Le rapport de la junte militaire avec les minorités en Birmanie

Par Julie Perreault-Henry

La Birmanie est un pays déchiré à travers le temps. Colonisée à deux reprises1 et terre d’affrontements entre le bloc de l’Est et de l’Ouest au cours de la Guerre Froide, elle s’est retrouvée désorientée face à la recherche d’un consensus politique. Confrontée à cette problématique, la Birmanie s’enlise dans une impasse. Les militaires, au pouvoir depuis le coup d’État de 1962, répriment violemment l’accession aux droits politiques des multiples minorités ethniques et culturelles. Malgré une récente transition vers un gouvernement civil, les combats entre les forces de l’ordre et les groupes dissidents continuent de faire rage. Le parcours de la junte n’est pas sans taches et l’information disponible sur ses agissements est difficile d’accès. En effet, les journalistes étrangers sont surveillés et leurs informateurs sont jetés en prison. Les secrets d’État et les squelettes cachés dans les placards gravitent autour du pouvoir birman.

Une centaine d’ethnies cohabitent sur le territoire birman, tels que les Kachins, les Chins, les Karens et les Rohingyas, les Shans, les Arakans, les Môns, etc. Quelles sont les sources de toute cette diversité? Certains chercheurs avancent que cet espace multiculturel prend racine dans son passé colonial. Une division aurait pris forme entre les populations bouddhistes des vallées et des plaines et les montagnards animistes et chamanistes. On confère d’ailleurs à ces derniers un statut inférieur. Cette séparation est accentuée par la gestion administrative coloniale moins présente dans les régions montagnardes. Les moines évangélistes, quant à eux, ont exacerbé le sentiment identitaire des montagnards afin de les distancer des bouddhistes des basses terres. La colonisation anglaise a donc semé la zizanie.

Ce morcellement bien ancré constitue le principal défi politique du pouvoir. Sa réponse à cette diversité n’a malheureusement pas été le consensus démocratique. Les militaires ont répliqué au problème par la répression de la dissidence politique et ont refusé d’accorder une place de choix aux commandes du pays aux différentes ethnies. Dès son entrée au pouvoir en 1962, la junte militaire a expulsé la communauté indienne, principalement constituée de commerçants et d’agents publics. L’éviction des différentes ethnies par le gouvernement s’est poursuivie au cours des années suivantes; de multiples massacres se sont perpétrés sur la communauté chinoise. Cette dernière était très active dans les principaux réseaux commerciaux birmans. Le résultat de ce rejet systématique de ces groupes ethniques constituant des pans majeurs du commerce s’est reflété dans l’ébranlement de l’économie légale. Sa dégradation a permis à sa contrepartie d’émerger: l’économie informelle. Militaires et factions d’insurgés ont concentré leur source de financement militaire sur la production et le trafic de drogues. Les taxes soutirées de ces réseaux illégaux ont permis le renflouement de leurs coffres respectifs. Le conflit entre le pouvoir et les minorités est alors perpétuellement alimenté par ce financement, qui ironiquement a vu le jour grâce à l’intolérance du pouvoir face aux minorités. Le cercle vicieux de la violence a vu le jour.

Le gouvernement a continué sur sa lancée destructive dans les années suivantes. Au début des années 90, la junte militaire déclenche des élections libres. Perdante face à la Ligue nationale pour la démocratie, elle refuse de reconnaître les résultats électoraux et s’accroche au pouvoir. De 1989 à 1997, la junte militaire et les armées rebelles représentant pour la majeure partie des minorités signent des ententes de cessez-le-feu. Pendant cette période creuse, les militaires en profitent pour reprendre du poil de la bête et violent les accords en contre-attaquant rapidement la Ligue nationale pour la démocratie et les zones frontalières (où la plupart de minorités ethniques se situent). Une perte de confiance entre la junte et les minorités s’ensuit qui se fait ressentir encore aujourd’hui2.

Soldat birman

Ses stratégies offensives pour démanteler l’influence de la société civile qu’elle qualifie « d’ennemis intérieurs » ou « d’éléments destructeurs » sont diverses. Elle recourt à l’espionnage par satellites sécurisés, l’enregistrement des déplacements, l’enrôlement de force de milliers de recrues, dont plusieurs mineurs, qui sont souvent soumis à d’innombrables travaux forcés.. Les minorités sont par ailleurs fréquemment expulsées de leurs maisons et sont relocalisées dans des zones strictement contrôlés par la junte militaire ou dans des camps où une insécurité permanente règne. Souvent, les communautés ethniques sont carrément ostracisés par le gouvernement.

Depuis les années 90, près d’un demi-million de gens ont quitté la Birmanie suite à des attaques du gouvernement à leur encontre: 300 000 Rohingya quittèrent la région pour le Bangladesh, 120 000 Karen et 100 000 Shan ont fuit vers la Thaïlande. En 2012, on compte 400 000 déplacés internes. Les groupes ethniques les plus touchés par ces déplacements sont les Kayins, les Kayah, et les Môn3. Les conditions de vie des minorités sont donc précaires, l’aide internationale leur parvenant est limitée, et leurs droits politiques fondamentaux sont bafoués. Certaines de ces minorités ont répondu à ces difficultés en érigeant une société indépendante de la gouvernance birmane. Par exemple, la communauté Wa, situé dans l’État Shan au nord-est du pays, a mise sur pied une zone autonome avec ses propres systèmes politique, social et économique. Toutefois, leurs conditions de vie restent médiocres et l’accession à de meilleures ne se fera que lorsque le régime militaire sera véritablement destitué et qu’un gouvernement démocratique fort prendra les rênes du pays.

(1) Par les Anglais en 1886 et par les Japonais aux approches de la Deuxième Guerre mondiale

(2) Voir McConnahie, Kirsten, « Forced Migration in South-East Asia and East Asia »

(3) Voir Brown, David , « Ethnicity, Nationalism, and Migration in Southeast Asia »

Bibliographie

Arcaro Pascal, Desaine Lois. 2008. ‪La junte birmane contre « l’ennemi intérieur »: Le régime militaire, l’écrasement des minorités ethniques – Et le désarroi des réfugiés rohingya‬. Paris: ‪Editions L’Harmattan

Brown, David. « Ethnicity, Nationalism, and Migration in Southeast Asia. » The International Studies Encyclopedia. Denemark, Robert A. Blackwell Publishing, 2010. Blackwell Reference Online. 20 September 2014

Comité Français de Soutien à GK-Savar Bangladesh. 2011. Les minorités ethniques opprimées. Paris: Comité Français de Soutien à GK-Savar Bangladesh

Freedom House. 2014. Burma. New York: Freedom House

Harbom Lotta, Wallensteen Peter. 2010. « Armed Conflicts, 1946-2009 » Journal of Peace Research
47 (juillet): 501-509.

McConnahie, Kirsten. 2014. « Forced Migration in South-East Asia and East Asia » Oxford Handbooks Online.

Bookmark the permalink.

Comments are closed.