)
[3.1] (Negara et Basu Das 2017, 3)
[1.3] (Masilamani 2018, 165)
[3.2] (Negara et Basu Das 2017, 1)
[3.3] (Negara Basu Das 2017, 2)
[3.4] (Negara Basu Das 2017, 9)
[3.5] (Negara Basu Das 2017, 8)
[2.2] (Quirk & John 2015,6)
[2.3] (Quirk & John 2015, 8).
Bibliographie :
[1] Masilamani, Nirmala. 2018. « The Exigency Of Comprehensive Maritime Policy To Materialize And Implement Indonesia’s Global Maritime Fulcrum Objective ». Advances in Engineering Research, vol. 167 : 162-166.
[2] Quirk, Sean, John Bradford. 2015. « Maritime Fulcrum : A New U.S. Opportunity to Engage Indonesia ». Issues and Insights, vol. 15, (no 9) : 1-11.
[3] Negara, Dharma Siwage, Sanchita, Basu Das. 2017. « Challenges for Indonesia to achieve its Maritime Connectivity Plan and Leverage on Regional Initiatives ». Yusof Ishak Institute, (no 3) : 1-11.
[4] Jakarta, The Jakarta Post. 2015. Editorial : Here comes the sea toll road. Jakarta : The Jakarta Post, [En ligne], le 25/04/2020, URL : https://www.thejakartapost.com/news/2015/11/11/editorial-here-comes-sea-toll-road.html
[5] Laksamana, Evan. 2019. Indonesian sea policy : Accelerating Jokowi’s Global Maritime Fulcrum ?. Center for Strategic & International Studies, [En ligne], le 25/04/2020, URL : https://amti.csis.org/indonesian-sea-policy-accelerating/
[6] Marzuki, Keoni Indrabayu. 2018. « The meaning of Indonesia’s Global Maritime Fulcrum ». Pacific forum, (no 14A) : 1-2.