Par Samuel Morneau
Une exclusion poussée (malgré lui) par le gouvernement
La population lao est parmi les plus diverses en Asie du Sud-Est continentale, les populations des divers pays l’entourant s’y mélangeant de façon à ce que le gouvernement y reconnaisse 49 ethnies subdivisées en 160 groupes ethniques. Dans un contexte de diversité aussi grande, le gouvernement tente effectivement d’amenuiser les différences de traitement entre groupes ethniques sur certains aspects, alors que d’autres font sortir des inégalités ethniques flagrantes encouragées par l’État (Lan Anh et Wittrock, 2018, p. 97). Les interventions de l’État lao sont parfois maladroites et vont au final à l’encontre de leur but initial; la relocalisation forcée de groupes ethniques situés dans le Nord et l’Est du pays afin de cultiver du riz, que le gouvernement prétend comme plus productif et donc meilleur pour les communautés forcées de relocaliser, délaissant le style d’agriculture sur brûlis dont dépendent presque la moitié des villages ruraux et pratiqué par lesdits groupes ethniques, a entraîné des pressions immenses sur les milliers d’individus forcés à se déplacer, autant au niveau économique que social (Lan Anh et Wittrock, 2018, p. 99-101). Ainsi, malgré le désir d’améliorer les conditions des groupes ethniques du Nord, particulièrement pauvres, le gouvernement encourage plutôt un sentiment d’exclusion et d’insécurité économique renforcé. Cependant, ces relocalisations forcées servent aussi à assimiler les groupes ethniques éloignés du gouvernement central à la culture et langue de la majorité ethnique, ce que le gouvernement lao perçoit comme bénéfique à la cohésion sociale, mais dans les faits, en partie par la mauvaise gestion des relocalisations, les conditions de vie diminuent généralement pour ces groupes (Lan Anh et Wittrock, 2018, p. 102).
Un manque de représentation politique qui a des conséquences
En plus de ces difficultés économiques qui ne concernent pas seulement les minorités ethniques du Nord, les différentes minorités font face à de fortes inégalités politiques. Puisque les postes plus importants au gouvernement, dont ceux qui prennent les décisions sur les relocalisations, sont possédés par les Lao ethniques et les Hmong, le manque de représentation joue au défaveur des minorités, et cette domination des majorités ethniques est perpétuée dans tous les niveaux de gouvernement. L’aide étrangère, l’investissement étranger et les projets privés devant être soumis à l’approbation du gouvernement dans la façon d’être distribués, le manque de représentation ethnique des minorités est aussi reflété dans le fait que ces ressources tombent majoritairement entre les mains des Lao et des Hmong et les minorités ethniques étant majoritairement sous la ligne de pauvreté, avec peu d’accès à l’éducation et peu d’accès à la représentation politique se retrouvent ostracisées volontairement des processus économiques qui pourraient leur apporter une forme d’aide quelconque et demeurent ainsi dans une situation de pauvreté et d’inégalités fortes (Lan Anh et Wittrock, 2018, p. 103-104). Les hautes terres et les provinces du Nord, où les minorités ethniques sont les plus importantes, et les groupes ethniques qui excluent les Lao et les Thai sont ainsi sans surprise les groupes faisant face à la plus grande proportion de pauvreté multidimensionnelle, jusqu’à une part de 55% pour les minorités ethniques, qui inclut une évaluation de l’éducation, de la santé et de la qualité de vie, comparativement aux Lao-Thai dont la pauvreté multidimensionnelle affecte 19% du groupe, ce qui est partiellement expliqué par le fait que les populations ethniques sont généralement celles touchées par les décisions de relocalisation ou de ventes de terres agricoles, dont ces populations dépendent pour survivre (Bader et al., 2016, p. 18). De plus, en considérant à la fois les mesures traditionnelles de pauvreté et la pauvreté multidimensionnelle, il apparaît que la pauvreté la plus sévère touche les groupes ethniques Mon-Khmer, Sino-Tibetain et Hmong-Mien avec chacun environ 40% de pauvreté traditionnelle et multidimensionnelle au sein du groupe, alors que les Lao-Thai ne montrent qu’une proportion de 13% de ce type de pauvreté multi-facette (Bader et al., 2016, p. 23). Ces groupes minoritaires sont donc normalement ceux qui vivent le plus grand taux de maladies, de malnutrition, et de mortalité, alors que leurs taux d’éducation et leur identification culturelle se voient affaiblis (Lan Anh et Wittrock, 2018, p. 102).
