Le poids d’une majorité musulmane encouragée en Malaisie

Par Cléo Voron

En Malaisie, trois groupes ethniques cohabitent depuis le colonialisme. Au début du 20ème siècle, les Britanniques décidèrent de favoriser la venue de main-d’oeuvre chinoise, indienne et indonésienne pour développer les activités économiques du pays. L’entrée sur le territoire leur était complètement libre entre 1900 et 1927. Cela a créé une répartition du travail artificielle entre les ethnies : les Malais dans l’agriculture, les Chinois dans l’industrie, et les Indiens dans l’administration (Mognard, 2017).

En 2010, le groupe ethnique des Bumiputera (« fils du sol » en malais, désignant les malais et les populations indigènes minoritaires) représentait 67.4 % de la population. Viennent ensuite les groupes minoritaires : les Chinois (24 .6 % des habitants) et les Indiens (7.3 %) (Mognard, 2017). Le gouvernement a instauré au fil du temps l’un des plus grand régime de discrimination positive en faveur de la majorité malaise musulmane, les Bumiputera (Centre mondial du pluralisme,2017).

La monarchie constitutionnelle malaisienne se base sur deux systèmes judiciaires, le civil et le musulman (la charia). Depuis l’indépendance du pays en 1957, c’est le Barisan Nasional (BN), coalition dominée par l’United Malays National Organisation (UMNO) qui le dirige (Centre mondial du pluralisme,2017). C’est un parti qui se positionne en faveur du nationalisme malaisien associé à son idéologie islamique. L’islam, arrivé avec le commerce en Malaisie, est effectivement la première confession du pays (Quay, 2013).

Pour atteindre l’unité nationale, la Constitution de 1957 mit en place une politique de discrimination positive en faveur des malais. L’article 153 accorde effectivement des « droits spéciaux » pour l’ethnie malaise dans les domaines de l’éducation, l’industrie, les services publics, etc. (Mognard, 2017). Les malais étaient en effet mécontents car ils se sentaient désavantagés sur les plans sociaux et économiques du pays. La majorité de l’administration étaient effectivement dirigée par les indo-malaisiens, et la majorité des commerces détenus par les sino-malaisiens(Centre mondial du pluralisme,2017). La Nouvelle Politique Economique (NEP,New Economic Policy) en 1971 s’inscrit dans la même pensée. Il s’agit de rééquilibrer les revenus et les chances en faveur des Malais, mais sans léser les autres communautés ethniques. Là encore, quotas ou accès privilégié à la propriété sont mis en place pour les malais(Mognard, 2017).

L’ethnie malaise se définit selon trois critères : la « race », la religion et la langue. La majorité des citoyens malais pratiquent un islam sunnite, favorisé par le gouvernement qui accorde moins de droits aux autres cultes. Les religions se répartissentainsi en Malaisie : islam (62 %), bouddhisme (20 %), hindouisme (6,3 %), christianisme (9,2 %), taoïsme (France Diplomatie, 2018). L’identification des malais à l’islam sert les buts politiques de l’UMNO, l’agrandissement de la population officiellement « malaise » augmentant lepoids et la validation politique de l’organisation. La prépondérance malaise confirmeaussila théorie du Ketuanan Melayu ou« suprématie de la race malaise » (Ketuanan Melayu) mise en avant par le Dr. Mahathir Mohamad, ex-Premier ministre (Quay, 2013).

Si les mesures gouvernementales ont effectivement contribué à la formation de la classe moyenne des malais qui purent accéder à des postes de plus haut niveau, elle n’a pas changé la répartition segmentée par ethnie de l’économie. Les émeutesracialesde 1969 témoignentpar exempledu sentiment d’injustice ressenti par les malais envers le groupe chinois commerçant(Centre mondial du pluralisme,2017)Mais l’idée d’origine de diminuer les inégalités ressentie parla majorité malaise à finit par se transformer en ce que l’on pourrait apparenter à un nationalisme malais associé à une islamisation politique, intensifiant la polarisation des groupes (Mognard, 2017).

Parmi ceux-ci, les autochtones voient leur pouvoir politique décroître à partir des années 1980. En Malaisie orientale, dans les États de Sabah et Sarawak, ces peuples sont encore majoritaires parmi la population, contrairement à la Malaisie occidentale (Quay, 2013). Ils sont en proie à une manipulation démographique par les malais, qui les assimilent à leur ethnie, toujours dans l’idée de grossir les rangs de la majorité malaise. Les autochtones sont parmi les plus pauvres et les plus marginalisées du pays. Malgré qu’ils soient des peuples autochtones, ils n’ont pas bénéficié de la politique de discrimination positive en faveur des bumiputera (Minority rights group international, 2018).

Un autre phénomène a participé à miner leur pouvoir politique. Un peu moins d’un million de musulmans, venus majoritairement d’Indonésie ou des Philippines, furent accueillis à Sabah dans les années 1990. Ils ont migré dans le cadre d’une opération secrète menée par l’UMNO connue sous le nom de Project Identity Card, qui fût révélée suite à une enquête royale sur l’immigration illégale dans l’état de Sabah

En leur accordant le droit de vote, l’UMNO s’est assuré de dominer l’espace politique, puisque le parti est supporté par le groupe musulman (Minority rights group international, 2018). De plus, l’UMNO s’est assuré de les faire assimiler à la catégorie malaise de la population, faisant augmenter le poids socio-économique de celle-ci. Ce programme adéfinitivementmodifié la composition ethnique de Sabah de manière importante. Les peuples autochtones se sont retrouvés clairement marginalisés sur le plan politique, affaiblissant leurs droits concernant la propriété foncière et l’allocation de ressources.

 

Sources

Centre mondial du pluralisme. 2017. disc pos Discrimination positive envers la majorité en Malaisie : impératifs, compromis et défis. En ligne. https://www.pluralism.ca/wp-content/uploads/2017/10/Malaysia_Case_Note_FR.pdf(Page consultée le 28 février 2019).

France Diplomatie. 2018. Présentation de la Malaisie. En ligne.  https://www.diplomatie.gouv.fr/fr/dossiers-pays/malaisie/presentation-de-la-malaisie/  (Page consultée le 28 février 2019).

Minority rights group international. 2018. Indigenous peoples and ethnic minorities in Sabah. https://minorityrights.org/minorities/indigenous-peoples-and-ethnic-minorities-in-sabah/. Page consultée le 24 janvier 2018.

Mognard, Marie. 2017. Malaisie : d’hier à aujourd’hui, une société multiethnique en paix ? En ligne. https://classe-internationale.com/2017/12/14/malaisie-dhier-a-aujourdhui-une-societe-multiethnique-en-paix/(Page consultée le 28 février 2019).

Quay Huei Li, Charis. 2013. « Déconstruire la violence démographique en Malaisie », Étudestome 419 (no. 12) : 593-603.

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