Justice et sécurité pour les femmes autochtones

Par Catherine Richardson Kinewesquao et Janie Dolan-Cake

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Richardson

Photo de Jeannine Carrière

Au Canada, de nombreuses femmes autochtones ont été et sont toujours maltraitées, violées et tuées. Selon Amnistie Internationale, on compte 1 017 femmes et filles assassinées entre 1980 et 2012, un taux de féminicides 4,5 fois plus élevé que celui des autres femmes au Canada.[1] On sait que les chiffres sont plus élevés quand on inclut le nombre de femmes autochtones disparues, car de nombreux meurtres ne sont jamais rapportés aux autorités.

Pour bien saisir la situation, il faut mettre en lumière la violence du colonialisme au Canada, particulièrement à l’époque de l’enlèvement de milliers d’enfants autochtones, enfermés dans des pensionnats dirigés par des religieux. Ces enfants ont été brutalement enlevés à leur famille, à leur communauté, éloignés de leurs valeurs, de leur spiritualité et de leur langue. De plus, l’implantation d’un modèle de gouvernement européen de type patriarcal a complètement changé les façons de faire des peuples autochtones qui avaient leurs propres moyens de choisir les chefs de la communauté. Ainsi, ce modèle colonial a complètement détruit un ordre établi, transformant souvent en pouvoir patriarcal un pouvoir qui était autrefois matriarcal dans plusieurs communautés autochtones. Les femmes autochtones sont alors devenues les proies des hommes. Par ailleurs, lorsque l’état colonial a commencé à attaquer les autochtones et à leur enlever leurs terres, symbole d’un enracinement profond, d’une culture, d’un pouvoir spirituel, il s’en est pris au bien-être et au pouvoir de tous les autochtones, mais particulièrement à ceux des femmes.

 

Aujourd’hui, nous devons faire le parallèle entre le passé et le présent, entre la violence coloniale et la violence faites aux femmes. Nous pouvons d’ailleurs remarquer des similitudes dans le langage employé. Par exemple, on parle en anglais de settlement, il s’agit en fait d’un euphémisme pour le vol des terres autochtones par les Européens et l’argent donné à une victime d’un crime en échange de son silence. Dans un même ordre d’idées, si une femme est victime de harcèlement dans son milieu de travail et qu’elle décide de se plaindre à ses supérieurs, elle sera qualifiée de whistleblower (dénonciatrice). On lui offrira souvent une somme d’argent afin d’enterrer l’affaire et d’acheter encore une fois son silence. Par le fait même, il s’agit d’exemples qui illustrent très bien l’impunité dont jouissent les agresseurs grâce aux structures au pouvoir qui soutiennent les agresseurs et le statu quo.

 

En effet, au Canada, il existe une culture d’impunité face aux agresseurs qui commettent des actes violents envers les femmes autochtones. L’inaction de la part des autorités et du gouvernement fédéral indique qu’il y a peu de protection pour les femmes dans de telles conditions de vulnérabilité. Bien qu’un tiers des femmes au Canada soient agressées sexuellement dans leur vie, moins d’un pour cent des hommes agresseurs reçoivent une sentence. (Buchwald, Fletcher and Roth 2004; Reynolds 2014).

 

Ainsi, tous les faits mentionnés ci-haut constituent des formes de violence structurelle. Un grand nombre de personnes souffrent de ce type de violence au Canada tandis que d’autres en tirent profit grâce aux ressources obtenues illégalement au détriment d’autrui. Le racisme, les inégalités et le manque de reconnaissance que les autochtones vivent au quotidien les minent. Encore aujourd’hui, les autochtones sont vus comme des enfants en vertu de la loi. L’État utilise la dépossession des terres, l’isolement et la séparation de tout ce qui est important et sacré comme stratégies de violence envers les peuples autochtones. D’ailleurs, même après les leçons de la rafle des années soixante, où des milliers d’enfants autochtones ont été arrachés à leurs familles et envoyés dans des familles blanches, il y a encore, et plus que jamais, des enfants autochtones retirés de leur famille et « envoyés » dans le système de la protection de la jeunesse.

 

Qu’est-ce que la violence politique ?

On peut dire que la violence politique permet d’atteindre certains buts politiques. Ainsi, la police et les forces de l’ordre exercent un pouvoir autonome conduisant parfois à des actes illégaux. Par exemple, le viol des femmes dans le contexte de guerre n’est pas légal, or il n’y a aucun organisme qui en fait la surveillance. Par le fait même, les atrocités vécues par les enfants autochtones dans les pensionnats n’étaient pas ouvertement exigées par l’État, mais l’État n’y mettait pas un frein non plus. Les adultes (prêtres, religieuses, administrateurs) qui ont blessé les enfants n’étaient d’ailleurs ni soumis aux lois du pays, ni punis.

