Par Ève Lortie-Fournier
La présence des Chinois aux Philippines a été tout aussi dérangeante et utile qu’en Thaïlande. Par contre, les périodes de rejet et d’acceptation sont différentes à la Thaïlande. Les relations entre les Philippins et les Chinois peuvent être analysées à travers cinq phases : exclusion entre 1570 et 1750, acceptation de 1750 à 1850, exclusion de 1850 à 1930, exclusion artificielle entre 1930 et 1975 et acceptation de 1975 à aujourd’hui (Pan 2000).
La première phase est caractérisée par des préjugés. Les Philippins considèrent les Chinois comme des individus méprisables. Cette idée est prise des colonisateurs espagnols établis dans le pays. Les Chinois quant à eux considéraient tous les non-Chinois comme des barbares (Pan 2000; Hedman et Sidel 2000). En 1574, cet étiquetage a mené Li-Ma-Hong à attaquer Manille avec une petite armée. Par la suite, plusieurs soulèvements chinois eurent lieu contre les colonisateurs espagnols. Ils se finirent tous en massacre (Willoquet 1961; Hedman et Sidel 2000). Ces rébellions chinoises aux Philippines sont dues à l’exclusion de la diaspora chinoise, à cette époque. En fait, la « ségrégation imposée par la loi coloniale et le lieu de leur résidence […] réglementé » 1 représente le traitement colonial envers les Sino-philippins. Le rôle économique important de ces derniers a influencé aussi l’imposition de ces lois coloniales. Ce rôle dérangeait énormément les colonisateurs espagnols et les Philippins (Hedman et Sidel 2000; Pan 2000).
La deuxième phase favorisa l’intégration de la diaspora chinoise. Cependant, en 1755 tous les non-catholiques furent expulsés. La majorité des immigrants chinois furent obligés de quitter le pays. Cette nouvelle loi coloniale favorisa l’intégration des Chinois convertis au catholicisme. En fait, la communauté chinoise avait beaucoup diminué ce qui les rendait moins effrayants auprès des colonisateurs et des Philippins. Les mestizos sont les descendants des Chinois catholiques. Ils reprirent le rôle économique important de la première phase. Par contre, ils furent mieux acceptés par les Espagnols et les Philippins. Les mestizos sont nés aux Philippines et ils ont intégré le mode de vie, les valeurs des Philippins qui ressemblent aux valeurs espagnoles. De plus, ils n’ont plus vraiment de lien avec la Chine puisqu’ils n’ont plus de famille là-bas (Pan 2000 ; Suryadinata 1980; Hedman et Sidel 2000). Alors, ils deviennent des alliés et non plus des envahisseurs.
La troisième phase s’associe à la création de deux nationalismes. Durant cette période, la population chinoise augmenta. Grâce à cela, elle reprit sa position économique dominante. Vers 1880, cette reprise ramena le sentiment antichinois des Philippins. Ils se sentaient à nouveau envahis. Cet ostracisme mena les Sino-philippins à se rassembler. Les organismes qui s’occupent des affaires chinoises et de la négociation avec le gouvernement philippin furent renforcés. De plus, les Sino-philippins se sont tournés vers la Chine. En fait, ils se sont ralliés avec le nationalisme chinois (Pan 2000). Au même moment, un nationalisme philippin prit naissance grâce à José Rizal. Les Philippins tentent de créer une identité qui leur est propre. Ils mettent en forme ce mouvement nationaliste à travers les écoles, donc ils forment la jeunesse à l’image de la nouvelle nation. Après s’être battus pour leurs droits, en 1897, les Philippins ont obtenu l’égalité de certains droits avec les Espagnols (Suryadinata 1980). Finalement, ce désir de créer une nation philippine mène à nouveau à une exclusion des Chinois.
La quatrième phase est représentée par une exclusion artificielle des Chinois entre 1930 et 1975. Cette exclusion artificielle s’explique par des lois ségrégationnistes. Elles font en sorte que les enfants nés d’un père chinois ne soient plus considérés comme des Philippins. Les mestizos qui avaient acquis la citoyenneté philippine l’ont perdu à la suite de l’imposition de cette loi (Pan 2000). Pourtant, les Chinois conservent leur rôle économique et ils ne sont pas chassés du pays. Ces lois sont créées durant la plus forte période de nationalisme philippin. De plus, un mouvement communiste chinois aux Philippines prend racine. Ce mouvement favorisera l’arrivée massive d’immigrants chinois légaux ou illégaux. Le regroupement de milliers de Chinois est nécessaire pour mettre en place le communisme. Il s’agit de la raison de l’appui de la part du Parti communiste chinois (PKP) pour une immigration chinoise plus grande. Le soulèvement communiste des Sino-philippins s’explique par l’arrivée des Japonais dans le pays. Les tensions entre la Chine et le Japon, expliquées dans mon blogue précédent sur la Thaïlande et la diaspora chinoise, sont aussi ressenties au travers des relations entre les Chinois et les Philippins (Van der Kroef 1967).
Depuis 1975, l’intégration des Chinois aux Philippines s’est réalisée. Cette intégration est en partie attribuable aux deux constitutions promulguées en 1973 et 1987. En fait, elles ont permis aux Sino-philippins nés dans le pays d’obtenir leur citoyenneté. Ainsi, la quasi-totalité des Chinois résidant aux Philippines en sont des citoyens (Pan 2000; Suryadinata 1987). De plus, les écoles sino-philippines ont été transformées en écoles philippines et le gouvernement a instauré une langue commune. Ces transformations sont réalisées pour que les Philippines soient une nation basée sur la culture et non pas sur l’ethnie. Ce nationaliste permet aux Sino-philippins de s’intégrer sans que les Philippins se sentent envahis (Suryadinata 1987).
En 2000, la Chine a proposé à plusieurs pays de l’Asie du Sud-Est, dont les Philippines, de faire partie de la zone de libre-échange Chine- ASEAN (CAFTA). Cependant, les Philippines et trois autres pays ont demandé un délai avant de le signer officiellement. Le délai concerne la révision de tous les produits de la liste de produits exportables (Hongfang 2006). Ce recul de la part des Philippines peut-il être considéré comme une crainte des Philippins d’être envahie par la Chine ? Pourra-t-elle engendrer à nouveau l’exclusion des Sino-philippins ?
Référence
1 Lynn Pan, dir. Encyclopédie de la diaspora chinoise (Paris : Les Éditions du Pacifique, 2000).
Bibliographie
Hedman, Eva-Lotta E. et John T. Sidel. 2000. Philippine politics and society in the twentieth Century: Colonial legacies, post-colonial trajectories. London: Routledge.
Hongfang, Shen. 2006. The Building of the China-ASEAN Free Trade Area: A Case Study of the Philippines’ Perspectives. En ligne. http://chr.sagepub.com/cgi/content/abstract/42/3/269 (Page consultée le 17 octobre 2009).
Pan, Lynn, dir. 2000. Encyclopédie de la diaspora chinoise. Paris : Les Éditions du Pacifique.
Suryadinata, Leo. 1987. «Ethnic Chinese in Southeast Asia: Problems and Prospects». Journal of
International Affairs 41: 135-151.
Van Der Kroef, Justus M. 1967. Communism and the Chinese. En ligne. http://www.jstor.org/ stable/pdfplus/651865.pdf (Page consultée le 17 octobre 2009).
Willoquet, Gaston. 1961. Histoire des Philippines. Paris : Presses Universitaire de France.