Par Emmanuel Leroux-Nega
La construction de l’identité nationale malaisienne s’est faite dans un axe « soi » versus l’« autre » introduit par le régime britannique lors de la colonisation. Le « soi » étant les Malais musulmans et l’« autre » étant les populeuses communautés chinoises et indiennes. Or, les Oran Asli, communautés aborigènes malaisiennes vivant principalement dans des régions reculées, ne peuvent être incluses dans aucune des ces définitions. Leurs origines profondément malaisiennes ainsi que leur culture et religion spécifiques, les différencient des deux groupes. Ainsi, leur existence entraîne une tension identitaire chez les Malais qui ne peuvent les catégoriser comme « autres » tout en ne parvenant pas à les associer au « soi ». L’État malais, tout en entretenant et institutionnalisant les différences ethniques, vise l’intégration, voire l’assimilation des communautés Orang Aslis à l’ethnie malaise.
Historiquement, la Fédération de la Malaisie ou Malaysia s’est construite ethniquement et religieusement en plusieurs étapes. Les communautés formant aujourd’hui les Orang Aslis, se sont installées sur le territoire il y a environ 8000 ans [1]. Elles se divisent principalement en trois groupes que sont les Senoi, Negrito et Proto-Malay. Sont ensuite arrivés, avec les royaumes hindous et islamiques successifs, les habitants formant la communauté malaise actuelle. Les fortes communautés chinoises et indiennes de la Malaisie ont quant à elles été principalement importées par l’Empire colonial britannique pour travailler ou administrer.
Asianinfo. Malaysia’s History and Background. En ligne. Page consultée le 13 juin 2008.
Dans son type d’administration coloniale, l’Empire britannique s’est toujours adressé aux communautés malaisiennes en tant que non-Britanniques donc en tant qu’« autres ». Les Malaisiens ont reproduit ce modèle lors de leur ascension à l’indépendance. Ils se sont proclamés indigènes et véritables propriétaires du territoire malais et ont défini les communautés chinoises et indiennes comme des « autres » venant d’ailleurs [2]. L’État malais a été un acteur important de la construction de l’identité nationale malaise et des séparations raciales caractérisant la société malaise. La constitution, établie en 1957, accorde des privilèges particuliers aux Malais et fait de la promotion de cette communauté une de ses principales priorités.
Ce n’est pas tant autour d’aspects raciaux ou historiques que s’est forgée l’identité nationale malaisienne. C’est une « combinaison de pratiques sociales et religieuses » [3] d’origines dites bumitura, c’est-à-dire d’ethnie malaise et de religion musulmane, qui a formé le noyau de la définition de l’identité nationale. [4] Techniquement, les Orang Aslis sont inclus dans la définition du terme bumitura, principalement pour en renforcer le pouvoir du nombre, mais dans les faits ceux-ci sont très peu considérés dans l’usage commun du terme.
Avec les Orang Aslis, ils trouvent devant eux des communautés dont les caractéristiques indigènes pré datent les leurs. Ces communautés sont fort différentes, ethniquement et religieusement (pour la plupart animistes) de la leur. Cela provoque chez eux une forte anxiété identitaire d’où un désir d’assimiler ces communautés à la leur [5].
Afin de résoudre la « situation » des aborigènes, le « Département des aborigènes ». est créé . Officiellement, celui-ci doit œuvrer à l’épanouissement socio-économique et à la protection des communautés Orang Aslis. Dans les faits, c’est plutôt le contraire. Les programmes officiels du département visent l’amenuisement des différences entre les Malais et les Orang Aslis [6] et l’intégration de ces derniers à la société malaise. Une des politiques du département est de favoriser et d’encourager l’islamisation des Orang Aslis [7]. Les communautés indigènes doivent donc se battre contre le département censé les protéger afin de sauvegarder leur identité.
Les Malais ont traditionnellement considéré les aborigènes comme inférieurs et dépendants de leur pouvoir [8]. Par conséquent, la sauvegarde de leur mode de vie n’a jamais été une préoccupation nationale importante. Historiquement, leur territoire ne leur a même jamais été reconnu comme leur. Ils l’occupent depuis toujours sans le posséder. Ainsi depuis la fin du 19e siècle, les terres qu’ils occupaient ont progressivement été vendues à des intérêts autres. Malgré le fait que ces communautés soient aujourd’hui gérées par le « Département des aborigènes » la situation n’a pas beaucoup changé. La sauvegarde du mode de vie des Orang Aslis est régulièrement mise derrière les intérêts économiques. La situation du barrage de Kelau en est un bel exemple. Au nom du développement, les Orang Aslis sont régulièrement poussés plus loin et voient ainsi leur habitat rétrécir à vue d’œil. Or, l’identité Orang Asli est fondamentalement associée à leur mode de vie. Et celui-ci est lié à l’exploitation de leur territoire. Les Orang Aslis déportés dans les villes perdent rapidement leurs repères identitaires et finissent régulièrement pas s’assimiler à la communauté malaise. D’où l’importance pour ces groupes indigènes de sauvegarder leur territoire.
Malgré un certain éveil d’une petite classe instruite, les Orang Aslis demeurent pour la plupart apolitiques. Peu organisés et instruits, ils ont beaucoup de difficultés à défendre leur cause et à prendre part aux débats politiques. Pourtant, leur avenir en tant que communautés distinctes dépend fortement de leur capacité à défendre leurs intérêts aux niveaux nationaux et internationaux.
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Distribution des sous-groupes Orang Asli
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Références
[1] Malaysia. Orang Asli. En ligne. Page consultée le 13 juin 2008.
[2] Nah, Alice M. 2003. «Negotiating indigenous identity in postcolonial Malaysia: beyond being ‘not quite/not Malay’». Social Identities, 9:4, 511 – 534.
[3] Ibid.
[4] Balasubramaniam, Vejai. 2007. A Divided Nation: Malay Political Dominance, Bumiputera Material Advancement and National Identity in Malaysia. National Identities, 9:1, 35 — 48.
[5] Nah, Alice M. 2003. Negotiating indigenous identity in postcolonial Malaysia: beyond being ‘not quite/not Malay ». Social Identities, 9:4, 511 — 534.
[6] Ibid.
[7] Means, Gordon P. 1986. The Orang Asli: Aboriginal Policies in Malaysia. Pacific Affairs, Vol. 58, No. 4, (Hiver, 1985-1986), p. 637-652.
[8] Ibid.