Par Nicolas Chantigny
L’Asie du Sud-Est se résulte à être la première région en terme d’implantation de la communauté chinoise immigrante. Effectivement, 85% de la diaspora mondiale issue de l’empire du Milieu s’y retrouve [1]. Des divergences majeures entre les différentes communautés chinoises à travers les 11 pays de la région sont constatées ; de la sorte, une variété de situations sociaux-économiques illustre des écarts saillants entre elles. Composée d’immigrants « allant […] des petits agriculteurs vivant à la limite du seuil de pauvretés aux tycoons multimilliardaires à la tête de puissants empires financiers et industriels [2] », les Chinois d’outre-mer forment un ensemble hétérogène. Ce billet s’intéressera principalement à leur intégration au sein du monde malais, à l’origine de leurs déploiements et parfois aux différents problèmes suscités par le racisme à l’égard de ces communautés. Le but de l’exercice est de mettre en relation les différentes situations évolutives dans lesquelles se sont insérées les diasporas chinoises dans les deux pays traités afin de faire un diagnostic comparatif entre hier et aujourd’hui. À cet effet, nous survolerons deux pays insulaires de l’Asie du Sud-Est, c’est-à-dire les Philippines et la Malaisie afin de faire la dissection de ces groupes ethniques hétéroclites.
La diaspora chinoise et les Philippins ont un passé commun très développé puisqu’en 1810, on recensait 120 000 métis, ce qui est un nombre largement plus important que la moyenne des autres pays d’Asie du Sud-Est [3]. « On estime à 820 000 la population chinoise des Philippines soit 1.3 % de la population totale [4] ». Économiquement, la communauté chinoise a un rôle dominant dans le pays. « La diaspora chinoise contrôle l’essentiel de l’économie du pays et plus de 250 grandes sociétés des Philippines [5] ». D’abord établie dans le commerce de gros et le commerce de détail, elle a maintenant la main mise sur le secteur secondaire, l’industrie textile, l’électroménager, l’industrie alimentaire et agroalimentaire, le tabac, les produits pharmaceutiques et les industries métallurgiques. Il n’est pas non plus surprenant de voir son implantation dans l’industrie des médias et de la communication, ni de constater l’implication politique des Philippins d’origines chinoises, telle que José Rizal ou l’ancienne présidente Corazon Aquino. Historiquement, l’archipel philippin était peuplé par un grand nombre de tribus qui n’étaient pas en contact les unes des autres. C’est en 1400 que les Chinois s’installèrent et dans les années 1850 à 1930 qu’ils occupèrent un rôle déterminant dans la sphère économique de la société, pour ensuite voir resurgir une nouvelle vague d’immigration à partir des dernières décennies [6]. De la sorte, aux Philippines, la diaspora chinoise connait un sort très enviable, puisque malgré son nombre peu significatif, elle a accès à des strates de la population très privilégiées [7].
Contrairement au cas des Philippines, la communauté chinoise de la Malaisie est bien plus volumineuse. Représentant proportionnellement 32% de la population nationale, son implantation date du XVe siècle, mais fut «limitée jusqu’à la période coloniale [britannique] et le début du XXe siècle [8] ». Effectivement, l’essor économique de la région par le développement de marchés avec l’arrivée des Anglais et la situation précaire d’un point de vue financier de la Chine provoquèrent des vagues d’immigration chinoise vers la Malaisie où ces derniers réussiront à en tirer des profits fort avantageux. En amorçant leur implication économique par l’établissement d’entreprises similaires à celles déjà présentes en Chine, c’est-à-dire issues d’activités économiques touchant aux produits alimentaires, aux raffineries de riz, à la production de caoutchouc et d’étain, etc., les Chinois d’outre-mer installés en sol malais constituèrent la base de leur succès financier [9]. Par leur implication à la cause, l’indépendance de la Malaisie apporta des effets bénéfiques à la diaspora chinoise. En orientant sa stratégie de développement économique autour de l’industrialisation du pays, les Chinois immigrants diversifièrent les secteurs d’activités autour de « la fabrication de biens de consommation, de l’essor immobilier et du BTP, tout en renforçant leur position dans le secteur financier, le commerce de gros et de détail et dans le transport [10] ». Hélas, la cohabitation entre les Malais et les Chinois s’envenima dut aux inégalités socioéconomiques en faveur des Chinois. En 1970, des réformes administratives fut implantées dans le cadre de la Nouvelle Politique Économique afin de favoriser les Malais, restreignant la main mise chinoise à un plafond de 40% du capital des entreprises par le fait même. « Les fuites de capitaux qui en résultèrent et surtout la crise économique des années 1980 ont mis fin à cette politique désormais remplacée par une autre moins éthiquement orientée centre les Sino-malais [11] ». Avec sa dominance économique et sa place au sein de l’Alliance (la formation politique coalitionnaire) accentuée par son poids démographique important, la diaspora chinoise en Malaisie détient un pouvoir fort reluisant.
Pour conclure, l’Asie du Sud-Est, plus spécifiquement les pays insulaires issus du monde malais, constitue un terrain d’occupation majeur de la diaspora chinoise. Avantagés par leur sens du commerce et leurs riches capitaux, les Chinois d’outre-mer jouissent d’une qualité de vie souvent supérieure à celle des habitants de leur pays d’adoption. Leur métissage avec la population des Philippines et leur poids démographique important en Malaisie ont propulsés ces derniers vers des hautes sphères politiques. Bien que cette cohabitation ne se soit pas effectuée sans heurts, la situation géopolitique des diasporas chinoise autour du globe ne fait qu’imploser. Le cas particulier de Singapour, à l’inverse des autres diasporas chinoises des iles de l’Asie du Sud-Est, se démarque par sa démographie à dominance chinoise. C’est sans surprise que cette dernière joue un rôle de premier plan au succès économique retentissant de cette forteresse chinoise…
[1] Emmanuel Ma Mung, p.57
[2] Idem.
[3] Ibid, p.65
[4] Idem
[5] Pierre Picquart, p.103
[6] Idem.
[7] Idem.
[8] Ibid, p.99
[9] Idem.
[10] Emmanuel Ma Mung, p.63
[11] Idem.
Bibliographie
Emmanuel Ma Mung, La diaspora chinoise : géographie d’une migration, Paris, Ophrys, 2000
Pierre Picquart, L’empire chinois, Paris, Favre, 2004