Par Jade Lee Kui
Prévenir, protéger et assister les enfants : tel est le message que l’on veut faire passer lors de la journée internationale contre le travail des enfants, le 12 juin. Privés de leur enfance, de leur dignité ainsi que de leurs droits humains, ce sont près de 152 millions d’enfants âgés de 5 à 17 ans (9.6%)[1] qui se voient assujettis à une nouvelle forme d’esclavage. Bien que la Thaïlande fasse partie des « quatre tigres », plus de 1.3 millions (13%) d’enfants thaïlandais de 5 à 17 ans travaillaient en 2005-2006[2]. Quelles actions sont mises en place par le pays pour combattre ce phénomène immoral ?
Remplacer travail par éducation des enfants
La lutte de la Thaïlande contre le travail des enfants et leur exploitation sexuelle devient plus active lorsque le Premier ministre témoigne en 1992 de son ferme engagement d’y mettre fin. Liant de suite ses paroles aux gestes, la Thaïlande a été l’un des premiers pays à adhérer à l’IPEC (International Program on the Elimination of Child Labor). Cette collaboration a abouti à un cadre législatif dont la logique est « moins travailler, plus étudier ». Ainsi, la loi sur la prévention et l’élimination de la prostitution (1997) et la loi sur la protection de la main-d’œuvre (1998) ont fait passer l’âge minimum requis pour travailler de 13 à 15 ans ; puis, la loi sur l’éducation nationale (1999) a allongé la durée de scolarité[3].
Or, c’est moins l’existence des lois que leur stricte application qui compte. C’est pourquoi, en 1994, l’IPEC a aidé le gouvernement thaïlandais à créer un comité directeur nationale chargé de veiller à la planification et à la mise en œuvre des activités de l’IPEC[4]. La qualité de l’inspection du travail a également été améliorée, grâce à l’assistance technique de l’OIT (Organisation Internationale du Travail), en préparant les inspecteurs à mener une action plus ciblée[5]. Ainsi, selon la Banque Mondiale, le taux d’inscription à l’école secondaire a augmenté de 66.4% en 2004 à 78.2% en 2012[6].
Des enfants en proie à des prédateurs sexuels
Avec un taux de 40%[7], la Thaïlande est l’un des pays les plus touchés par la prostitution infantile. Pourquoi ce chiffre reste élevé alors qu’un cadre législatif a été mis en place pour améliorer la situation des enfants ? C’est simple. Des défis comme la corruption des autorités locales et l’inefficacité administrative minent la mise en application des lois pour protéger les enfants.
Si des efforts doivent être fournis à ce niveau-là, ils peuvent aussi se faire au niveau des hôtels. Ainsi, depuis 2002, le groupe hôtelier français Accor collabore avec des ONG internationales et ECPAT (End Child Prostitution in Asian Tourism) pour entraîner ses employées sur comment détecter et signaler l’exploitation sexuelle de l’enfant. En Thaïlande, presque 90% du personnel hôtelier a reçu cet entraînement[8].
À l’heure d’une digitalisation du monde, il est important d’offrir des dispositions concernant la sécurité en ligne pour combattre la prostitution infantile. Or, le cadre légal thaïlandais pour la protection des enfants n’en contient pas, affaiblissant dès lors la portée des lois. Pour y remédier, le pays décide d’amender la Loi sur la protection des enfants (2003) en 2009[9] et devient membre du Partenariat pour la protection des enfants[10] dans l’optique d’éliminer l’exploitation sexuelle des enfants basée sur les technologies de l’information et de la communication.
Trafic d’êtres humains
La Thaïlande est l’un des principaux pays pourvoyeurs, de destination et de transit pour le trafic des femmes et des enfants[11]. On estime que le contingent de mineurs clandestins, venus notamment du Cambodge et de la Birmanie pour travailler en grande partie dans l’industrie de la pêche, persévère dans son augmentation[12].
Pour aider ces victimes d’exploitation – résultant des frontières poreuses – la Thaïlande a ratifié en 2016 la Convention de l’ASEAN sur le trafic des personnes[13]. Or, comment faire en sorte que le gouvernement agisse efficacement alors que la traite des enfants, locaux ou étrangers, représenterait 500 milliards de bahts par an – soit la moitié du budget de l’État – et que ce trafic est plus rentable que celui de la drogue ?[14].
