En tant qu’ancienne colonie américaine, les Philippines ont traditionnellement été considérées comme le principal allié des États-Unis dans la région. Le pays a certainement su tirer profit de cette alliance favorisant les échanges économiques mais également la défense et la sécurité de son territoire insulaire depuis la signature du traité de défense mutuelle en 1951. Au cours de cette analyse, nous tenterons de déterminer si cette relation avec les États-Unis affecte la manière dont les Philippines abordent les questions de sécurité et si l’élection de Rodrigo Duterte affecte cette dynamique.
Le fait que les pays soit essentiellement composé de plus de 7000 îles distingue celui-ci des autres pays de la région, notamment en termes de sécurité. La majorité de ces îles ne s’élevant que très légèrement au-dessus du niveau de la mer rend la population habitant celles-ci particulièrement vulnérables aux catastrophes naturelles en plus d’offrir un havre pour ceux qui pratiquent la piraterie. D’un autre côté, les problèmes récurrents liés à la criminalité, au terrorisme et aux insurgences répétées (impliquant des groupes soit islamistes ou communistes)[1] soulignent que les Philippines partagent tout de même certains enjeux de sécurité avec d’autres pays de la région.
La dispute concernant la mer de Chine méridionale constitue un autre enjeu partagé par plusieurs pays de la région mais concerne toutefois particulièrement les Philippines. En effet, les revendications chinoises concernant cet espace maritime, particulièrement en ce qui a trait à l’archipel des Spratley ainsi qu’aux droits de pêche aux alentours du récif de Scarborough, que les deux nations se disputent exacerbent les tensions entre Beijing et Manille depuis plusieurs années.[2] Il n’est donc pas étonnant que cet enjeu fasse partie des priorités du pays en termes de sécurité.
Ainsi, le renouvellement de la National Security Policy (NSP) en mars 2017 propose trois stratégies élaborée en réponse aux tensions au sujet de la mer méridionale de Chine : La première consiste à poursuivre le développement et la modernisation de ces forces armées, notamment à travers un programme nommé le Armed Forces of the Philippines Modernization Program (AFPMP) tout en soulignant son intention de chercher à renforcer les différentes alliances stratégiques et sécuritaires que le pays entretien avec plusieurs pays de la région ainsi qu’avec les États-Unis.[3]
En second lieu, les Philippines annoncent qu’ils approuvent également le verdict soumis par la Cour Internationale de la Haye relativement à la dispute avec la Chine tout en promettant de s’engager à continuer d’agir de façon à éviter une escalade des tensions. Finalement, le pays planifie continuer de travailler en collaboration avec les nations voisines à délimiter clairement les frontières maritimes ainsi qu’à l’élaboration d’un cadre légal et juridique destiné à faciliter la circulation commerciale au sein des zones économiques exclusives de chacun des pays.[4]
La National Security Policy accorde également une importance particulière à l’enjeu des stupéfiants[5], Rodrigo Duterte ayant explicitement affirmé son intention de faire disparaitre le problème de vente et de consommation de drogues illégales sur le territoire philippin. Les moyens mis en œuvre suscitent toutefois des inquiétudes au niveau de la communauté internationale qui dénonce la politique agressive du président, connue sous le nom de Oplan Tokhang dans le langage local, encourageant les citoyens à se faire justice eux même en plus de donner « carte blanche » aux autorités policières pour agir non seulement contre les trafiquants mais également contre les utilisateurs.[6]
Cette tension montante entre les Philippines et un système international fonctionnant selon un système de valeurs, à certains égards, incompatible avec celui des pays asiatiques, semble avoir mené depuis l’élection de Rodrigo Duterte à un repli et un changement de cap de la part des Philippines. Au-delà de ce froid entre les Philippines et la communauté internationale, dû entre autres aux abus liés à la politique anti drogues de Duterte, cette réticence à adhérer aux règles dictées de l’extérieur perçues comme de l’ingérence, aura donné lieu à une revitalisation de la coopération entre Manille et certains autres pays de la région malgré les désavantages potentiels que cela implique.[7]
La version révisée de la National Security Policy aura ainsi réaffirmé la détermination des Philippines à promouvoir la coopération entre les différents pays de la région et souligne l’adoption formelle du National Crisis Management System dont le but est de limiter l’impact que certains crises internes peut avoir sur ses relations avec ses voisins.[8] Cette tendance à chercher à consolider sa sécurité par le biais d’alliances, de traités et d’accords, notamment à travers l’ASEAN, peut potentiellement être vue comme une manière, pour les Philippines, de contribuer à un climat régional plus pacifique et sécuritaire.
Sous la gouverne de Rodrigo Duterte toutefois, les Philippines auront récemment pris leurs distances face aux États-Unis. Ce réalignement suggère donc un changement potentiel de la manière dont le pays aborde les questions de sécurité. Le rapprochement subséquent avec Beijing suggère une reconfiguration de ces relations bilatérales avec les autres puissances régionales en vue d’une coopération servant non seulement à renforcer leurs intérêts économiques réciproques mais leurs intérêts sécuritaires également.[9] Reste à savoir si cette reconfiguration permettra éventuellement aux pays de la région, en admettant qu’ils parviennent à transcender leur aversion aux structures supranationales, de se doter d’une communauté de sécurité.
BIBLIOGRAPHIE
Galang, Mico A. 2017. “The New Philippine National Security Policy and the Asia-Pacific.” The Diplomat. https://thediplomat.com/2017/06/the-new-philippine-national-security-policy-and-the-asia-pacific/.
Greitens, Sheena Chestnut. 2017. Terrorism in the Philippines and U.S.-Philippines Security Cooperation. Brookings. https://www.brookings.edu/opinions/terrorism-in-the-philippines-and-u-s-philippine-security-cooperation/.
Martel, Stéphanie. 2018. In Enjeux de Sécurité En Asie Du Sud-Est et Au-Delà, Montréal: Les Presses de l’Université de Montréal, 130. https://studium.umontreal.ca/pluginfile.php/3803091/mod_folder/content/0/Martel-Enjeux%20de%20s%C3%A9curit%C3%A9%20%28s%C3%A9ance%203%29.pdf?forcedownload=1.
Norkevičius, Mindaugas. 2014. “Regional Institutionalism in Southeast Asia.” Societal Studies 6(1). https://www3.mruni.eu/ojs/societal-studies/article/view/1668/1953.
Palatino, Mong. 2018. “Duterte’s Drug War in the Philippines: New Campaign, Old Problems.” The Diplomat. https://thediplomat.com/2018/02/dutertes-drug-war-in-the-philippines-new-campaign-old-problems/.
[1] (Greitens 2017)
[2] (Martel 2018, 120)
[3] (Galang 2017)
[4] (Galang 2017)
[5] (Galang 2017)
[6] (Palatino 2018)
[7] (Norkevičius 2014, 111)
[8] (Galang 2017)
[9] (Martel 2018, 123)