Les girlhood studies : pour donner une voix aux filles

Par Catherine Plouffe Jetté

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La jeunesse n’est plus ce qu’elle était. Avez-vous entendu parler de la nouvelle tendance dévastratrice chez les jeunes?

La jeunesse occupe une place minime dans les études sur les femmes, et les filles sont souvent absentes des études sur la jeunesse. De plus, si la recherche aborde la sexualité des filles, par exemple, ce sera généralement pour dire qu’elle est précoce (Bouchard et al., 2006) ou «hypersexualisée». On s’efforcera à démontrer que la dernière vedette à la mode n’est pas un bon exemple pour ses fans. Bien sûr, il existe de nombreux problèmes quand aux images stéréotypées des femmes dans les médias et à la sexualisation de l’espace public. Or, bien qu’on suppose les effets de cette médiatisation de la sexualité sur les jeunes, les filles plus particulièrement, rares sont les chercheur-es qui ont réellement discuté de cette question avec des adolescentes. Pire encore, on organise des événements grand public sur l’hypersexualisation sans donner la parole aux principales intéressées, ou à peine.

C’est en réponse à cette absence de la voix des filles que sont nées les girlhood studies. Dans ce texte, il sera d’abord question de définir les girlhood studies et de présenter quelques enjeux présents dans ce courant de recherche. Ensuite, la catégorie fille sera explorée. Finalement, seront explorés deux enjeux sous la lumière des girlhood studies, soit le discours sur le girl power et l’hypersexualisation.

1. Ce que sont les girlhood studies

Les girlhood studies (parfois nommées girls’ studies) sont un courant à la rencontre des études féministes et des études sur la jeunesse. Leur but est d’apporter une voix différente dans les études à propos des filles, et ce, dans une perspective de cultural studies.

Les filles sont généralement invisibilisées à la fois dans les études sur la jeunesse et dans les études sur les femmes. Lorsque la culture des filles est décortiquée, c’est souvent pour la dénoncer et pour la présenter comme dangereuse, néfaste pour les adolescentes, qui en seraient des victimes passives. On prend la parole pour elles, on souhaite les protéger de tout, même d’elles-même.


[f]eminist media scholars and social psychologists are strikingly united in their criticism on current girl cultures, identified as hypersexualized and trivial, and caused by the forces of -respectively- neoliberalism and all-pervasive marketing […]
[i]n these mostly thorough and engaging analyses, it is always girls who are considered the victim […] but never the mature feminist researcher herself who supposedly is able to recognise her own position and predicaments in neoliberalism and reflect on them
(Duits et van Zoonen 2009: 113-114, citées dans Caron 2009: 119-120)

En se prononçant au nom des jeunes filles et en affirmant connaître ce qui est bon pour elles, ces chercheures reproduisent en quelque sorte les relations de pouvoir que les women’s studies ont voulu contrer lorsque les chercheurs hommes se prononçaient au nom des femmes. Les girlhood studies souhaitent donc placer la voix des filles à l’avant-plan et ainsi dépeindre de manière réaliste leur situation plutôt que de tenter de les protéger ou de les contrôler. Il est vrai qu’il n’est pas facile de naviguer à travers les différentes visions du monde relayées par les médias, en particulier les stéréotypes sexistes et la sexualisation de l’espace public. Les girlhood studies proposent cependant de changer l’angle de recherche et de s’intéresser à la manière dont les filles arrivent à négocier et à résister à ces messages.

En ne s’intéressant que rarement aux points de vues des filles, ou encore en le discréditant parce que les filles seraient aliénées ou pas assez matures pour comprendre leur environnement toxique, on est conduit à plusieurs écueils. On sollicite rarement la participation de filles dans des événements comme des colloques ou des forums qui parlent explicitement d’elles. Étant présentées dans la recherche comme des victimes à sauver, les filles peuvent avoir l’impression de ne pas se reconnaître dans le portraitque l’on présente d’elles. De plus, cette vision se transpose dans les services qui leur sont offerts, en les réunissant sous la base d’un problème :

In today’s new gender regime, you must qualify with a badge of (dis)honor to enter a space explicitly for girls and women : battered, teen and pregnant, or anorexic. (Fine, 2004: xi-xv)

C’est tout un pari épistémologique que prennent ces chercheures, en soulevant une épineuse question :

pourquoi pensons-nous que les adultes sont plus crédibles que les enfants et les adolescents? (Caron, 2009, 13)
Pourquoi [les versions recueillies chez les filles] seraient-elles moins valides, moins pertinentes et moins importantes que celles des chercheurs, des enseignants, des parents et des experts reconnus ou autoproclamés ? (Caron, 2009, 15)

