Par Nirmine ElChami
Parmi les pays de l’Asie du Sud-Est, l’Indonésie a été de loin la plus affectée économiquement par la crise asiatique. En effet, sa contraction économique a été environ deux fois plus importante que celle de la Thaïlande, la deuxième économie la plus touchée[1]. Pourtant, l’Indonésie est aujourd’hui l’un des tigres asiatiques et un modèle de développement économique régional, mais également international[2]. Comment expliquer cette prospérité impressionnante après l’une des crises économiques les plus dommageables dans l’histoire de l’Indonésie ?
La chute du « Goliath des pays émergents »
En juillet 1997, une crise financière asiatique a émergé en Thaïlande et a fini par se propager dans toute la région, mettant fin au miracle asiatique du milieu des années 90[3]. Cette crise a été causée par une forte pression sur le marché qui contraignit la Banque centrale thaïlandaise à faire flotter sa devise. La chute du baht fut brutale et affecta toutes les autres monnaies asiatiques. Par conséquent, l’Indonésie dut à son tour dévaluer la roupie indonésienne qui toucha le fond lorsque les emprunts à l’étranger ne purent plus être couverts. Le PIB indonésien se contracta de 13% de plus que dans tout autre pays asiatique[4]. Les impacts furent catastrophiques sur le pays provoquant des turbulences économiques, mais également politiques. En effet, l’inflation avait atteint les 70% et les hausses des prix des denrées alimentaires provoquèrent des émeutes brutales dans tout le pays, faisant plus de 500 morts à Jakarta seulement[5]. Les réticences du président Suharto à appliquer les réformes imposées par le FMI aggravèrent la crise et les émeutes, qui finirent par avoir raison du régime et forcèrent le départ de Suharto. La situation était dès lors plus critique que jamais : le régime jadis invincible était tombé tandis que l’économie indonésienne et ses institutions étaient devenues aussi fragmentées que l’archipel[6]. Une série d’incidents terroristes, de violents conflits ethniques et de catastrophes naturelles vinrent aggraver le marasme indonésien[7].
Le renouveau indonésien : les leçons de la crise asiatique
Comment l’Indonésie a-t-elle pu se relever à la suite à ces profondes turbulences sociales et politiques générées par la crise ? La reprise a été possible grâce à la transition démocratique et donc à la fin du système de patronage de Suharto. En effet, les réformes administratives dont la mise en place d’un nouveau cadre institutionnel pour l’élaboration des politiques économiques a permis de restaurer l’équilibre macroéconomique[8]. La particularité démographique du pays a également joué dans la recette de succès de l’Indonésie moderne. En effet, l’Indonésie a une population jeune et dynamique, dont la moitié est âgée de 30 ans et moins, ce qui rapporte considérablement au marché local. Ainsi, les ménages, particulièrement la classe moyenne, ont rapporté énormément au secteur des télécommunications et des transports[9]. Grâce à ses nombreuses richesses, l’Indonésie a également une faible dépendance aux exportations ce qui lui a permis de relancer son économie à la suite des ravages de la crise[10]. En effet, compte tenu que le pays se trouve dans le camp des bien nantis, l’exportation lui est profitable puisque la hausse des couts des produits de base ont permis au pays de dépasser son solde, affichant même des excédents depuis le début de la transition démocratique[11]. Ainsi, après les troubles politiques et économiques causés par la crise, le gouvernement indonésien sous la présidence de Susilo Bambang Yudhoyono avait relevé considérablement le taux de croissance indonésien, permettant à l’Indonésie de retrouver sa prospérité d’avant la crise[12]. De plus, les cataclysmes de la crise de 1997 se sont évaporés grâce à la progression impressionnante des réserves de change des banques indonésiennes qui ont aujourd’hui 1,8 fois la dette à court terme[13].
Une consolidation économique inachevée
Même si la période post-crise a grandement relancé l’économie indonésienne jusqu’à rendre obsolète une répétition d’une crise comme celle de 1997, l’Indonésie a encore du pain sur la planche au niveau économique[14]. En effet, la dette publique et extérieure post-crise reste non négligeable, malgré qu’elle ait diminué considérablement. De plus, même si les banques et les créanciers ont appris à être plus prudents, les problèmes du secteur bancaire public ne sont pas encore complètement résolus. En outre, les réformes en matière de politique macroéconomique et commerciale post-crise ont été nécessaires pour relever l’économie indonésienne, mais elles ne sont pas suffisantes pour la reprise d’une croissance élevée à long terme. Les investisseurs étrangers, mais surtout nationaux doivent être convaincus que l’Indonésie offre un environnement commercial sûr, rentable et prévisible. Néanmoins, la corruption est un fléau toujours enraciné dans les institutions indonésiennes et nuit de ce fait au développement économique de l’Indonésie[15]. En outre, même si la confiance des entreprises est en train de se rétablir, elle est très lente puisque les investisseurs évitent encore les projets à long terme avec l’Indonésie. L’environnement des entreprises et les contraintes du côté de l’offre en matière d’infrastructure restent également problématiques[16]. En effet, le gouvernement attribue davantage de subventions aux entreprises locales qu’aux investissements dans les infrastructures ce qui favorise la consommation au détriment du développement. Ainsi, pour consolider son développement économique, le gouvernement indonésien doit miser davantage sur les investissements et encourager les réformes de son appareil productif pour générer des gains sur le long terme[17]…
[1] Porter et Ketels 2008.
[2] Marciano 2013.
[3] Shuhe Li 2003, 652.
[4] Porter et Ketels 2008, 7.
[5] Ibid
[6] Chaponnière 2017.
[7] Hill et Shiraishi 2007, 139.
[8] Von Luebke et al. 2009, 270.
[9] Bellocq et Chapponnière 2008, 17.
[10] Marciano 2013.
[11] Bellocq et Chapponnière 2008, 45.
[12] Porter et Ketels 2008.
[13] Bellocq et Chapponnière 2008, 46.
[14] Marciano 2013.
[15]Ibid,.
[16] Hill et Shiraishi 2007, 139.
[17] Bellocq et Chapponnière 2008, 46.
BIBLIOGRAPHIE
Bellocq, François-Xavier et Jean-Raphaël Chaponnière. 2008. L’Indonésie dix ans après la crise : Agence Française De Développement.
Chaponnière, Jean-Raphael. 2017. « Il y a 20 ans, la crise asiatique : des conséquences toujours d’actualité » , dans Asialyst [En Ligne] https://asialyst.com/fr/2017/06/30/il-y-a-vingt-ans- crise-asiatique-consequences-toujours-actualite/ (Page consultée le 4 mars 2019)
Hill, Hal et Takashi Shiraishi. 2007. « Indonesia After the Asian Crisis », Asian Economic Policy Review 2 : 123–141.
Marciano, Eduardo. 2013. « L’Indonésie : un essor économique impressionnant », Perspective Monde [En Ligne] : http://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMAnalyse?codeAnalyse=1458 (Page consultée le 4 mars 2019)
Porter, michael et Christian Ketels. 2008. « Indonesia: Attracting Foreign Investment » , Harvard Business School 708 : 1-31.
Shuhe Li, John. 2003. « Relation-based versus Rule-based Governance: an Explanation of the East Asian Miracle and Asian Crisis » , Review of International Economics, 11( no 4) : 651– 673.
Von Luebke, Christian, Neil McCulloch et Arianto A. Patunru. 2009. « Heterodox Reform Symbioses : The Political Economy of Investment Climate Reforms in Solo, Indonesia* » Asian Economic Journal, 23 (no. 3) : 269–296.