Longtemps considérée comme étant une semi-démocratie, grâce aux résultats de son dernier scrutin, la Malaisie vient d’affirmer qu’elle demeure l’une des démocraties les plus stables en Asie du Sud-Est. Cela est d’autant plus évident quand on sait qu’il y a à peine deux ans, le chef de l’opposition – et actuel premier ministre – était en prison, et les médias indépendants du pays étaient muselés (Coca 2018). Cette victoire surprise représente aujourd’hui un véritable hommage à la résilience des institutions démocratiques malaisiennes.
Alors qu’un vent d’autoritarisme semble saisir la région, comment la Malaisie réussit-elle à préserver sa démocratie ?
Malaisie : les racines de la démocratie
Les fondations de la démocratie malaisienne sont intimement liées à son passé colonial. La Malaisie a obtenu son indépendance des Britanniques à la suite de négociations, donc sans avoir eu à organiser une lutte armée. Cette transition pacifiste lui a initialement valu une reconnaissance de ses institutions démocratiques (Chin 2015). Au centre de la décolonisation malaisienne, se trouve l’Organisation nationale unifiée malaise, appelée « UMNO ». Fondée en 1946, cette coalition politique est un facteur incontournable quant à la compréhension de l’histoire de la Malaisie.
L’UMNO était le principal négociateur lors du processus de décolonisation du pays (Slater 2012). En ce sens, ce rôle lui a garanti une domination incontestable de la politique malaisienne qui s’est manifestée par des « super majorités » parlementaires entre les années 1959 et 1964 (Slater 2012). Toutefois, l’insensibilité de l’UMNO aux revendications de ses populations chinoise et malaise a résulté en une perte des 2/3 de ses sièges parlementaires en 1969. Qui plus est, les émeutes postélectorales subséquentes ont servi de justification à l’UMNO pour d’abord déclarer l’état d’urgence et ensuite former une alliance plus large – l’aidant ainsi à restaurer sa super majorité – qui donnera naissance au Barisan National ou BN (Slater 2012). Ainsi, l’UMNO – ou le Barisan National –, un parti qui a gagné en influence grâce à des moyens démocratiques, a consolidé son emprise sur le système politique malaisien adoptant ainsi plusieurs aspects d’un parti autoritaire.
Pour le BN, cet autoritarisme se manifeste par un abus des avantages conférés par son mandat, y compris le contrôle de la presse, la modification constante des règles de scrutin et l’arrestation occasionnelle d’opposants politiques (Thirkell-White 2006). Ces manipulations systémiques ont servi à garantir la domination de cette coalition sur la sphère politique malaisienne pendant plus de 60 ans. Toutefois, il est important de souligner que cette domination n’existerait pas sans des institutions gouvernementales relativement robustes – donc capable de mettre en mesure les changements désirés par le parti à sa tête – et d’un système social marqué par des relations inter-ethniques complexes qui ont très souvent divisé l’opposition (Thirkell-White 2006). La partialité du processus électoral est flagrante. Les partis de l’opposition obtiennent régulièrement entre 40% et 45% du suffrage, toutefois cela ne leur confère pas une influence proportionnelle au parlement (Case 2001).
Bien qu’il existe des limites distinctes aux droits civils et politiques, en Malaisie, l’État est largement considéré comme étant légitime – et indépendant – plutôt que répressif (Case 2001). Le simple fait que les élections soient tenues de manière régulière, contribue à l’existence d’une sphère publique où les citoyens sont capables de débattre et critiquer la politique gouvernementale (Thirkell-White 2006). En ce sens, cette domination longtemps exercée par le BN n’a pas pour autant transformé la Malaisie en un État autocratique. Car si le BN a dominé la sphère politique malaisienne depuis plus de 60 ans, les institutions démocratiques ont su perdurer et préserver une intégrité minimale permettant à l’opposition en 2018 d’arracher une victoire qualifiée de Tsunami politique (Thirkell-White 2006).
Semi-démocratie ? Ou démocratie fonctionnelle ?
Pour la première fois depuis son indépendance, la coalition du Barisan National n’est plus le parti à la tête du gouvernement malaisien. Rares étaient ceux qui ont cru en la capacité du pays à compléter cette transition démocratique (Coca 2018).
Le résultat de cette élection n’est toutefois pas le fruit du hasard (Coca 2018). Une mobilisation citoyenne et médiatique s’est entamée depuis les années 90 dont le but était de réformer le système électoral et promouvoir des scrutins plus équitables. Le mouvement politique le plus remarquable est sans doute le Bersih. Composé de 92 organisations non-gouvernementales – groupes citoyens, partis politiques et groupes d’intérêts – le Bersih représente la plus grande coalition citoyenne en Malaisie et est surtout connu pour avoir organisé les cinq plus grandes manifestations pour la réforme du système électoral (Chan 2018).
On comprend ainsi que cette victoire de l’opposition n’est autre que l’aboutissement d’années d’organisation dévouée et ponctuée par de nombreux revers (Coca 2018).
Le nouveau gouvernement malaisien a franchi une étape cruciale et par conséquent aura la lourde tâche de réformer une bureaucratie formatée par l’UMNO qui a servi à largement favoriser les Malais ethniques et à enraciner un système politique patrimonial (Barron 2020). Ainsi, le succès de la nouvelle coalition sera mesuré par sa capacité à exécuter ces réformes, en commençant par abroger les lois répressives qui ont suscité des craintes parmi les activistes de la société civile (Coca 2018).
Bibliographie
Barron, Laignee. 2020. « Malaysia’s 94-Year-Old Prime Minister is Out. The New Leader is Likely to Inflame Racial Tensions. » En ligne : https://time.com/5794223/malaysia-prime-minister-muhyiddin-yassin-mahathir-mohamad/. Page consultée le 14 avril 2020.
Case, William. 2001. « Malaysia’ Resilient Pseudodemocracy ». Journal of Democracy 12 (1) : 43-57.
Chan, Tsu Chong. (2018). « Democratic Breakthrough in Malaysia – Political Opportunities and the Role of Bersih ». Journal of Current Southeast Asian Affairs 37 (3) : 109–137.
Chin, James et William Case, dir. 2015. Routledge Handbook of Southeast Asian Democratization. London and New Yorl : Routledge , 2015.
Coca, Nithin. 2018. « La transition démocratique surprise de la Malaisie peut-elle influencer le reste de la région ? ». En ligne: https://www.equaltimes.org/qu-augure-la-transition?lang=en#.XlVwZqhKiUk. Page consultée le 23 février 2020.
Slater. Dan. 2012. « Southeast Asia: Strong-state Democratization in Malaysia and Singapore ». Journal of Democracy 23 (2) : 19-33.
Thirkell-White, Ben. 2006. « Political Islam and Malaysian democracy ». Democratization Journal (1) : 421-441.