Par M’hammed Kilito
La longue dictature de M. Ferdinand Marcos a pris fin en 1986 grâce à l’engouement du peuple à travers l’organisation d’une révolte non-violente plus connue sous le non d’EDSA 1 (ou People Power Revolution). Cependant, le renversement du régime de Marcos a très souvent été attribué qu’au seul pouvoir du peuple alors que cette révolte n’aurait pas pu avoir lieu et encore moins réussir si les cadres économique et politique n’y étaient pas favorables. La mobilisation de la population doit énormément à l’appui d’éléments influents comme l’Église Catholique et une partie de l’élite économique et militaire sans oublier le feu vert et l’encouragement de l’administration Reagan.
La mobilisation du pouvoir du peuple était grandement facilitée par le soutien de l’Église Catholique. Des cardinaux de l’Église se sont clairement opposés à la dictature de Marcos dès le début de son régime. La politique générale de l’Église vis-à-vis de Marcos était une collaboration critique, qui avant 1983 était même plus collaborative que critique (Thompson 1995,118). Cependant, après l’assassinat du sénateur Benigno Aquino Jr en août 1983, l’Église s’est opposée à Marcos et a fait pencher la balance dans une déclaration où elle dénonçait les fraudes et les violences auxquelles s’était livré le dictateur. C’est ainsi, suite à la Conférence des Évêques philippins que l’Église Catholique se ralliait à la campagne de désobéissance civile.
Au début des années 1980, une grande partie des hommes d’affaires commencèrent à apporter leur soutien à la mobilisation du pouvoir du peuple. À la base, les hommes d’affaires bénéficiaient de l’imposition sous la loi martiale. L’ordre politique, le contrôle des syndicats, les investissements étrangers et la croissance économique étaient tous des raisons valables pour qu’ils soient derrière le régime de Marcos. Néanmoins, une partie des hommes d’affaires ont réorienté leur position par rapport au régime à cause de la corruption et l’émergence d’une nouvelle élite économique promue par le couple Marcos. Cette nouvelle élite était composée de la famille et des proches du couple Marcos qui se sont vus du jour au lendemain à la tête de grandes sociétés d’État. L’enrichissement de cette nouvelle élite d’hommes d’affaires a augmenté l’hostilité de l’ancienne élite économique et l’a mobilisé à son tour contre le régime.
Sur le plan économique, l’assassinat du sénateur Aquino va avoir une double conséquence : la perte de confiance dans le pays qui s’est traduit par une fuite massive de capitaux et l’apparition d’un large front d’opposition comprenant désormais l’ancienne oligarchie comme on l’a vu plus haut. L’économie était dans une chute libre. Pendant l’année 1983, le Peso avait perdu près de 40% de sa valeur par rapport à la devise américaine, le déficit de la balance des paiements avait pulvérisé un record, dépassant largement les deux milliards de dollars (Mangin 1993, 189). À partir de là, des manifestations hebdomadaires commençaient à avoir lieu au district des affaires du Metro Manilla. Sans le support de l’Église et des capitalistes, le régime tenait grâce aux militaires et au support des États-Unis.
L’assassinat de Benigno Aquino marquera aussi un tournant crucial en ce qui concerne le rôle des Américains dans la politique interne philippine. Le département d’État et des membres du Congress voulaient éviter une révolution antiaméricaine comme ce qui venait de se produire en Iran et au Nicaragua (Schock 1999, 363). La répression des communistes et de l’opposition démocratique a obligé cette faction du gouvernement américain qui est devenu anti-Marcos à se distancer de la politique de l’administration Reagan qui soutenait encore Marcos. Dans un effort en vue d’endiguer la popularité croissante de la NPA et de construire une opposition démocratique, la faction anti-Marcos aux États-Unis a fourni un support clef au mouvement du pouvoir du peuple et au Mouvement de Reformes de l’Armée (RAM). Une fois Reagan convaincu par la faction anti-Marcos, il retirera son soutien au dictateur. Ce dernier ne pouvant plus diriger le pays à cause de la perte du support précieux de l’Église Catholique et d’une partie de l’oligarchie. Le coup fatal viendra du gouvernement américain qui encouragera la RAM et le Général Ramos à se rebeller, leur assurant qu’aucune opération militaire ne sera engagée pour soutenir Marcos.
—
Références
Mangin, Marc. 1993. Les Philippines. Paris : Karthala.
Schock, Kurt. 1999. « People Power and Political Opportunities: Social Movement Mobilization and Outcomes in the Philippines and Burma ». Social Problems 46 (no 3) : 355-375.
Thompson, Mark R. 1995. The Anti-Marcos Struggle: Personalistic Rule and Democratic Transition in the Philippines. New Haven, Conn: Yale University Press.