Laurence Choquette Loranger
Le 25 décembre dernier, le pays du sourire a connu une autre bonne raison de se réjouir en devenant le premier pays d’Asie du Sud-Est à légaliser la marijuana. Le projet a été annoncé par le gouvernement dans les médias comme un cadeau du Nouvel An à la population thaïe.
C’est en renouant avec ses coutumes de médecine traditionnelle que la Thaïlande a procédé à la légalisation de la marijuana médicinale interdite depuis 1934. Par la même occasion, le pays a aussi légalisé l’utilisation du kratom, une plante appartenant à la famille des opiacés.[1]
En vertu de la loi, la possession de marijuana dans les limites légales sera autorisée pour le traitement de certaines maladies, pour les premiers secours ou en cas d’urgence. La loi permettra également d’utiliser la marijuana à des fins de recherche et de développement, ainsi que des objectifs agricoles, commerciaux, scientifiques ou industriels[2]. La décriminalisation de la marijuana récréative n’est toutefois pas à l’agenda national.
Le projet a été très bien accueilli au sein du gouvernement. L’Assemblée législative nationale a voté pour modifier la Loi sur les stupéfiants de 1979, et 166 voix se sont élevées pour la légalisation contre 0 opposition et 13 abstentions[3].
La Thaïlande demeure toutefois très stricte en ce qui concerne les possessions de marijuana non autorisées. La peine pour possession de moins de 10 kilos peut aller jusqu’à cinq ans de prison, et jusqu’à quinze ans pour plus de 10 kilos[4].
Le traitement légal du cannabis diverge grandement selon les régions. Alors que le Canada et plusieurs États américains ont légalisé la marijuana à usage récréatif, cette herbe demeure toutefois proscrite dans plusieurs pays d’Asie. En tant que premier pays à légaliser son utilisation à des fins médicales, la Thaïlande se démarque des autres pays de la région comme Singapore, la Malaisie et l’Indonésie où les trafiquants peuvent être condamnés à la peine de mort[5].
La manière dont le gouvernement thaïlandais administrera la marijuana médicale demeure encore imprécise à ce jour. Il a toutefois été annoncé que seules les personnes autorisées par le gouvernement pourront cultiver ou posséder le cannabis. Toute personne voulant utiliser la marijuana devra avoir une prescription ou une carte d’identification médicale l’autorisant à la faire.
Le climat tropical et le sol fertile de la Thaïlande en font également un pays idéal pour produire de la marijuana à coût beaucoup plus bas que le Canada par exemple. Ainsi, plusieurs entreprises issues des industries du tourisme et de la pharmacie veulent tirer parti du marché du cannabis médical qui est évalué à plus de 50 milliards de dollars d’ici 2025[6]. En ce qui a trait aux brevets, la Thaïlande a révoqué toutes les demandes des grandes compagnies pharmaceutiques étrangères. Le pays se dit craindre que les entreprises multinationales dominent le marché au détriment des compagnies locales. Selon Somchai Sawangkarn, membre du parlement responsable de la modification de la Loi sur les stupéfiants, cette décision serait bénéfique pour les Thaïlandais, car elle empêcherait un monopole commercial sur les médicaments à base de cannabinoïdes et la culture de ladite plante.
Par ailleurs, la Thaïlande est largement connue comme destination touristique, mais elle est également un leader mondial pour le tourisme médical. En 2010, elle a attiré approximativement 1.5 million de patients internationaux, soit le double de son plus grand compétiteur, l’Inde[7]. En 2003, le gouvernement thaï avait initié une campagne pour promouvoir le pays comme le « Centre Médical d’Asie » en faisant la promotion de ses traitements à haute-technologie et de grande qualité, tout en soutenant le mythe de la médecine alternative de plaisir et de relaxation. Depuis, le tourisme médical a généré des profits de 2 milliards de dollars, soit 0,4% du PIB national[8]. Ainsi, il est possible pour les visiteurs étrangers d’obtenir un visa de 90 jours pour pouvoir recevoir des soins et bénéficier d’un temps de récupération (souvent à la plage ou autres endroits touristiques). Avec la légalisation de la marijuana, les spécialistes s’attendent à voir le nombre de touristes médical augmenté dans les prochaines années. Ces derniers pourront posséder une certaine quantité de cannabis médical s’ils ont une prescription d’un praticien de la santé[9].
Des preuves archéologiques ont montré que la culture du cannabis à des fins médicinales daterait de la préhistoire. Depuis des siècles, diverses civilisations ont utilisé des préparations à base de cannabis à des fins rituelles, médicinales et sociales[10]. On retrace également ses origines en Asie de l’Est et du Sud. La plante aurait d’ailleurs été abondante aux abords du fleuve Gange en Inde, d’où prendraient les racines du mot ganja. En Thaïlande, cette herbe était largement utilisée chez les agriculteurs comme relaxant musculaire et par les femmes comme antidouleur lors de l’accouchement. En fait, le mot « bong », qui désigne une pipe à eau dont se servent les fumeurs, viendrait de la langue thaïe. Ainsi, pour plusieurs la légalisation de la marijuana signifie un retour aux traditions ancestrales.
[1] National Institute on Drug. « Kratom », Drug Abuse. Consulté le 25 avril 2019. https://www.drugabuse.gov/publications/drugfacts/kratom.
[2] The Nation. « Use of Medical Marijuana Passes NLA ». The Nation. Consulté le 9 février 2019. http://www.nationmultimedia.com/detail/national/30361135.
[3] Ibid.
[4] Ibid.
[5] Paddock, Richard C. « Thailand to Allow Medical Marijuana, a First in Southeast Asia ». The New York Times, 26 décembre 2018. Consulté le 9 février 2019. https://www.nytimes.com/2018/12/26/ world/asia/thailand-medical-marijuana.html.
[6] Thepgumpanat, Panarat, et Panu Wongcha-um. « Thailand to Revoke Foreign Patent Requests on Marijuana ». Reuters, 28 janvier 2019. Consulté le 9 février 2019. https://www.reuters.com/article/us-thailand-cannabis-idUSKCN1PM1FU.
[7] Cohen, I. Glenn. An Introduction to the Medical Tourism Industry. Oxford University Press, 2014. http://www.oxfordscholarship.com/view/10.1093/acprof:oso/9780199975099.001.0001/acprof-9780199975099-chapter-1.
[8] NaRanong, Anchana, et Viroj NaRanong. « The Effects of Medical Tourism: Thailand’s Experience ». Bulletin of the World Health Organization 89, no 5 (1 mai 2011): 336‑44. https://doi.org/10.2471/BLT.09.072249.
[9] Laura Villadiego. « Will Thailand’s Legal Medical Marijuana Seed a New Black Market? » South China Morning Post, 1 janvier 2019. https://www.scmp.com/week-asia/society/article/2180137/will-thailands-legal-medical-marijuana-seed-new-black-market.
[10] Warf, Barney. « High Points: An Historical Geography of Cannabis ». Geographical Review 104, no 4 (2014): 414 38. https://doi.org/10.1111/j.1931-0846.2014.12038.x