Bibliographie :
Bureau International du Travail. 2006. La fin du travail des enfants: un objectif à notre portée. Rapport global en vertu du suivi de la déclaration de l’OIT relative aux principes et droits fondamentaux au travail : rapport du directeur-général. Genève : Bureau International du Travail.
Cook, Philip H., Cheryl Heykoop, Athapol Anuntavoraskul, and Jutarat Vibulphol. 2012. “Action Research Exploring Information Communication Technologies (ICT) and Child Protection in Thailand.” Development in Practice 22(4): 574–87.
États-Unis. Département d’État américain. 2008. Thailand’s First Anti-Trafficking in Persons Act Has Come Into Force. États-Unis: Département d’État américain. Dans Blackburn, Ashley G., Robert W. Taylor, and Jennifer Elaine Davis. 2010. “Understanding the Complexities of Human Trafficking and Child Sexual Exploitation: The Case of Southeast Asia.” Women & Criminal Justice 20 : 105-126.
Maplecroft. 2013. Thailand : Children’s Rights and Business. En ligne. https://www.unicef.org/evaldatabase/files/Thailand_-_Childrens_Rights_and_Business.pdf (page consultée le 08 Juin 2018).
Observatoire des inégalités. 2018. 150 millions d’enfants travaillent dans le monde. En ligne. https://www.inegalites.fr/150-millions-d-enfants-travaillent-dans-le-monde (page consultée le 28 Mai 2018).
Organisation internationale du travail. Conseil d’administration. 2000. L’abolition effective du travail des enfants : Thaïlande. En ligne. http://www.ilo.org/public/french/standards/relm/gb/docs/gb277/3-2/abol/t2.htm (page consultée le 27 Mai 2018).
Revise, Nicolas. 2002. « Les enfants étrangers, forçats de la Thaïlande ». Libération. En ligne. http://www.liberation.fr/futurs/2002/05/25/les-enfants-etrangers-forcats-de-la-thailande_404734 (page consultée le 27 Mai 2018).
United States Department of Labor. Bureau of International Labor Affairs. 2016. 2016 Findings on the Worst Forms of Child Labor – Thailand. En ligne. https://www.dol.gov/agencies/ilab/resources/reports/child-labor/thailand (page consultée le 08 Juin 2018).
Notes de bas de page:
[1] Le phénomène est difficile à quantifier puisque certains enfants travaillent derrière des portes closes (travailleurs domestiques) et sur un marché illégal. Observatoire des Inégalités, « 150 millions d’enfants travaillent dans le monde »..
[2] Les données sur le travail des enfants en Thaïlande manquent, empêchant dès lors d’avoir une vision globale de l’évolution de la situation de ces enfants exploités. Maplecroft, Thailand : Children’s Rights and Business, 69.
[3] La durée de scolarité passe de 6 à 9 ans à compter de l’âge de 7 ans. OIT, La fin du travail des enfants: un objectif à notre portée. Rapport global en vertu du suivi de la déclaration de l’OIT relative aux principes et droits fondamentaux au travail : rapport du directeur-général., 12.
[4] Conseil d’Administration de l’OIT, L’abolition effective du travail des enfants : Thaïlande.
[5] Ibid.
[6] « Maplecroft, Thailand : Children’s Rights and Business », 69.
[7] Ibid., 66.
[8] Ibid., 124.
[9] Ibid., 138.
[10] Cook et al., « Action research exploring information communication technologies (ICT) and child protection in Thailand ».
[11] Département d’État américain, Thailand’s First Anti-Trafficking in Persons Act Has Come Into Force.
[12] Conseil d’Administration de l’OIT, L’abolition effective du travail des enfants : Thaïlande. Les enfants étrangers employés en Thaïlande était au nombre de 194 000 en 1996.
[13] Bureau of International Labor Affairs, 2016 Findings on the Worst Forms of Child Labor – Thailand.
[14] Revise, « Les enfants étrangers, forçats de la Thaïlande ».