 

Dans ce même ordre d’idées, la délocalisation des communautés autochtones est un moyen pour exploiter leurs terres (p. ex. : l’exploitation de gaz, des mines, de l’uranium, des métaux, des arbres…) Les entreprises tentent de démontrer qu’une certaine région n’est plus habitée ou que les individus qui y habitent ne peuvent pas la gérer afin de rendre plus acceptable l’exploitation des ressources. De plus, en maintenant la population autochtone dans un état de pauvreté, il est plus facile pour ces entreprises d’obtenir l’accord des communautés autochtones malgré les conséquences dévastatrices de leurs actions sur la Terre et sur la hausse des niveaux de gaz à effet de serre. Ces communautés autochtones sont donc divisées face à cette entrée sournoise du capitalisme dans leurs vies. Souvent, les hommes et femmes-médecines, ceremonialists, guérisseur (e)s et traditionalistes sont davantage en faveur de la protection de la nature plutôt que de la promotion de l’industrie moderne. Par le fait même, cette façon de faire est très paternaliste ; on prend les enfants, on introduit l’alcool, on tire profit de leur souffrance, on restreint leurs droits et on les traite comme des enfants malades pour qui nous devons prendre les décisions. Ainsi l’enlèvement des enfants et la violence envers les femmes font partie d’une stratégie plus large de destruction et de déstabilisation des communautés autochtones.

La « gestion » des peuples autochtones est devenue une grande entreprise au Canada. La plupart des professionnels allochtones (ou non autochtones) gagnent beaucoup d’argent en exploitant cette souffrance.

http://www.globalresearch.ca/canadas-first-nations-a-history-of-resistance/5318199

 

Ainsi, il y a un aspect important qui consiste à maintenir les femmes autochtones dans une « classe inférieure », dans la pauvreté, en les excluant économiquement et en les éloignant de travaux bien payés et qui respectent la dignité humaine. Ainsi, elles débutent souvent dans le monde de la prostitution en vendant leurs corps pour un peu d’argent. Certains hommes, dans ce monde patriarcal et capitaliste, profitent de ce système d’exploitation. Par le fait même, des femmes autochtones deviennent des cibles pour de nombreux actes de violence et d’humiliation. Puis, la roue continue de tourner et après avoir vécu différentes situations de violence, certaines femmes deviennent les « clientes » d’un système professionnel dont font partie les travailleurs sociaux, la protection de l’enfance, les thérapeutes, les bureaucrates, les juges, les avocats, les prisons… Elles font encore partie d’un système qui profite de leur peine. Plusieurs avocats sont devenus « millionnaires » grâce à leur travail sur le Common Experience Payment (paiement d’expérience commune : indemnités du gouvernement fédéral en guise de reconnaissance des conséquences néfastes des pensionnats autochtones), encore une fois basé sur la souffrance des autochtones qui ont été violés durant l’enfance dans les institutions gouvernementales et religieuses. Tous ces éléments le prouvent, c’est une industrie basée sur l’idée que les autochtones ne sont pas en mesure de gérer leur propre vie et leurs propres communautés. Or, pour faire en sorte que ces individus ne soient plus en mesure d’agir, on doit les blesser, les diagnostiquer et les contrôler sur les plans médical et psychiatrique. Nous sommes donc bien loin des changements structurels nécessaires pour atteindre l’égalité, rétablir la dignité et réparer les crimes commis contre l’humanité sur la terre de nos aïeux.

 

The Highway of Tears

Par ailleurs, une autoroute dans le nord de Colombie-Britannique, entre Prince George et Prince Rupert est dorénavant appelée The Highway of Tears (l’Autoroute des larmes). C’est ainsi qu’un journaliste, Martin Fricker, a tristement surnommé cette autoroute de 720 km, puisqu’au moins 40 femmes l’ayant emprunté ont disparu ou ont été tuées entre 1969 et 2011. Souvent, les femmes qui quittent leur communauté pour chercher une meilleure vie se retrouvent exposées aux risques de la route. C’est certainement terrible pour les familles de ces femmes. Est-ce que c’est un tueur en série ? Des chauffeurs de camion ? On ne le sait pas ou du moins, on ne le révèle pas à la population. http://www.highwayoftears.ca/

 

À l’opposé, au Yukon, la Gendarmerie royale (GRC) a mis sur pied une division où des enquêteurs travaillent sur tous les dossiers en lien avec la violence domestique et la disparition des femmes autochtones. Dans ce service, on s’est même penché sur des cas anciens pour tenter de trouver de nouveaux renseignements. C’est donc un développement important au Canada.

 

Les familles

Or, que peut-on dire ou offrir aux familles qui ont perdu leurs enfants, leurs filles ? Bien que les morts ne soient plus avec nous, la souffrance des familles persiste, surtout face à ces injustices. On voit des centaines d’histoires semblables à celle de Pamela George, où le juge a libéré ses deux agresseurs sans prononcer de peine. Ces réponses sociales négatives amènent une grande souffrance qui fait augmenter les taux de dépression et les tentatives de suicide. (Andrews & Brewin, 1990; Andrews, Brewin & Rose, 2003).

