Le féminisme indonésien et l’Islam, des rapports complexes

Par Nirmine ElChami

L’Indonésie est le plus grand pays islamique au monde, avec 90 % de sa population se définissant comme musulmane[1]. De ce fait, la montée de partis islamiques sur la sphère politique inquiète les femmes indonésiennes. En effet, quelles seront les conséquences d’un islam politique sur le féminisme indonésien perçu comme une infection occidentale [2]? Et surtout, l’Islam et le féminisme peuvent-ils s’harmoniser malgré la complexité des rapports qu’ils entretiennent ?

Les racines du féminisme indonésien

Contrairement à ce que pourraient penser ses détracteurs, le féminisme indonésien n’est pas une subdivision des idéaux de l’occident, mais il découle des idéaux et de l’histoire de son propre terrain[3]. En effet, les racines du féminisme indonésien proviennent de la période coloniale où Raden Ajeng Kartini se rebella contre les coutumes restrictives imposées sur les femmes minoritaires face aux femmes javanaises considérées comme de la « haute classe ». Des organisations de femmes comme Purti Mardika ou Aisyiyah reconnus comme ayant joué un rôle dans l’obtention officielle de l’indépendance de l’Indonésie en 1949 suivirent alors le mouvement de la jeune féministe. Malheureusement, ce militantisme des femmes ayant émergé dans les années 1920 et s’étant émancipé jusque dans les années 1960 s’est vu disparaitre sous l’ombre du régime autoritaire de Suharto en 1967[4]. Qu’en est-il aujourd’hui du féminisme indonésien suite à la chute de Suharto en 1998 ?

Les dynamiques contemporaines : la montée d’un radicalisme hostile au mouvement féministe

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Raden Ajeng Kartini

La défaite du Nouvel Ordre accompagnée de la transition démocratique du pays a permis aux organisations de femmes laïques ayant été restreintes par le régime de Suharto de se développer sur la scène politique nationale, mais également internationale. Ainsi, dans les années 2000, de nouvelles ONG ouvertement féministes ont vu le jour comme Lembaga Bantuan Hukum AsosiasiPerempuan Indonesia Untuk Keadilan (LBH-APIK), une organisation d’aide juridique ou encore Yayasan AnnisaSwasti, un centre d’aide pour la défense des droits du travail des femmes. Néanmoins, cette liberté d’expression politique a également donné naissance à un radicalisme hostile aux causes féministes, percevant le féminisme comme faisant partie d’un projet de domination occidental. En effet, l’Islam politique devient de plus en plus intégré dans les politiques sociétales de l’Indonésie. La mise en œuvre de centaines de nouveaux règlements régionaux visant les femmes a relégué au mouvement de nouveaux défis contemporains. Ainsi, le 30 octobre 2008, le projet de loi controversé contre la pornographie (RUU-APP) ayant été adopté par le gouvernement de Habibie a suscité l’indignation des féministes à cause de ses clauses restrictives[5].  Face à la multiplicité des lois initiées par les partis islamistes, un nouveau mouvement féministe prend de plus en plus de poids en Indonésie : le féminisme islamique[6]. Ce féminisme traditionnel devint le féminisme dominant suite à la reformasi et il fut le moteur des femmes dans la lutte contre les législations locales de l’islam politique adoptées par les partis islamistes[7].

Le féminisme islamique : des défis de taille

Mais ce féminisme dominant en Indonésie suscite encore plus de questions concernant l’Islam et le féminisme. En outre, comment les femmes peuvent-elle réussir à unir l’Islam qui est de plus en plus influent à la cause des femmes ? Afin de concilier les deux idéologies, les membres du féminisme islamique se sont orienté vers une réinterprétation de l’Islam, notamment à travers une optique démocratique. De nombreuses organisations ont consacré leur ambition et leur aspiration à la promotion et à la défense des droits des femmes[8]. Mais le chemin est de rude épreuve car ces femmes sont confrontées à un défi de taille, notamment à la possibilité d’atteindre des avancées politiques substantielles face aux accusations des musulmans conservateurs concernant leurs motivations…

 

Les avancées du mouvement féministe en Indonésie

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Des femmes du mouvement Musawah pour les droits des femmes en Islam.

Néanmoins, plusieurs organisations découlant du féminisme islamique ont réussi à imposer des lois pouvant protéger les droits des femmes. Ainsi, Rifka an-Nisa a voté pour une loi contre la violence domestique tandis que la Fatayat a permis la mise en place d’une loi punissant le trafic de personnes[9]. Le mouvement indonésien englobe aujourd’hui un éventail de points de vue allant du laïque, mais considérant également le dévotement islamique[10]. Les organisations de femmes diffusent ainsi divers discours critiques et études afin de faire valoir leurs idées émancipatrices pour les femmes en Indonésie. Mais la non réceptivité des élites et des autorités locales demeure un frein de taille pour les pionnières des droits des femmes[11]. De ce fait, dans les perspectives futures, les mouvements de femmes indonésiennes doivent s’orienter dans des alliances dans le but de créer une base solide de connaissances, de compétences et d’arguments pour renforcer leur influence politique et leur autorité sociale aux niveaux local, régional, national et international[12]. Par conséquent, la collaboration entre les femmes musulmanes avec le féminisme en Indonésie peuvent semblent s’harmoniser dans un effort collectif de contrer la culture patriarcale depuis le début de l’ère de la réforme démocratique.

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Marche à Jakarta pour les droits des femmes et l’égalité des genres.

 

BIBLIOGRAPHIE

[1] Blackburn 2010, 21.

[2] Blackburn 2010, 16.

[3] Arivia et Subono 2017, 3.

[4] Blackburn 2010, 16.

[5] Bernstein 2009.

[7] Feillard et Van Doorn Harder 2010, 122.

[8] Parvanova 2012, 11.

[9] Feillard et Van Doorn Harder 2010, 124.

[10] Budiman 2008, 84.

[11] Arivia et Subono 2017, 23.

[12] Feillard et Van Doorn Harder 2010.

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