Les girlhood studies se sont principalement développées dans la littérature scientifique anglo-saxonne, mais certaines études francophones s’en inspirent, comme celles de Caroline Caron (2009). Aux États-Unis comme au Royaume-Uni, les recherches sont assez nombreuses et présentes depuis assez longtemps pour que des anthologies ou des recensions d’écrits soient publiées (comme Mazzarella et Pecora 2007; Harris 2004). L’article de Mazzarella et Pecora situe l’émergence des girlhood studies dans les années 1990, période où la recherche s’intéressait beaucoup aux filles en général, que ce soit en lien avec leur réussite scolaire, leur estime personnelle, leur image corporelle, etc. (2007: 105). Certaines études vont même jusqu’à dire, de manière implicite, que les filles sont devenues des problèmes sociaux. Les girlhood studies se sont développées principalement dans les travaux de Michelle Fine, de Carol Gilligan et d’Angela McRobbie, en opposition à ces recherches que l’on pourrait désigner par l’expression « studies of girls ». Dans leur article, Mazzarella et Pecora décrivent trois courants des girls’ studies, en lien avec les médias et la culture populaire :

(1) studies that focus on mediated representations of powerful girls; (2) studies that listen to the voices of girls themselves in an attempt to understand how they negotiate what Pipher (1994, p.12) calls a ‘‘girl poisoning culture’’; and (3) more recent work focusing on girls as active producers of culture, notably in the forms of new media (personal home pages, blogs, instant messaging, and other Internet-based content), riot grrrl and other third-wave feminist-oriented popular music, digital film making, and skater culture, to name just a few examples (Mazzarella et Pecora 2007: 106)

Les girlhood studies permettent donc d’aborder des phénomènes du point de vue de filles. En s’intéressant par exemple à la réception d’objets culturels, on permet à de nouveaux sens d’émerger, enrichissant ainsi notre compréhension du phénomène. Bettina Fritzsche (2004) a observé différentes pratiques adoptées par des fans d’un groupe pop britannique des années 1990, les Spice Girls. Si certaines pratiques sont plus « conventionnelles », comme écouter la musique, écouter les vidéoclips et lire des magazines, Fritzsche énonce d’autres pratiques comme créer son propre style à partir de photos des vedettes, élaborer de nouvelles chorégraphies et organiser des spectacles. Cette mise en action peut constituer, chez certaines filles, une source d’empowerment. Les filles ne consomment pas les objets culturels toutes de la même manière, et cette lecture peut différer de la lecture analytique que peuvent en faire des adultes chercheures universitaires, qui considéraient généralement les Spice Girls comme un outil à la solde du patriarcat. Les girlhood studies reconnaissent qu’il existe une différence entre l’interprétation littérale d’une œuvre et le sens qui lui est donné par des publics, ici les filles qui réinterprètent des objets culturels.

2. Des études sur les filles? Mais qu’est-ce que c’est, une fille?

Plusieurs chercheures se sont intéressées à l’identité « fille ». En effet, qui sont les filles dont parlent les girlhood studies? Dans l’introduction de l’ouvrage collectif All about the girl, Harris (2004) explique son choix de désigner au singulier « fille » dans son titre : c’est en quelque sorte un pied de nez aux images de filles qui semblent toutes identiques: blanche, hétérosexuelle, de classe moyenne, n’ayant pas de limitations physiques ni de problèmes particuliers, filles présentes dans les médias divers.

L’âge de la catégorie « fille » est difficile à déterminer. On associe généralement cette catégorie à l’enfance et à l’adolescence, donc avant l’âge adulte, mais les personnes désignées comme filles tendent à aller au-delà de cette tranche d’âge et les frontières peuvent être floues. En effet, Harris (2004) indique que les filles ont entre 12 et 20 ans, mais des phénomènes comme les pré-adolescentes (tweens) ou les femmes plus âgées qui adoptent des modes ou des comportements considérés adolescents contribuent à rendre la catégorie encore plus vaste. Les recherches des girlhood studies souhaitent donc entre autres offrir un portrait plus diversifié de différents types de filles et s’opposent à l’uniformisation de l’identité « fille ». Elles s’efforcent à construire et déconstruire cette identité, ce qui est davantage représentatif des filles elles-mêmes. D’ailleurs, selon Griffin, « il n’y a rien d’essentiel dans le fait d’être une fille ; ce sens est toujours produit et négocié (par nous tous, mais surtout par les filles) dans un contexte historique et politique » (2004, 29, traduction libre).

