La culture militariste en Thaïlande

Par Marie-Anitha Jaotody

Notre imaginaire nous amène souvent à avoir une certaine perception d’une population ou d’une autre. La construction de cet imaginaire peut aussi provenir de l’image que veut projeter le pays ou la population en question. La Thaïlande illustre bien cette idée-là parce que selon certains intellectuels, la société thaïlandaise qui se veut pacifique et posée selon leur passé, est en fait profondément violente et militarisée.

Le principal défi pour de nombreux pays en Asie est la construction d’une nation et de garantir par la suite l’unité nationale contre les mouvements indépendantistes. La Thaïlande ne fait pas exception à cette règle parce que la construction nationale thaïe passe par la constitution d’une mémoire collective et d’une certaine vision de la Thaïlande. Cette entreprise n’est pas mal en soi, elle est même très importante pour la construction d’une identité nationale, mais celle-ci devient problématique lorsque la mémoire devient sélective, c’est-à-dire que l’on choisit ce dont on veut se souvenir et taire (ou effacer) les épisodes douteux. C’est sur cette base que se construit l’identité nationale thaïe et par conséquent, ceux-ci se perçoivent alors comme étant pacifiques et calmes. L’aspect militarisé et violent de la société thaï est définitivement effacé de la pensée collective [1]. En effet, l’histoire de la Thaïlande est marquée par de nombreux massacres de population, mais ce genre d’événement est (volontairement ou involontairement?) retiré de la mémoire collective. En exemple, on peut citer le massacre de 40 personnes supposées communistes et anti-monarchistes en 1976 [2] ou encore celui de 85 manifestants en octobre 1978. L’armée joue un rôle primordial dans ces massacres de population considérée comme des anti-thaïs. Sous le régime du colonel Sarit, les militaires occupent des postes importants et l’armée est un des acteurs clés de la vie politique thaïe avec la bureaucratie et la monarchie. La place qu’elle occupe est inégalée dans les années 70 et les différentes séries de tentatives de coup d’État [3] durant cette époque (1976-1977-etc) nous le démontrent [4]. Cependant,  les régimes militaires sont tombés en 1992 [5] suite à une révolte populaire, mais la culture thaïe reste tout de même militarisée et violente [6]. Ceci révèle une « originalité » dans le militarisme en Thaïlande.

Le plus intéressant dans le militarisme en Thaïlande est que celui-ci ne se limite pas à la présence des militaires dans la vie politique ou le rôle central qu’ils jouent dans le contrôle de la population. Elle est désormais ancrée dans la mentalité des gens et bien au-delà du militarisme, la violence l’est aussi [7]. Une culture militarisée est définie comme étant une culture où l’on croit que le plus haut dirigeant peut user de la violence en toute circonstance, la violence est également considérée comme la seule issue possible à un différend, l’obéissance à la plus haute autorité est encouragée pour le bien commun [8]. Certains intellectuels avancent donc que la violence est innée à la culture thaïe à cause du manque de dialogue entre les personnes et la perception des critiques de la haute autorité comme étant antithaïe. Les gens exorciseraient donc leur frustration dans l’exercice de la violence [9]. Plusieurs éléments démontrent cette idée selon laquelle la violence est acceptée et voire même glorifiée dans certains cas. La violence des parents envers les enfants ou celle des hommes envers leur femme est tolérée. La violence de l’État envers ses citoyens suit cette logique et est tolérée par conséquent. Les conquêtes armées des royaumes voisins sont glorifiées et sont enseignées dans les écoles afin d’inculquer cette culture dès le plus jeune âge. Enfin, les massacres de dissidents sont justifiés par la population, car ceux qui expriment une opinion contraire à celle qu’a édictée la haute autorité (donc celle partagée par la majorité) sont des fauteurs de trouble qui perturbent l’ordre social.

Le militarisme en Thaïlande se différencie des autres types de militarisme puisqu’il fait partie intégrante de la culture et est considéré comme une norme. Les points communs avec les autres régimes de la région sont plus évidents : la décolonisation expose les divisions internes et un régime fort est mis en place afin de maintenir le territoire uni.

Références

[1] Rojanaphruk, Pravit. 2005. « Hidden Dimensions of « Thainess » : Violence and Militarism in the Culture and Politcs ». Dans Asian Exchange 20 n°2. pp 286-299.
[2] Youtube. En ligne. October 1976.  (page consultée de 30juin 2008).
[3] Youtube. En ligne. CNN interview ousted Thai PM Thaksin Shinawatra.  (page consultée de 30 juin 2008)
[4] Anderson, Benedict. 1998. «  Murder and progress in modern Siam ». Dans The spectre of comparisons : Nationalism, south East Asia and the world. London : Verso. pp 174-191.
[5] Youtube. En ligne. Thailand-1992-blutige Demonstration  (page consultée le 30 juin 2008)
[6] Rojanaphruk, Pravit. 2005. « Hidden Dimensions of « Thainess » : Violence and Militarism in the Culture and Politcs ». Dans Asian Exchange 20 n°2. pp 286-299.
[7] Idem.
[8] Bowie, A.K. 1997. Rituals of National Loyalty : an Anthropology of the State and the Village Scout mouvement in Thailand. New York : Columbia University Press.
[9] Idem.

Lien pour marque-pages : Permaliens.

Les commentaires sont fermés