Trafic de drogue contre Thaïlande : quel vainqueur ?

Par Jade Lee Kui

Des policiers thaïlandais posent devant une saisie de méthamphétamines dans le sud du pays (Lillian SUWANRUMPHA et AFP, 1er février 2017).

Prostitution, trafic d’êtres humains, trafic d’ivoire ou bien encore trafic de drogue, telle est la face cachée de la Thaïlande qui prend de plus en plus de mesures pour lutter contre ces phénomènes, qui tendent de nuire à son image. Ainsi, le gouvernement a déclaré en 2003 une « Guerre contre la drogue ». Mais, dans quelle mesure cette politique est-elle efficace ?

 

 

Quelques chiffres pour mesurer l’ampleur du problème

Le problème de la Thaïlande est donc son statut en tant que pays de transit le plus important dans le trafic de drogue, et non pas en tant que pays producteur d’opium :

Elle réceptionne l’héroïne de Birmanie et du Laos, et en fabrique aussi elle-même dans des laboratoires situés sur la frontière birmane. L’héroïne est expédiée vers les États-Unis à partir de Bangkok. Une deuxième partie part vers la Malaisie et l’Indonésie, et une troisième vers les Philippines. La proportion de ce partage de la distribution est inconnue[1].

Ainsi, au début des années 1990, la production d’opium en Thaïlande ne s’élevait qu’à peine à 1 % du total régional, soit la moitié du chiffre de la décennie précédente[2]. Celle-ci ne dépassait pas 20 tonnes par an, tandis qu’au Myanmar et au Laos, elle s’est multiplié par cinq en moins de 10 ans, atteignant respectivement quelques 2 000 tonnes et environ 300[3]. De plus, en 2002, 14,73 kg de cocaïne ont été saisis en Thaïlande, alors qu’à Taiwan, la saisie ne s’élevait qu’à 5,5 kg[4]. Il faut d’ailleurs noter que, le trafic de drogue étant complexe, les données manquent.

 

La Thaïlande au sein du Triangle d’Or : principale raison de la prépondérance du trafic de la drogue au pays

Le Triangle d’Or, dont les angles se trouvent en Birmanie, au Laos et en Thaïlande, est une région polyethnique et interétatique où une quantité très importante de l’opium mondial est produite. Lors de la Guerre Froide, Bangkok et Saigon étaient d’ailleurs les deux principaux centres de consommation d’opium à être reliés aux zones de production du Nord-Est de la Birmanie et du nord de l’Indochine française[5]. Néanmoins, en 1984, la Thaïlande mit en place une politique nationale d’éradication du pavot, accompagnée par un accroissement consécutif des patrouilles frontalières de la Third Army et de la Border Patrol Police.

Les lieux privilégiés de la drogue au sein du Triangle d’Or (Observatoire géopolitique des drogues, s.d)

Or, ce changement d’attitude se voit confronter à plusieurs défis. Le rôle historique du pays dans ce trafic rend la transition plus ardue car il est nécessaire de trouver une alternative aux emplois et revenus créés par la drogue. Il est également difficile de lutter contre ce trafic alors que le pays est seul à nager à contre-courant des tendances des pays voisins, notamment de la Birmanie. Il n’est alors pas surprenant de voir que le trafic de drogues illicites d’origine birmane continue d’entrer dans le pays, en utilisant simplement une autre route désormais dans le nord-est de la Thaïlande le long de la frontière laotienne[6].


La politique de zéro tolérance : un succès ?

En 2003, la Thaïlande a annoncé une politique de « guerre contre la drogue » qui impose des sanctions très sévères comme la peine de mort ou le meurtre extrajudiciaire de présumés délinquants narcotiques[7], amenant à l’exécution d’environ 2800 trafiquants de drogues présumés. Bien que cela a inquiété le Comité des droits de l’Homme des Nations Unies[8], pour cause du non-respect des droits humains, la baisse du nombre de fournisseurs a provoqué une baisse du nombre de nouveaux toxicomanes à l’héroïne et quant aux toxicomanes déjà dépendants, ils se reposent désormais largement sur l’héroïne importée[9].

Toujours dans l’esprit de cette stratégie, la Thaïlande et les Philippines ont signé un accord en avril 2011 sur la lutte contre le crime organisé transnational et le recrutement de femmes comme « mules » par les trafiquants de drogue[10]. De plus, une coopération subrégionale a eu lieu avec le protocole d’entente du Memorandum of Understanding on Drug Control de 1993 afin de faire face au problème du trafic de drogue. Liant l’ensemble des pays de la sous-région du Grand Mékong, celui-ci a permis la mise en place de Border Liaison Offices[11] afin d’augmenter la coopération inter-frontalière.