Également, l’aspect polysémique du mot « fille » est amplifié par ses différents contextes d’utilisation :

it can connote community and inclusiveness among friends (“one of the girls”, “you go, girl!”) or denote status (little girl, young girl, older girl). It is a index of age. It can also be an insult (“you throw like a girl”), condescension (“the girls at the office”), or a term of endearment. Overlapping definitions – coupled with often-contradictory meanings – illustrate that “girl” is a far more complicated word (and identity) than many acknowledge. (Jiwani et al., 2006, ix-x)

Bref, les catégories « filles » et « girlhood » seront toujours hautement contestées, rendant essentiel le fait de tenir compte de l’intersection entre le sexe, l’âge, l’origine ethnique et la classe sociale. Ces identités sont multiples et c’est cette multiplicité qui devraient intéresser les chercheures afin que leurs recherches sur la jeunesse gagnent en profondeur.

Si la représentation stéréotypée des filles et des femmes dans les médias est dommageable et constitue à ce titre un objet d’investigation légitime et nécessaire, pourquoi celle offerte dans nos travaux ne mériterait-elle pas d’être investiguée et problématisée de manière tout aussi critique? (Caron, 2009, 159-160)

3. Des enjeux soulevés par les girlhood studies

Les girlhood studies amène généralement un éclairage nouveau sur certains enjeux, puisqu’elles les explorent du point de vue des filles. Il peut être intéressant d’observer leurs apports à deux concepts souvent évoqués en lien avec les filles, soit le girl power et l’hypersexualisation.

a) Discours sur le girl power

Lorsqu’il est question de la culture des filles, on utilise fréquemment le terme « girl power », pour décrire un certain détournement du concept d’empowerment qui se substitue en tant que mode d’affirmation et de valorisation de soi (Bouchard et al. 2005 ; Descheneau-Guay, 2006 ; Lebreton, 2009). Concept né au début des années 1990 avec des groupes comme Bikini Kill et les Riot Grrrl et très associé au féminisme de 3e vague, le girl power a d’abord symbolisé l’empowerment et la prise de pouvoir des filles. On l’associe également souvent aux Spice Girls, qui ont abondamment utilisé ce terme dans les années 1990. On accuse généralement les médias d’utiliser ce concept pour renforcer les stéréotypes féminins, et ce, dans le but de valoriser la consommation et la romance hétérosexuelle. Cependant, d’autres auteures, comme Taft (2004), offrent une vision plus large du concept, qui rejoindrait à la fois cette dépolitisation, mais aussi un moyen de résistance et d’affirmation de soi, qui permettrait aux filles de se réinventer à partir des modèles existants.

Taft (2004) propose une nouvelle lecture du girl power. Si elle ne nie pas l’influence des médias dans la construction de l’identité des filles, elle précise que la situation n’est pas aussi simple que cela, c’est-à-dire que les filles peuvent, à partir de ce qui leur est proposé dans les médias, construire de nouveaux discours qui s’éloignent de la volonté marchande. Selon elle, les filles seraient en mesure de prendre ce qui leur convient dans les discours qu’on leur propose.

Ainsi, Taft a retenu quatre grands types de définitions du girl power, soit l’antiféminisme, le postféminisme, le pouvoir individuel et le pouvoir de consommation. Selon Taft, le terme girl power est contesté, et il faut être prudent dans son utilisation. Bien que ces définitions semblent dépeindre ce concept comme un élément négatif qu’il faudrait contrer, il n’en reste pas moins que ce qui importe est l’utilisation et l’appropriation qu’en font les filles elles-mêmes et les organisations travaillant auprès des filles. Taft explique qu’aujourd’hui, divers mouvements et associations se réapproprient le terme sans nécessairement se positionner comme antiféministes. Certaines organisations oeuvrant auprès des filles récupèrent le girl power afin de développer des programmes qui encouragent l’empowerment. La diabolisation de ce concept invisibilise ou même discrédite les filles et les organisations qui l’utiliseraient, pour différentes raisons, en lui apposant un sens négatif. Il pourrait donc être important de s’intéresser au girl power comme élément qui pourrait permettre aux filles de développer un pouvoir individuel et éventuellement devenir des agentes de changement social.

b) Hypersexualisation ou agentivité sexuelle ?

Le terme « hypersexualisation » est très connu au Québec comme étant un phénomène lié à l’adolescence, particulièrement aux filles, qui seraient « hypersexualisées », soit parce qu’elles adopteraient un style vestimentaire sexy ou encore qu’elles auraient une sexualité jugée précoce ou inappropriée.

