Par Clément Rivière,
Le processus d’émancipation de la Birmanie, soumis à l’ordre colonial, s’amorce assez vite et se déclenche souvent avec violence. Alors que certains pays d’Asie du Sud-Est n’avaient guère résisté à l’occupation occidentale, la Birmanie était un lieu de grande tension. L’éveil du nationalisme permet l’accès à l’indépendance mais le processus nationaliste va être freiné par une profonde division ethnique entraînant l’instabilité politique de la Birmanie et l’émergence de structures politiques maximalistes.
Le nationalisme birman apparait dès le début du XXe siècle. La Birmanie, devenue une colonie britannique en 1885 à l’issue de la troisième guerre anglo-birmane, voit sa monarchie disparaître et son administration délocalisée vers l’Inde [1]. Les britanniques utilisent la stratégie consistant à diviser pour mieux régner, en favorisant l’autonomie des minorités ethniques et donc en excluant la majorité birmane. Ils enrôlent presque exclusivement des membres de ces minorités (Karens, Kachins…) dans l’armée [2]. Le combat contre le système colonial anglo-indien se fait alors sur la base d’un nationalisme anti-britanniques, et commence par la résistance armée qui ne prit fin qu’en 1891 [3]. Lui succède, au début du 20ème siècle, un mouvement plus pacifiste crée par une association de jeunes bouddhistes : Young Men’ Buddhist Association (l’YMBA) [4]. Face à la violence et à l’exploitation des colons (qui favorisent l’installation de minorités) les élites politique et religieuse de Birmanie s’entendent pour former un fort sentiment national birman autour du bouddhisme. Le jeune mouvement contestataire, s’appuie alors fortement sur le clergé bouddhiste rural et son réseau d’écoles dans tout le pays [5].
Cependant le nationalisme birman se divise, notamment sur la question de la place du bouddhisme, sur les rapports avec l’Inde ou encore la question de la modernisation [6]. L’Association des Jeunes Hommes Bouddhistes, accorde une importance particulière à la religion au détriment du politique, s’opposant ainsi aux nationalistes non bouddhistes majoritairement issus des minorités ethniques. Le YMBA perd de son influence et face aux pressions politiques de la population birmane, notamment avec les étudiants qui prennent part à lutte pour l’indépendance, le nationalisme va s’articulé autour du Parti Communiste (PCB) sous la houlette de Thakin Aung San, secrétaire général du PCB [7].
En 1937, la Birmanie est séparée des Indes et devient une colonie à part entière, avec un niveau relativement élevé d’autonomie interne. Parallèlement, le mouvement nationaliste communiste et clandestin s’amplifie, et Aung San devient le commandant de l’Armée de Défense de la Birmanie [8]. Les révoltes armées surviennent lors du début de la Seconde Guerre mondiale avec le Japon qui avait comme slogan : « l’Asie aux asiatique » [9]. En 1941, les Japonais, épaulés par l’Armée de Libération birmane conduite par Aung San, repoussent les Britanniques auxquels seules les minorités restaient fidèles. Cependant, la dureté de l’occupation par l’armée japonaise, qui ne tolère qu’un gouvernement birman fantoche, retourne rapidement l’opinion birmane. Aung San prend contact avec les britaniques et en 1945 tout le pays se soulève aboutissant à la libération de la Birmanie. Aung San devient le chef d’un front populaire comprenant toutes les minortiés. : The Anti-Facist People’s Freedom League (AFPL) [10]. Ainsi, il réussi à unir les différentes ethnies par la lutte nationaliste.
En même temps, les anglais reprennent Rangoon, capitale de la colonie. Après une période de négociations serrées, marquées par des grèves qui paralysent tout le pays, les britanniques admettent le principe de l’indépendance de la Birmanie [11]. En 1947, un accord est signé avec la Grande-Bretagne mais les nombreux peuples et ethnies habitant la Birmanie ont de grandes difficultés à s’unir. Le général Aung San réussi à créer un État unitaire rassemblant toutes les nationalités de la Birmanie, dans lequel les minorités acceptèrent de s’intégrer. Ainsi, l’union réussit toutefois à se faire au moyen d’une fédération d’États représentant un très grand nombre d’ethnies différentes et l’indépendance est proclamée le 4 janvier 1948 [12]. Cependant, le processus nationaliste va être freiné par une profonde division politique entraînant l’instabilité de la Birmanie et l’émergence de structures politiques maximalistes. Les premières années d’existence de la nouvelle nation s’avèrent particulièrement difficiles : Aung San est assassiné; les exportations de riz tombent au plus bas ; des minorités, notamment les Karens chrétiens du nord-ouest et les musulmans du sud, tentent de se séparer du pouvoir central. Et, dans les montagnes frontalières de la Chine, la culture illicite du pavot s’épanouit dans le Triangle d’Or [13].
L’indépendance acquise, les forces politiques, sociales et religieuses, les intérêts économiques, les minorités ethniques, vont-ils reprendre leurs droits ? Les chefs nationalistes ont acquis un grand prestige dans le combat nationaliste, et exercent maintenant le pouvoir. Après l’indépendance le pays marqué par l’instabilité est régulièrement en proie à des troubles, des rébellions, des émeutes, des mutineries de la part des nombreuses minorités ethniques et, le gouvernement se trouve presque dans l’incapacité d’exercer son pouvoir. Les luttes armées les plus importantes sont celles des communistes, de l’Organisation des Volontaires du Peuple (PVO) et des Karens qui s’opposent au pouvoir central du gouvernement birman. Puis, en 1962, le général Ne Win procède à un coup d’État militaire et engage le pays dans des réformes socialistes à marche forcée. La jeune nation birmane devient une dictature militaire. C’est le régime du parti unique, le Burmese Socialist Program Party (BSPP), qui ne tardera pas à éliminer toute forme d’opposition politique [14].
Bibliographie
[1] RICHER, Philippe (1981), L’Asie du Sud-Est : Indépendance et communismes, Paris, Collection Notre Siècle, p. 25-182.
[2] idem.
[3] idem.
[4] LUBEIGT, Guy (1975), La Birmanie, Paris, Presses Universitaires de France, p. 49-57.
[5] idem.
[6] idem.
[7] RICHER, Philippe (1981), L’Asie du Sud-Est : Indépendance et communismes, Paris, Collection Notre Siècle, p. 25-182.
[8] idem.
[9] DASSÉ, Martial (1993), Les Guérillas en Asie du Sud-Est : les stratégies de la guerre asiatique, Paris, l’Harmattan, p. 26-186
[10] idem.
[11] RICHER, Philippe (1981), L’Asie du Sud-Est : Indépendance et communismes, Paris, Collection Notre Siècle, p. 25-182.
[12] idem.
[13] idem.
[14] idem.
Parti Communiste (PCB).
Général Aung San.