Cependant, des limites s’appliquent quant à l’efficacité de cette politique de 2003. En effet, en Thaïlande, comme en Indonésie, bien que le taux de condamnation à mort soit élevé pour tous les crimes, les exécutions relatives aux crimes liés à la drogue ont rarement été effectuées[12]. Pour illustrer, selon le Département thaïlandais de la correction[13], seulement 12 des 281 exécutions effectuées entre 1935 et 2001 concernaient des infractions en matière de drogue, et entre 2004 et 2010, il n’y a eu qu’une seule, qui a eu lieu en 2009[14].

De plus, la corruption reste encore un problème grave à l’application efficace de la politique anti-drogue, que ce soit pour un gain personnel[15] ou pour atteindre les quotas d’arrestations d’utilisateurs, de trafiquants et de revendeurs donnés par le gouvernement aux policiers et militaires[16]. Par exemple, sur les sites de traitement et de réduction des risques, la police harcèle et torture les toxicomanes pour des faux aveux forcés[17].

 

Bibliographie :

Chouvy, Pierre-Arnaud. 2004. “Les fondements historiques des chemins de la drogue.” Outre-Terre no 6(1): 225–35.

Dassé, Martial. 1991. “Les réseaux de la drogue dans le triangle d’or.” Cultures & Conflits (03). http://journals.openedition.org/conflits/111 (January 25, 2019).

Kulsudjarit, Kongpetch. 2004. “Drug Problem in Southeast and Southwest Asia.” Annals of the New York Academy of Sciences 1025(1): 446–57.

Leechaianan, Yingyos, and Dennis R. Longmire. 2013. “The Use of the Death Penalty for Drug Trafficking in the United States, Singapore, Malaysia, Indonesia and Thailand: A Comparative Legal Analysis.” Laws 2(2): 115–49.

Lee-Brago, Pia. 2011. « Phl, Thailand to cooperate against drug trafficking », The Philippine Star. En ligne. http://www.philstar.com/Article.aspx?articleId=678202&publicationSubCategoryId=63 (page consultée le 03 avril 2019).

Martel, Stéphanie. 2015. “Lutte anti-trafic transfrontalière en Asie du Sud-Est : la coopération subrégionale comme tremplin pour le régionalisme en matière de sécurité.” L’Espace Politique. Revue en ligne de géographie politique et de géopolitique (24). http://journals.openedition.org/espacepolitique/3181 (January 25, 2019).

Perry, Peter John, and Christian Huetz de Lemps. 1993. “Le Triangle d’Or : les changements récents dans le trafic de la drogue vus sous l’angle de la géographie politique.” Les Cahiers d’Outre-Mer 46(182): 121–30.

Thai Department of Correction. s.d. “Statistics of the Death Penalty in Thailand.” En ligne. http://www.correct.go.th/death.htm. Dans Leechaianan, Yingyos, and Dennis R. Longmire. 2013. “The Use of the Death Penalty for Drug Trafficking in the United States, Singapore, Malaysia, Indonesia and Thailand: A Comparative Legal Analysis.” Laws 2(2): 115–49.

William Schabas. 2010. The Death Penalty and Drug Offences. The Irish Centre for Human Rights & the International Centre on Human Rights and Drug Policy.

Windle, James. 2015. “Drugs and Drug Policy in Thailand.”. Washington, DC: Brookings Institution.

 

Notes de bas de page:

[1] Dassé, 1991, 5.

[2] Perry et Huetz de Lemps, 1993, 129.

[3] Ibid., 126.

[4] Kulsudjarit, 2004, 448‑49.

[5] Chouvy, 2004, 226-230.

[6] Chouvy, 2004, 234-35.

[7] Leechaianan et Longmire, 2013, 122.

[8] Ibid., 116.

[9] Kulsudjarit, 2004, 450.

[10] Lee-Brago, 2011.

[11] Martel, 2015, 8. Ce protocole d’entente est soutenu par le l’Office des Nations Unies sur la Drogue et le Crime (UNODC) et a été signé en 1993 entre le Laos, la Birmanie, la Thaïlande et la Chine avant d’être élargi en 1995 avec l’inclusion du Cambodge et du ViêtNam.

[12] Schabas, 2010.

[13] Thai Department of Correction, s.d.

[14] Schabas, 2010.

[15] Perry et Huetz de Lemps, 1993, 130.

[16]  Windle, 2015, 5.

[17] Ibid., 8.

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