 

La souffrance des familles – les réponses sociales

 

À cet effet, une recherche assez récente nous démontre l’importance des réponses sociales envers les victimes et leurs proches à la suite d’actes de violence ou face à l’adversité. Néanmoins, la plupart des victimes soulignent qu’elles ont reçu des réponses négatives quand elles ont dénoncé des situations de violence. Les médias font d’ailleurs des reportages où les femmes assassinées ou disparues ne sont pas mises en valeur, elles sont plutôt étiquetées comme étant des prostituées même si cette partie de leur vie a été engendrée par une société injuste. Les victimes sont blâmées tandis que les agresseurs sont souvent présentés comme des hommes respectables qui ont commis une erreur. Quelle horreur pour les femmes qui sont soumises à ces mauvaises représentations de leurs filles et des hommes qui ont commis une telle violence ! D’ailleurs, le discours colonial soutient les images et les stéréotypes qui présentent les autochtones comme des gens brisés qui se placent volontairement dans de mauvaises situations et prennent de mauvaises décisions.

 

Et au Mexique…

Malheureusement, la situation canadienne n’est pas unique. Les femmes mexicaines, et particulièrement les femmes autochtones, vivent tous les jours dans la peur de se faire violer, maltraiter ou tuer et encore une fois, l’impunité envers les agresseurs règne. Souvenons-nous des centaines de meurtres de femmes à Ciudad Juárez qui sont restés très longtemps dans l’ombre des intérêts politiques. En fait, ces meurtres sont des féminicides. C’est d’ailleurs la chercheuse et féministe mexicaine Marcela Lagarde qui a popularisé ce terme en Amérique latine au début des années 2000 afin de définir « les meurtres en série de jeunes filles dans la ville frontalière de Juárez » (Andino, 2012 et Devineau, 2012). Avant l’arrivée de l’anthropologue, on attribuait à ces meurtres de femmes toutes sortes de significations ; crimes sataniques, vendettas de cartels, etc. Les politiciens du pays allaient jusqu’à pointer du doigt les femmes comme étant responsables de ce qui leur arrivait à cause de leur habillement (Valle-Frajer, 2015). De nos jours, l’idée que « le genre est un facteur prépondérant dans certains homicides de femmes est devenue l’un des fers de lance des stratégies des organisations et des mouvements qui dénoncent les violences à l’encontre des femmes en Amérique latine » (Devineau, 2012). Cette lutte à la reconnaissance du féminicide par les féministes, les médias internationaux, les instances internationales telles que l’ONU a fait en sorte que le Mexique s’est doté d’une « loi générale d’accès des femmes à une vie sans violence ». Or, l’impunité fait toujours loi sur le terrain. Il reste donc encore beaucoup à faire dans cette lutte contre la violence faite aux femmes et particulièrement la violence contre les femmes autochtones.

 

Conclusion

 

Somme toute, nous gardons espoir, mais jusqu’à aujourd’hui, aucun agresseur n’a été accusé au Canada à la suite des meurtres de femmes autochtones, ce qui en dit long sur la situation. Ainsi, tant au Canada qu’au Mexique, nous pouvons constater la violence que subissent encore les femmes aujourd’hui et l’impunité dont bénéficient les agresseurs. Le langage utilisé est un jeu politique où l’on tente de minimiser la réalité de cette violence et où l’on tente de faire porter le chapeau aux femmes. Il faut dénoncer de telles situations pour qu’enfin, nous puissions rendre justice à ces milliers de femmes tombées dans l’oubli. Il est possible que le Canada puisse faire partie d’un organisme international pour traiter de ces enjeux, mais ce dernier doit se sentir concerné par les droits et la sécurité des femmes et particulièrement des femmes autochtones.

Septembre 2015

 

 

Catherine Richardson Kinewesquaoe est Métisse avec des ancêtres Cri, Déne et Gwichin. Sa mère est originaire de Fort Chipewyan, dans le nord de l’Alberta. Catherine est professeure en travail social à l’Université de Montréal. Elle est thérapeute et elle a beaucoup travaillé avec les communautés autochtones en Colombie-Britannique et dans le Yukon. Elle est cofondatrice de Centre for Response-Based Practice, un organisme qui aide les victimes de la violence. Elle a trois enfants et elle habite à Montréal.

 

Janie Dolan-Cake étudie à la maîtrise en travail social à l’Université de Montréal. Elle réalise présentement un stage dans le nord du Mexique, à Monterrey, auprès des femmes autochtones victimes de violence. Elle s’intéresse particulièrement à la situation des femmes d’ici et d’ailleurs et à la réalité des peuples autochtones.

 

[1] http://www.amnesty.ca/blog/missing-and-murdered-indigenous-women-and-girls-understanding-the-numbers

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