L’hypersexualisation serait un phénomène d’une grande ampleur, selon les médias et les écrits scientifiques, qu’on cherche à éviter ou à diminuer. Sa définition varie d’un ouvrage à l’autre et les chercheur-es qui utilisent ce concept le définissent pour les besoins de leurs publications. C’est ainsi qu’il sera possible de dégager deux grandes tendances concernant la définition de l’hypersexualisation, soit la sexualisation ou la sexualisation précoce. Pour des auteurs qui utilisent la notion de sexualisation, comme Julien (2010) ou encore Boulebsol et Goldfarb (2010), ce phénomène ne se limite pas à l’adolescence, et se manifeste par un « usage excessif de stratégies axées sur le corps dans le but de séduire » (Julien, 2010, p. 11). La sexualité appartiendrait aux sphères intimes et relationnelles des individus, alors que la sexualisation serait une construction relevant du pouvoir social. Pour Julien (2010) comme pour Boulebsol et Goldfarb (2010), on attribue la principale responsabilité du phénomène de l’hypersexualisation à la culture masculine dominante et au système capitaliste qui fait la promotion du consumérisme à travers la sexualité et l’érotisme.

De leur côté, les auteurs qui ont plutôt associé l’hypersexualisation à la sexualisation précoce parlent de la reproduction, chez des enfants ou des adolescents, « des attitudes et des comportements de “femmes sexy ” » (Bouchard et Bouchard, 2005, 2). Ce serait aussi, pour Bouchard et al., « un phénomène qui consiste à donner un caractère sexuel à un comportement ou à un produit qui n’en a pas en soi » (2006, 7).

À ces pratiques jugées hypersexualisées s’ajoute des images présentes dans différents médias (publicités, magazines, télévision, internet, vidéoclips) qui mettent en avant-plan les corps des femmes, perçus comme un objet, et renforce les stéréotypes sexuels concernant l’apparence physique (le culte de la beauté et de la minceur), les relations de couple (hétérosexuel) et les rôles sociaux traditionnels. Cette sexualisation de l’espace public standardise ou normalise ces représentations en les présentant comme des idéaux à atteindre par les femmes en général et en particulier par les adolescentes, et même chez les plus jeunes.

Or, si la sexualisation de l’espace public est bien documentée, bien peu d’études prennent en compte le point de vue des jeunes. Pire encore, ces discours prennent toute la place que pourrait prendre les discussions sur l’éducation sexuelle et teinte la sexualité des adolescentes de manière très fortement négative.

À ce sujet, la thèse doctorale de Caroline Caron (2009) est très éclairante sur la montée et l’étendue de ces discours, mais surtout sur la non prise en compte du point de vue des filles, alors que leur image a été utilisées abondamment pour démontrer le phénomène. Il n’est pas rare, par exemple, que des images choquantes soient montrées dans des conférences destinées aux parents ou aux différents intervenants jeunesse, et ce, sans nécessairement les mettre en contexte.

Dans ce discours où leur parole est presque totalement absente, mais où leur corps est omniprésent, les filles apparaissent comme un groupe social problématique devant être discipliné et mis à sa place. (Caron, 2009, 10)

De plus, l’insistance sur divers anecdotes pigées ici et là viennent illustrer des statistiques qui sont pourtant plutôt rassurantes. En ce qui concernent ces statistiques, Blais et al. (2009) apportent un éclairage intéressant qui souligne d’une part la difficulté d’obtenir des bases de comparaison similaires afin de déterminer, par exemple, l’âge de la première relation sexuelle, les échantillons variant énormément selon les études. Selon eux, l’âge des répondants fait varier énormément la moyenne (plus les répondants sont âgés, plus la moyenne de l’âge de la première relation sexuelle est élevée). L’idée ici n’est pas de trancher sur l’âge précis de ces moyennes, mais plutôt d’éviter d’alimenter des discours alarmistes sur la sexualité des adolescents.

les données publiées sur les conduites sexuelles des jeunes Québécois et Canadiens ne permettent pas de conclure à une diminution de l’âge du premier rapport sexuel dans la dernière décennie (que ce soit pour le sexe oral, vaginal ou anal), ni à une exacerbation des activités sexuelles, ni à un déclin de la morale et des valeurs sexuelles. (Blais et al., 2009, 23)

Une minorité de jeunes auraient une sexualité précoce (12% des gars et 13% des filles), mais il n’est question que de la minorité de cette minorité : les comportements sexuels les plus précoces, les plus choquants et les plus inusités sont inlassablement rapportés et commentés sur les tribunes médiatiques et agissent comme une rumeur publique. (Caron, 2009, 69)

