Une vision chinoise du conflit en Mer de Chine méridionale

Par Phan Quang Anh Bui

 

« La Chine affirme sa souveraineté indiscutable sur les îles de la mer de Chine méridionale et des eaux adjacentes. Elle a compétence juridique sur les eaux concernées ainsi que sur les fonds marins et leur sous-sol » (traduction libre), a déclaré la Mission permanente de la République Populaire de Chine (RPC) auprès de l’Organisation des Nations unies dans une note verbale fortement controversée datant du 7 mai 2009 [1].

 

Tout en gardant une position délibérément ambiguë sur le sujet, la Chine a intensifié ses revendications en Mer de Chine méridionale dans la dizaine d’années depuis. Ce billet est l’occasion pour nous de parcourir les origines des revendications chinoises ainsi que les évolutions de la politique adoptée par la RPC sur ce sujet à travers différentes époques.

 

« La ligne des neuf traits » défendue par la Chine. Source : Organisation des Nations unies.

 

Certains chercheurs comme Wang Hanling, Directeur du Centre national des affaires maritimes et du droit de la mer de l’Académie chinoise des sciences sociales soutiennent la thèse selon laquelle les chinois furent les tous premiers à avoir découvert et nommé les îles Spratleys et Paracels (appelés Nansha et Xisha respectivement), et ceci depuis la fin de la Dynastie des Han vers 200 après J.C. [2]. « Les Chinois ont commencé à développer les îles Nansha et à s’y engager dans des activités halieutiques dès le début de la dynastie Ming », affirme celui-ci. Depuis, la Chine y aurait exercé sa juridiction de manière continue. Pour soutenir ses propos, Hanling se base notamment sur une panoplie d’anciennes cartes et obscurs écrits qui relateraient le récit de cette ancienne présence chinoise a priori indiscutable. Pris ensemble, ces éléments mettraient à la lumière les « droits historiques » sur lesquels se basent le gouvernement chinois dans ses revendications.

 

L’une des caractéristiques les plus remarquables de la position gouvernementale sur ce sujet est qu’elle est floue à de nombreux égards, et cela peut-être bien intentionnellement. La carte officielle affichée ci-dessus semblerait montrer que les revendications chinoises s’étendent à tout l’espace se situant à l’intérieur de la « ligne des neuf traits ». Pourtant, elle ne permet pas vraiment de connaître précisément quelles îles, rochers ou autres territoires se trouveraient au sein de cette zone revendiquée.

 

De plus, la position chinoise ne semble pas prendre en compte le fait que le statut de nombreux éléments faisant partie de ces groupements d’îles reste encore un sujet de discussion à caractère fortement polémique. En effet, le fait qu’il s’agisse d’une île, d’un rocher ou encore d’un haut-fond marin change nettement le type de revendications qui peut y être associé, d’après le droit international de la mer [3].

 

La Chine revendique t-elle donc une mer territoriale ou une Zone Économique Exclusive (ZEE) autour de ces points d’intérêt ? Pour l’instant, le gouvernement ne semble aucunement pressé de répondre aux demandes de clarification de la part de la communauté internationale.

 

En voilà ce qui a trait aux revendications en soi. Posons maintenant un questionnement sur la façon dont la politique étrangère adoptée par la RPC à ce sujet a évolué à travers le temps. Le professeur Li Mingjiang de l’Université de technologie de Nanyang soutient qu’on a pu assister dans les dernières décennies à une transition d’une politique de modération destinée à assurer le reste des intérêts stratégiques chinois vers une politique bien plus active tout en restant axée dans la non-confrontation [4].

 

Ainsi, il fait valoir que la Chine tient vers les années 1990 dans un premier temps une sorte de « modération calculée » afin de trouver un équilibre entre développement économique en interne, revendications territoriales et intérêts stratégiques régionaux [5]. La Chine post-Tiananmen, isolée sur le plan diplomatique, aurait accepté de modérer ses revendications territoriales au profit d’un engagement dans des négociations bilatérales et multilatérales avec les voisins Sud-asiatiques afin de renforcer sa position diplomatique précaire. Redorer l’image du pays et de son soft power serait alors une manière pour la RPC de renforcer ses intérêts sur la scène régionale en dépassant l’image établie par la rhétorique occidentale de « menace chinoise » [6].

 

Le porte-avions chinois Liaoning patrouille la mer de Chine méridionale. Source : AFP via lapresse.ca.

 

2010 marqua l’émergence d’une Chine que l’on pourrait qualifier de plus agressive au niveau de ses revendications territoriales, la question étant désormais vue comme un enjeu stratégique de premier plan. Ceci était d’autant plus vrai que des problématiques comme la question des ressources énergétiques en Mer de Chine méridionale ou encore la nécessité de faire face à l’influence américaine dans la région ont fortement gagné en importance. Pourtant, on observe toujours de la part de la Chine une politique de non-confrontation, les conflits majeurs avec d’autres puissances jugés dangereux et imprévisibles (avec, par exemple, les États-Unis en position de « neutralité active » [7]).

 

Certains comme Bruce Cumings de l’Université de Chicago affirment que la stratégie chinoise d’aujourd’hui est de faire évoluer la situation en leur faveur de manière progressive en menant des actions intermittentes, en « marchant en quelque sorte sur la pointe des pieds vers un conflit militaire dans ses eaux voisines […] sans vraiment oser franchir la ligne » (traduction libre) [8].

 

Quelles perspectives alors aujourd’hui pour les revendications chinoises en Mer de Chine méridionale ? Il semblerait que la Chine pourrait opter pour un renforcement progressif de sa position, soignant d’éviter des confrontations directes mais n’hésitant pas non plus à mettre de la pression sur ses voisins quand cela est jugé nécessaire. Reste à savoir si cette stratégie s’avérera efficace face aux pays de l’ASEAN et aux autres puissances ayant des intérêts dans la région.

 

Notes

[1] Organisation des Nations Unies 2009

[2] Hanling 2014, p. 116

[3] Organisation des Nations unies 1982, articles 13 et 121

[4] Mingjiang 2014

[5] Mingjiang 2008

[6] Mingjiang 2014, p. 133

[7] Ibid. 2014, p. 137

[8] Cumings 2016, p. 19

 

Bibliographie

Cumings, Bruce. 2016. « The Obama « Pivot » to Asia in a Historical Context of American Hegemony ». Dans David W.F. Huang, dir., Asia Pacific Countries and the US Rebalancing Strategy. New York : Palgrave Macmillan, 11-30.

Hanling, Wang. 2014. « China’s Stance on Some Major Issues of the South China Sea ». Dans Entering Uncharted Waters ? : ASEAN and the South China Sea. ISEAS-Yusof Ishak Institute, 115–28.

Mingjiang, Li. 2008. « Security in the South China Sea : China’s Balancing Act and New Regional Dynamics » (note de recherche No 149). S. Rajaratnam School of International Studies.

Mingjiang, Li. 2014. « The Changing Contexts of China’s Policy on the South China Sea Dispute ». Dans Entering Uncharted Waters ? : ASEAN and the South China Sea. ISEAS-Yusof Ishak Institute, 129–50.

Organisation des Nations unies. 1982. Convention des Nations Unies sur le droit de la mer.

Organisation des Nations unies. 2009. CML/17/2009 Note Verbale by the Permanent Mission of the People’s Republic of China to the United Nations.

 

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