Inégalités dans les permissions de pratiques religieuses
Les libertés religieuses, déjà controversées au Laos, sont elles aussi un facteur qui affecte et désavantage les minorités ethniques au Laos, celles-ci s’identifiant parfois fortement à des croyances moins bien acceptées par le gouvernement. La Commission des États-Unis sur les Libertés Religieuses Internationales place le Laos parmi les pays nécessitant une surveillance au niveau des libertés religieuses, malgré un progrès important au cours des dernières années (Vu, Chen et Bailey, 2016, p. 90). Il y existe en effet un décret, le décret 92, permettant au gouvernement de définir les règles sur les pratiques religieuses considérées comme acceptables, ce qu’il a utilisé à plusieurs reprises afin d’avantager les bouddhistes et de persécuter les minorités protestantes et catholiques, majoritairement Mon-Khmer et vietnamiennes respectivement (U.S. Department of State, 2019). Ces inégalités, quoique relativement mineures en comparaison, viennent s’ajouter aux inégalités politiques, économiques et sociales que vivent déjà les différentes minorités ethniques pour présenter un portait où les Lao et Hmong sont clairement avantagés, et l’État accepte tacitement, voire encourage ces inégalités à travers les mesures et décisions qu’il prend. Malgré que certaines de ces décisions n’aient pas comme désir primaire de désavantager les minorités malgré leur maladresse, surtout au niveau économique où le gouvernement a jusqu’à un certain point un désir réel d’endiguer la pauvreté, et les libertés religieuses s’améliorant, il est possible de dire que la situation des minorités ethniques du Laos n’est pas fantastique, et nécessitera un travail accru du gouvernement afin de réellement s’améliorer. Un point potentiellement positif par contre, la position du gouvernement au niveau des religions s’est fortement assoupli au cours des dernières années, au point où la majorité des religions, si elles ne sont pas reconnues et ne peuvent donc pas réellement s’afficher en public à travers des signes et infrastructures, peuvent désormais être pratiquées si elles le sont avec tact et en privé. Cela indique donc une ouverture sur la position religieuse de la part du gouvernement, et permet d’imaginer que la situation à ce niveau ira en s’améliorant (Vu, Chen et Bailey, 2016, p. 92), alors que la représentation politique, et donc les inégalités économiques, semble ancrée dans l’idée d’un contrôle par la majorité ethnique où les droits des minorités sont relégués au second rang.
Bibliographie:
Bader, Cristoph et al.. 2016. « Differences Between Monetary and Multidimensional Poverty in the Lao PDR: Implications for Targeting of Poverty Reduction Policies and Interventions ». Poverty & Public Policy, vol. 8: p. 171–197.
Lan Anh, Ha Thi et Verena Wittrock. 20xx. « Ethnicity and Conflict in Present-Day Laos : Addressing Issues of Minority Politics and Resettlement ». Rheinische Friedrich-Wilhelms-Universität Bonn, Institute for Asian and Oriental Studies, Department of Southeast Asian Studies, p. 97-107.
Vu, Hien, James Chen et Stephen Bailey. 2016. « Engaging Vietnam and Laos on Religious Freedom », The Review of Faith & International Affairs, vol. 14, no. 2, p. 86-92, DOI: 10.1080/15570274.2016.1184452.