L’absence des voix des filles dans ce débat a eu des échos chez les adolescentes rencontrées par Caron lors de sa recherche. Certaines d’entre elles témoignaient de leur irritation que des chercheures parlent d’elles sans les consulter. Les discussions avec les filles ont mené Caron à la réflexion que les préoccupations sur l’hypersexualisation rejoignent davantage les craintes des adultes que les réalitées vécues par les filles. Les discussion ont donc biffurqué sur une des mesures mises en place à l’époque dans certaines écoles pour contrer l’hypersexualisation, soit le durcissement du code vestimentaire de leur école, allant parfois jusqu’à l’adoption d’un uniforme ou d’une gamme de vêtements. Ces règles ont été perçues par certaines de ces filles comme un contrôle de leur corps ou de leur expression, ou encore comme l’instauration d’un double standard, les garçons n’étant à peu près pas visés par ces mesures. Une partie importante du discours sur l’hypersexualisation, tel que décrit par Caron, plaçait les garçons et les hommes comme victimes de la mode sexy adoptée par certaines filles, considérée comme une distraction ou une provocation de leur part et devant laquelle ils se trouvaient démunis.

Un autre écueil amené par les discours sur l’hypersexualisation est le phénomène d’altérisation. La fille sexy, ou hypersexualisée, est généralement considérée comme une autre, différente de nous, et dont les actions sont répréhensibles. Certaines filles rencontrées par Caron associe le style sexy aux prostituées (et autres termes péjoratifs). Cela est problématique puisqu’il peut conduire au blâme des victimes d’agression (elle portait une jupe courte ou un décolleté, elle a donc courru après).

De plus, les identités des filles étant multiples, différents facteurs changent la manière d’interpréter le style vestimentaire.

La construction sociale de la fille sexy en tant que menace sociale s’offre comme un terrain d’investigation des rapports sociaux, notamment ceux de sexe, de classe et intergénérationnels. (Caron, 2009, 34)

Ainsi, une fille rencontrée par Caron a affirmé que le traitement des filles blanches n’était pas le même que celui des filles de couleur, ces dernières étant plus stigmatisées selon elle. L’âge est un facteur important, notamment par la prise de parole d’adultes au nom de filles plus jeunes.

Lorsqu’on ne s’intéresse qu’aux aspects négatifs de la sexualité, ou encore si on croit que l’âge des premières relations sexuelles est en chute libre, il est difficile d’avoir une réflexion réelle sur la sexualité des adolescentes, et encore plus si on ne consulte pas ces dernières. Les récents forums sur l’hypersexualisation ont mené à la revendication du retour des cours d’éducation sexuelle, devenus transversaux (et donc, inégaux) avec le Renouveau pédagogique. Cependant, on peut se demander quelle sera la place dans ce programme pour l’agentivité sexuelle, concept qui « fait référence à l’idée de “contrôle” de sa propre sexualité, c’est-à-dire à la capacité de prendre en charge son propre corps et sa propre sexualité » et qui place les filles comme agente de leur sexualité, et non comme victime du désir masculin (Lang, 2011).

Déjà en 1988, Michelle Fine observait que le discours sur le désir des adolescentes était absent dans les écoles et les curriculums de cours. À la place, on promouvait un discours qui encourageait la victimisation des filles et qui, paradoxalement, les considérait comme responsables de contrôler et de restreindre les relations sexuelles de par l’insistance sur l’abstinence et la mentalité du Just say no. Plus encore, un discours de moralité sexuelle ajoutait une dimension propice au regret et au jugement, encourageant les décisions des filles que si elles repoussaient la sexualité dans les limites du mariage. (Lang, 2011, 196)

En conclusion…

Les girlhood studies proposent une manière différente et essentielle de comprendre les réalités vécues par les filles. Ces recherches permettent de mettre de l’avant leurs identités multiples et de les rendre non seulement visibles, mais audibles.

Adopter une méthodologie de recherche dans la lignée des girlhood studies est donc, selon moi, un acte militant, un moyen de mettre en lumière les différentes réalités vécues par les filles en leur donnant la parole. C’est légitimer leurs points de vue en les considérant expertes de leur propre vie.

Comme chercheure, mais aussi comme travailleuse communautaire, je souhaite voir davantage de chercheures s’inspirer des girlhood studies afin de diversifier et de ne pas limiter les discours sur elles à des problèmes. J’espère qu’il sera possible de parler de la sexualité autrement que via ce qu’on juge problématique et surtout, que les filles soient entendues au sein des études féministes et des études sur les femmes. Cela est d’autant plus important que les filles francophones se retrouvent invisibilisées dans les recherches sur les filles, souvent faites dans des contextes anglophones (Gouin et Wais, 2006).

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